Pérégrination vers l'Est » Résultats de recherche » francois+cheng http://florent.blog.com 西方人的东方眼睛 Sat, 02 Jul 2011 07:37:50 +0000 en hourly 1 http://wordpress.org/?v=3.2-bleeding François Cheng http://florent.blog.com/2010/09/24/francois-cheng/ http://florent.blog.com/2010/09/24/francois-cheng/#comments Fri, 24 Sep 2010 07:49:50 +0000 florent http://florent.blog.com/?p=5188661 Pour ceux qui comme moi aiment beaucoup cet écrivain académicien, voici deux liens

D’abord un article sur l’itinéraire de Messieurs Cheng et Bianciotti.  

Très intéressant, il réhabilite de rôle de l’espace dans la destinée, corrigeant une vision traditionnelle qui privilégie le temps.

Puis  un discours de M. Pierre-Jean Rémy

On y apprend des détails de l’admirable parcours de M Cheng.

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Nationalisme chinois : rengaine satanique ou légitimes relevailles ? http://florent.blog.com/2010/01/17/nationalisme/ http://florent.blog.com/2010/01/17/nationalisme/#comments Sun, 17 Jan 2010 10:55:32 +0000 florent http://florent.blog.com/2010/01/17/nationalisme/ nationalismeParlons de ce sujet qui me taraude sérieusement : le nationalisme chinois

Résumons le questionnement en deux points :

- Sait-on de quoi on parle quand on évoque le “nationalisme chinois”  (ou les nationalismes chinois) ?

- Celui-ci est il une aspiration légitime ou une dangereuse glissade ?

 J’ai beaucoup lu sur ces questions, avec beaucoup de frustrations sur des propos aussi virulents que peu convaincants.

Mes enfants à Kunming, au Yunnan

Mes enfants à Kunming, au Yunnan

Je m’appuierai sur deux documents que voici en lien :

- une longue et touffue discussion que j’ai lancée sur un forum avec le titre “qu’entend-on par nationalisme chinois?” (je n’en conseille pas la lecture ; ce billet de blog en fait la synthèse)

- un excellent article de Jean Pierre Cabestan dans la revue perspectives chinoises : les multiples facettes du nationalisme Chinois. (j’en conseille la lecture, et j’en ai publié un commentaire ici)

Mon plan sera le suivant :

  1. Explorer les notions de nationalisme telles qu’elles s’expriment en français, en anglais, et en chinois. En tirer une définition du nationalisme, mais aussi des anomalies, des ambiguïtés, des pièges qui sont sans doute la source de beaucoup d’incompréhensions.
  2. Tenter de positionner l’émergence de la nation dans l’histoire chinoise
  3. Risquer une formulation sur la peur que beaucoup d’Européens  nourissent vis-à-vis du nationalisme
  4. Qualifier les différents courants nationalistes chinois d’aujourd’hui.

 

Avant de parler de nationalisme chinois, autant s’entendre sur ce qu’est le nationalisme.

- Sait-on de quoi on parle quand on évoque le “nationalisme chinois”  (ou les nationalismes chinois) ?

Et là les réponses divergent.

Creusons en comparant différentes versions de wikipedia du nationalisme, en différentes langues (une démarche que j’avais trouvé intéressante pour étudier la notion de culture )

Vision Française

Encore mes enfants à Kunming, mais ils sont eux-mêmes cette fois...

Encore mes enfants à Kunming, mais ils sont eux-mêmes cette fois...

 Wikipedia en francais en fait une notion largement Européenne, qui se serait plus ou moins déployée dans d’autres pays. Mais l’article ne mentionne nullement la Chine, un des plus vieux états du monde.  On y lit cette phrase de Durkheim :

“Tout retour d’un nationalisme étroit a toujours pour conséquence un développement de l’esprit protectionniste, c’est-à-dire une tendance des peuples à s’isoler, économiquement et moralement, les uns des autres”

Si cette phrase est juste, autant oublier l’existence d’un nationalisme chinois. Peu de gens contesteront l’extraordinaire ouverture du pays depuis quelques décennies. Les chinois sont extraordinairement ouverts et curieux des choses de l’étranger. Il y a là deux phénomènes apparemment inconciliables .

Au XXe siècle, précédemment limité à l’Europe et aux États-Unis d’Amérique, le nationalisme s’étend dans les pays du Sud qui contestent l’assimilation des nationalistes du Nord qui les a conduit à être colonisés.

Selon wikipedia en Français, le nationalisme s’est développé au Nord et plus ou moins diffusé dans le Sud. Et la Chine là dedans ? Faut il ranger l’orient dans la case “Sud” ? L’article de Wikipedia en Français me semble malheureusement trop “européo-centré” pour aborder légitimement l’existence d’un nationalisme chinois.

Le dictionnaire littré lui même présente une notion essentiellement Européenne, et plutôt ambigue sur le degré de danger qu’elle comporte.

Dans son premier sens le nationalisme est (…) très largement marqué dans un sens révolutionnaire et se confond avec la conscience nationale révolutionnaire

Le fondement historique du nationalisme serait révolutionnaire. Il faudrait passer par une révolution pour voir émerger une nation au sens moderne, objet du culte appelé nationalisme. La France aurait ainsi “tracé la route” du nationalisme.

La Chine a connu ses révolutions ; je crois qu’elle ne montre pas aujourd’hui de “grande ambition révolutionnaire”. De grandes ambitions oui, mais révolutionnaires non. La construction de la nation en Chine se caractérise par une histoire très longue, cahotique depuis deux siècles, mais bien peu semblable aux parcours de la France, de l’Angleterre, ou des Etats-Unis. C’est sans doute pour cela que l’article wikipedia sur le nationalisme ignore aussi royalement l’histoire et l’expérience chinoises.

Vision Anglo-saxonne

L’article de Wikipedia en anglais est beaucoup moins dogmatique et étroit que l’article en francais.

J’y trouve une définition du nationalisme par degrés, qu’il est intéressant de reproduire ici :

Nationalism generally involves the identification of an ethnic identity with a state. The subject can include the belief that one’s nation is of primary importance. It is also used to describe a movement to establish or protect a homeland (usually an autonomous state) for an ethnic group. In some cases the identification of a homogeneous national culture is combined with a negative view of other races of cultures. 

  • Premier degré : prise de conscience de liens identitaires ethniques au sein d’un état.
  • Second degré : affirmation de l’importance première de la nation
  • Troisième degré : Vue négative d’autres nations ou d’autres ethnies.

On y lit qu’un nationalisme peut être réactionnaire ou bien révolutionnaire. On mesure l’opposition entre le nationalisme et le phénomène plus récent de Cosmopolitanisme. Cette opposition ouvre le champ à des questions beaucoup plus intéressantes, dans le contexte chinois, que celle de savoir si le nationalisme est nécessairement révolutionnaire.

Si l’on oppose la conscience citoyenne (je suis Chinois) et la conscience universelle (je suis Humain), le nationaliste serait celui qui préfère la première à la seconde. Celui qui au nom de la première va se confronter à d’autres personnes d’autres pays.

L’article anglophone poursuit par la description de diverses formes de nationalisme : l’ultranationalisme, la pureté nationale (Wiki donne en exemple cette merveilleuse phrase du sublime et lumineux timonier George W Bush : “No, I don’t know that atheists should be considered as citizens, nor should they be considered patriots. This is one nation under God” ), le nationalisme “civique”, le nationalisme ethnique (dont voici la définition “Ethnic nationalism is based on the hereditary connections of people. Ethnic nationalism specifically seeks to unite all people of a certain ethnicity heritage together. Ethnic nationalism does not seek to include people of other ethnicities.” Cette définition s’applique très bien au Japon du début XXe me semble-t-il),  le nationalisme expansionniste, le nationalisme de gauche …

La définition me semble alors beaucoup moins poussiéreuse que celle des sources françaises plus haut.

Vision Chinoise

Le terme chinois pour le nationalisme, c’est 民族主义 : on fait référence à l’ethnicité, mais pas à la nation ou au pays tel qu’on le retrouve dans le nom de la chine 中国 (pays du milieu). Le pays Chine compte aujourd’hui 56 民族 , c’est à dire ethnies, plus ou moins minoritaires. Elles ont souvent leur propre langue, parfois leur propre écriture (Dai, Tibétains, Ouighours, Zhang…). Si le nationalisme est l’exhaltation de la nation, en Chine il vaudrait mieux parler de l’exhaltation des nations ?
Le terme de nationalisme semble difficile à appliquer à la Chine, qui se considère comme terre hébergeant une multiplicité de nations-ethnies.

Ces ethnies au sein de la nation ont bien évidemment des poids très différents ;  avec une domination des chinois Han 汉(漢). Doit-on alors parler d’un nationalisme Han, d’un nationalisme Tibétain, d’un nationalisme Cantonais ? Le terme chinois pour le nationalisme, , s’y prète très bien. Mais on parle souvent du nationalisme chinois, avec un périmètre étendu à tout le pays. Finalement, en se transposant en Europe, c’est comme si on parlait de “nationalisme” pour désigner le nationalisme français, ou grec, ou portugais, et de “nationalisme” pour parler d’un sentiment d’être Européen, une sorte de “conscience de civilisation” qui n’aurait plus grand chose à voir avec le nationalisme.

Bref, le terme de nationalisme s’applique à deux niveaux en Chine : au niveau de l’ethnie et au niveau de la nation toute entière.

 Regardons maintenant l’article de wikipedia en chinois sur le nationalisme

民族主义,亦称国族主义或国家主义,为包含民族、种族、与国家三种认同在内的意识形态,主张以民族为人类群体生活之「基本单位」,以作为形塑特定文化与政治主张之理念基础。具体的说,其主张为:民族为「国家存续之唯一合法基础」,以及「各民族有自决建国之权」。民族主义与爱国主义无从区分。开化的社会过去大多强调民族共同体,而最近则着重于由国家或政府陈述的文化或政治共同体。

Je tente une traduction du début (corrections bienvenues)

Le nationalisme (民族主义, littéralement peuple-clan-”isme”), parfois aussi appelé patriotisme (国族主义, littéralement  pays-clan-”isme” ou “国家主义”, littéralement pays-famille-”isme”),  inclut les groupes ethniques, les races, et le pays. C’est une idéologie valorisant l’identification sur ces trois points, en considérant le groupe ethnique comme la “principale unité” du corps social.   

On voit une référence à la race 种族 qui surprend quelque peu dans un texte publié par wikipedia, et qui confirme l’ambiguité de cette notion d’ethnicité qui entre dans le mot chinois de nationalisme.   La suite de l’article me semble plus proche des articles en anglais de wikipedia.

Le nationalisme chinois, un terme piège

Comme on le voit dans cette première partie, il est difficile de parler de nationalisme chinois :

  • Tendance française à s’estimer “inventeur” du nationalisme (depuis la révolution) et à limiter son point de vue en ignorant l’histoire de la formation de la nation en Chine, état dont l’existence a plus de deux mille ans.
  • Ethnicité très présente dans la nationalité au sens chinois ; ce qui pose une difficulté pour aborder la nation au singulier, à moins de confondre l’ethnie dominante (han) avec la nation.
  • Vision d’un nationalisme étroitement associé à une fermeture : cette vision semble difficilement appliquable à la Chine contemporaine

Et de ce fait beaucoup des jugements qu’on lit ici ou là sont biaisés par ces difficultés. La prochaine fois qu’un français s’indigne du nationalisme chinois devant moi, je lui demanderai d’abord de m’expliquer de quoi il parle.

 

- L’émergence de la nation dans l’histoire chinoise

Disons le tout de suite ; je ne suis pas historien et la question est complexe. Je n’ai pas la prétention de répondre à cette question, je voudrais juste montrer qu’elle est importante, qu’elle conditionne le fait de parler du nationalisme chinois en connaissance de cause.

Le sujet est particulièrement délicat, car l’histoire (particulièrement chinoise) a une tendance à être réécrite selon les besoins de la “communauté imaginaire” (selon l’expression de Benedict Anderson). J’avais observé cela en voyageant deux fois en Afrique du Sud : avant et après l’Apartheid. J’avais pu consulter des manuels d’histoire et voir combien l’histoire avait été réécrite ! Notons bien, avec M Anderson, que ces “communautés imaginaires” et le nationalisme qui les rassemblent ne sont pas vus négativement ! Elles contribuent à l’identification et à la mobilisation par le rêve et l’idéal qu’elles offrent.

Bornons nous juste à donner quelques jalons historiques prémodernes, éclairants sur la formation de l’idée de nation en Chine :

Nous n’aborderons pas les origines mythiques et légendaires de la civilisation chinoise (par exemple l’empereur Yu le grand).

-221 : La formation de l’Etat Chinois est généralement située à l’unification des royaumes combattants par l’empereur Qin ShiHuang 秦始皇 au troisième siècle avant JC : il standardise la langue écrite, les poids et les mesures, fait construire la grande muraille. Le fait qu’il ait combattu pour l’unité chinoise et se proclame empereur 始皇帝 nous amène à envisager un premier degré de nationalisme au sens de “prise de conscience des liens unissant des peuples sur un territoire”. Ceci serait renforcé par l’appellation “Pays du milieu”, mais ce terme de 中国 semble plutôt être un pluriel, désignant certains royaumes du centre mais pas “la Chine”. Bref, nous assistons à l’émergence d’un empire, supérieur aux royaumes qu’il a conquis, mais plutôt semblable à ce que nous avions en Europe antique avec les grecs ou les romains : un empire qui se croit seul au monde. Ce qui est différent d’une nation comme pouvait l’être la France au XVIIIe siècle, c’est à dire consciente d’elle-même et consciente des autres nations (Angleterre, Allemagne…).

1127 après JC :  Un millénaire plus tard, la dynastie chinoise Song 宋 subit des revers face aux tribus du nord : les Jin  (Jurchen proches des Mandchous) et les mongols menés par Gengis Khan (qui fonderont en 1271 la dynastie suivante, celle des Yuans). En 1127, la dynastie Song a subi une cuisante défaite face aux Jin 金 qui ont capturé la capitale Kaifeng et l’essentiel de la cour (l’humiliation de 靖康之恥). Le reste de la cour doit s’enfuir vers le sud, franchir le Yangtsé, et se réfugier à Hangzhou.

La défaite d’une dynastie chinoise face à des barbares du nord (les Jurchens) est vécue comme une immense humiliation. Les troupes chinoises se battent pour tenter de récuperer le nord de la Chine. Parmi ces troupes chinoises se trouve un général, réputé pour ses talents d’archer, et nommé Yue Fei 岳飞. Ce général est mentionné dans de nombreuses annales historiques, mais la légende se mêle souvent au récit de ses prouesses militaires pour sauver la Chine des envahisseurs du Nord. Parmi les éléments douteux de sa vie figure un trait intéressant pour nous aujourd’hui : Yue Fei aurait porté sur le dos un tatouage en quatre caractères : 尽忠报国; (qui s’écrivait alors 盡忠報國), ce qui signifie “servir loyalement le pays, jusqu’au bout”.  On retrouve ici, dans l’héroisme maintes fois célébré du général Yue Fei, une conscience nationale qui convient bien à cet aspect de la définition du nationalisme par wikipedia : “Il entend toujours défendre une identité nationale, justifiée par une communauté historique et culturelle, face à une agression extérieure”.

1672 : La dynastie Ming est tombée depuis l’entrée des Mandchous à Pékin en 1644 et le suicide de l’empereur Ming Chong Zheng 崇祯. Il reste quelques bastions Ming au Sud du pays, qui seront vite écrasés par la dynastie Mandchoue Qing. Un moine, descendant de la famille impériale Ming et nommé ChuTa (ou ZhuDa : 朱耷), subit en 1672 un second drame à la mort de son père spirituel, l’abbé Hong Ming. Il entre dans une prostration étrange : il refuse de parler à quiconque pour le reste de sa vie, et place le caractère 哑(F啞), qui signifie “muet”, sur sa porte. Il restera toutefois un artiste exceptionnel, poète et surtout peintre. Je recommande en particulier le livre que François Cheng a écrit sur Chu Ta.

Là encore, la chute d’une dynastie chinoise au profit d’une dynastie étrangère montre une forme de conscience nationale importante.

 Si l’on considère que le nationalisme implique non seulement la prise de conscience de la nation que forme un peuple, mais encore le fait que cette nation soit amenée à coexister avec d’autres nations, alors ce n’est qu’au XIXe siècle qu’on peut vraiment parler du nationalisme en Chine. Les humiliations de l’occupation occidentale et des guerres de l’opium lancent une réflexion de la Chine sur elle-même, en se décentrant de sa vision de “pays du milieu” et en se posant des questions sur ses retards, ses défaites, son empire, son confucianisme. 

- A force de crier au loup…

Beaucoup d’Européens s’effraient des signaux nationalistes observables aujourd’hui en Chine. Il est certain que notre XXe siècle en Occident fut marqué par d’horribles exacerbations du sentiment national, menant aux pires idéologies, guerres impériales, génocides. Ne voulant pas “oublier l’histoire”, un certain nombre de français se mettent en croisade pour dénoncer le phénomène de nationalisme chinois.

Mais comme on l’a vu dans le commentaire de l’article de M Cabestan, il n’y a pas un nationalisme chinois mais plusieurs forces ; certaines étant réactionnaires (cherchant à “laver les humiliations passées”), d’autres sont réformistes, cherchant à moderniser l’état et la nation.

La composante ethnique étant reconnue en  Chine, le thème du nationalisme s’y développe différemment, sur plusieurs niveaux. Parle-t-on de la “nation Han” ou bien de la nation Chinoise (qui compte en plus des han 55 minorités officielles) ?

Cela m’amène à risquer une formulation pour ces français qui s’effraient face au nationalisme chinois :

“Pris par le souvenir de l’histoire européenne des XIXe et des XXe siècles, et par une notion étriquée et “européo-centrée” du nationalisme, certains français dénoncent violemment le nationalisme chinois, alors même que ce phénomène est, pour une part, acteur majeur dans la réflexion sur la modernisation et la démocratisation du pays, deux évolutions que ces mêmes détracteurs appellent de leurs voeux ! Le discours est contradictoire !

- Le nationalisme chinois est il une aspiration légitime ou une dangereuse glissade ?

Reprenons ici les quatre formes de nationalisme introduites par M Cabestan dans son article :

Nationalisme revanchard et ethnique

Présent dans certaines couches populaires, ce nationalisme donne lieu à des manifestations impressionnantes. Il concerne beaucoup les jeunes, dans une sorte de “crise d’adolescence”. Mais il fait l’objet d’une forte opposition de la part d’une bonne fraction de la population ; qui rejette l’esprit égoiste et virulent des “fenqing”. Je connais un fenqing qui, en passant la trentaine, a mis beaucoup d’eau dans son vin. Le meilleur argument contre ce phénomène m’a été donné par une jeune Hangzhounaise, qui m’expliquait que ces nationalistes arrivaient trop tard aujourd’hui, que l’ouverture du pays était déjà trop avancée pour qu’on puisse se renfermer, que trop de chinois savaient comment était le monde extérieur, les produits de l’extérieur. Ainsi ce nationalisme, qui peut encore sévir sous forme de “poussées de fièvre”, semble amené à disparaître ou au moins à s’estomper avec le statut de plus en plus puissant et ouvert de la Chine.

Nationalisme officiel conservateur

Il est très présent, et relativement stable aujourd’hui. Il n’a pas de projet agressif, sauf peut être sur les questions de souveraineté nationale sur lesquelles le gouvernement est si sensible, mais il vise juste à la promotion de la nation et à sa reconnaissance. Pour peu que l’on reconnaisse ce gouvernement qui compte réussir son “ascension pacifique” et retrouver la place de puissance économique majeure qu’elle occupait avant 1850, les raisons d’avoir peur du nationalisme officiel me semblent bien maigres.

Par contre, si l’on ne reconnaît pas ce gouvernement (en raison de sa politique taiwanaise, ou de sa politique au Tibet, de l’archaisme de sa gouvernance ou de la maladresse de sa communication diplomatique, ou pour toute autre raison), alors la peur devient très naturelle. Mais elle mérite le nom de “peur du gouvernement chinois”, pas celle de “peur du nationalisme chinois”.  

Nationalisme modernisant

Comme expliqué par M Cabestan dans son article, cette forme de nationalisme a en fait des conditions positives sur le développement du débat public dans le régime autoritaire de la RPC. Cette forme de nationalisme, plus pacifique et ouverte au monde, me semble moins effrayante que les deux premières.

Nationalisme pro-occidental (Taiwanais)

Le nationalisme du Kuomintang, fortement occidentalisé dès sa création, a flirté avec les dangers de l’ultra nationalisme lors des années trente du siècle dernier, avec le mouvement fasciste de la société des chemises bleues (藍衣社). Mais aujourd’hui il ne semble pas dangereux par son projet idéologique ni par son système. Son projet de reconquérir politiquement la chine ne peut s’inscrire que sur du très long terme ; il ne pourra se faire qu’après une réunification pacifique des deux rives du détroit de Formose.

En conclusion, le nationalisme est une idée ambigue, qui se mesure à plusieurs degrés, entre la simple prise de conscience d’une identité collective et un ultra-nationalisme ostraciste. L’application de cette idée au contexte chinois est délicate, et nécessite de distinguer plusieurs courants de nationalisme, qui ont des degrés différents. Seul le nationalisme revanchard de jeunes hooligans peut effrayer à court terme, mais si l’ascension chinoise se confirme, il pourrait s’estomper. D’autres formes de nationalisme sont des forces de changement pour un  pays dont le développement économique va beaucoup plus vite que le développement politique.  

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Pour les amateurs de poésie et de littérature http://florent.blog.com/2010/01/14/pour-les-amateurs-de-poesie-et-de-litterature/ http://florent.blog.com/2010/01/14/pour-les-amateurs-de-poesie-et-de-litterature/#comments Thu, 14 Jan 2010 07:38:48 +0000 florent http://florent.blog.com/?p=5188299 liensVoici deux liens :

D’abord trois poèmes lus et commentés  par le grand François Cheng. Merveilleux.

(voir d’autres billets sur François Cheng)

Ensuite un très bon site de nouvelles chinoises contemporaines, publiées en bilingue Chinois-Français

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Anne Cheng parle de Confucius au collège de France. http://florent.blog.com/2009/05/10/anne-cheng-parle-de-confucius-au-college-de-france/ http://florent.blog.com/2009/05/10/anne-cheng-parle-de-confucius-au-college-de-france/#comments Sun, 10 May 2009 16:43:25 +0000 florent
Parlons ici d'une série de Cours donnés par Anne Cheng sur le renouveau du confucianisme.

La lecon inaugurale est en format vidéo ici, les leçons qui suivent sont au format son (podcast).

Voici quelques prises de notes rapides.
L'introduction d'Anne Cheng est intéressante ; elle prend une posture de refus, ou plutôt de temporisation par rapport à la différence culturelle.

Certains absolutisent tout de suite la différence culturelle (jusqu'à faire de la Chine un grand Autre).
D'autres la nient mordicus (jusqu'à avoir peur de termes comme les "valeurs chinoises")
Les premiers font ressortir les différences culturelles ; les seconds les aplanissent.

Cela m'a fait penser à un passage du Zhuangzi :

Celui qui sait que l'est et l'ouest s'opposent,
mais que l'un ne peut exister sans l'autre,
saisira le dosage d'efficacité

如东西之相反而不可以相无, 则功分定矣
(如東西之相反而不可以相無, 則功分定矣)

Zhuangzi Qiushui 30


Anne Cheng parle des différences culturelles (au pluriel), et préfère passer du temps à ]]>
Depuis de brillants cours d’ethnologie par Françoise Héritier auxquels j’assistais dans mes temps libres, le collège de France porte pour moi une signification et un intérêt particulier : la diffusion des connaissances humaines pour tous (les parisiens), par les meilleurs spécialistes.

Parlons ici d’une série de Cours donnés par Anne Cheng sur le renouveau du confucianisme.

La lecon inaugurale est en format vidéo ici, les leçons qui suivent sont au format son (podcast).

Voici quelques prises de notes rapides.
L’introduction d’Anne Cheng est intéressante ; elle prend une posture de refus, ou plutôt de temporisation par rapport à la différence culturelle.

Certains absolutisent tout de suite la différence culturelle (jusqu’à faire de la Chine un grand Autre).
D’autres la nient mordicus (jusqu’à avoir peur de termes comme les “valeurs chinoises”)
Les premiers font ressortir les différences culturelles ; les seconds les aplanissent.

Cela m’a fait penser à un passage du Zhuangzi :

Celui qui sait que l’est et l’ouest s’opposent,
mais que l’un ne peut exister sans l’autre,
saisira le dosage d’efficacité

如东西之相反而不可以相无, 则功分定矣
(如東西之相反而不可以相無, 則功分定矣)

Zhuangzi Qiushui 30

Anne Cheng parle des différences culturelles (au pluriel), et préfère passer du temps à

se promener, à visiter avant d’entrer dans le registre du comparatisme. Si l’on avait tout le temps devant soi, je suivrais sans doute sa recommandation…

Voici quelques passages intéressants de la lecon du 21 janvier, qui parcourt le XXe siècle (jusqu’à 1980) et montre la désincarnation graduelle du confucianisme, assimilé aux “vieilleries” qui empêchent la Chine de se moderniser

“la révolution culturelle est une exacerbation paroxystique de l’esprit du 4 mai”

Les attaques des théories de Max Weber (lien du protestantisme et du développement capitaliste et social) ont un fort impact en Chine

Heureusement que les chinois n’ont pas abandonné leur écriture car elle plaît tellement aux occidentaux !
(amusante pirouette)

Dans les années 50 des confucianistes taiwanais et hong kong-ais lancent un appel désespéré au monde : “la culture chinoise et le confucianisme ne sont pas morts ! “ 

A la fin de la révolution culturelle Lin Biao et Confucius sont amalgamés comme cibles de la propagande anti réactionnaires
“tous les réactionnaires sont des adorateurs de confucius” 

A partir de 1905 (suppression examens mandarinaux) le confucianisme perd son corps ; il se retrouve comme une “âme errante” 游魂

La lecon du 28 Janvier montre combien les “dragons asiatiques” (Hong Kong, Taiwan, Corée, Singapour) ont les premiers ressuscité Confucius

Anne Cheng aborde ensuite, le 4 février, la remise en état du confucianisme en Chine continentale.

Tout à coup la Chine voudrait “sauter une classe”. Après avoir voulu détruire le confucianisme comme “obstacle à une modernisation de type occidentalisation”, elle le réhabilite tout à coup en disant que c’est un signe de post-modernité à vocation universelle
(on évoque des parutions sur “Confucius et liberté” ; sur “Confucius et droits de l’homme”)

L’âme errante 游魂 de Confucius retrouve petit à petit un corps : écoles confucianistes (on “remoralise” la jeunesse” en phase avec les préconisations des “entretiens”) ; reconstruction de la métaphysique; 儒家 ; 儒教

Anne Cheng fait la part des choses entre les fabrications idéologiques contemporaines (selon la “gouvernance vertueuse” 懿德治国 de Jiangzemin ou selon la “société d’harmonie socialiste” 社会主义 和谐社会 de Hu Jintao : ) et les résurgences d’aspects confucéens authentiques qui n’ont pas été perdus.

S’ensuit une amusante description de tous ces gens qui se “disputent le marché Confucius” (la Corée ayant des prétentions de “gardiens de confucius” depuis que la dynastie mandchoue Qing l’a abandonné)

Pour simplifier : 1990-1997 voit l’émergence d’un “Confucius economicus”. Depuis la crise asiatique, on observe en Chine continentale une prolifération complexe du confucianisme dans les cercles officiels et non-officiels, en “top-down” et en “bottom up”.

Exemple de phrase confucéenne réutilisée pour les JO :
四海之内
皆兄弟也
Les gens du monde entier sont des frères

Dans le cours du 11 février, elle entre plus en profondeur dans le renouveau confucéen en RPC : aspects politiques, médiatiques, éducatifs ; sociaux

Elle raconte un des anniversaires de Confucius auquel elle a assisté à Qufu. C’est une véritable mascarade folklorique (petits foulards jaunes rappelant plutôt le bouddhisme ; petits scouts confucéens ; slogans moraux sur des bannières). Elle montre le lien entre l’événement et l’idéologie des jeux olympiques. La critique tourne parfois à la moquerie.

Elle parle ensuite des écoles privées confucéennes 私塾 pour la petite enfance, et de leur forte utilisation de l’apprentissage par coeur (qu’Anne Cheng critique vertement)
Par contre c’est un retour au statut qu’avaient les entretiens sous la dynastie Han : un recueil de préceptes moraux pour l’éducation (plutôt qu’un grand traité éthique fondant la société)

Sur l’éducation supérieure, anne Cheng aborde le retour du guoxue 国学 et évoque (sans développer) le lien de ce développement avec le nationalisme
On ressuscite les 学堂 qu’on oppose aux 大学 d’inspiration occidentale. Le retour arrière par rapport aux mouvements universitaires du début XXe est implicitement évoqué. On enseigne pas des connaissances, mais de la sagesse et une quête spirituelle. On vise une renaissance culturelle qui amènerait à terme une renaissance nationale.
(la description de séances de lecture des entretiens dans un parc est passionnante : ce n’est ni un “cours d’université” orienté connaissance ; ni un “séminaire de management” orienté efficacité)

Il s’agit de reconstruire tant bien que mal (notamment par internet) un lien social et culturel qui a été largement détruit au XXe siècle. Cette tendance vient parfois courcircuiter la construction d’un espace politique.

Il me semble qu’Anne Cheng touche ici très juste. Plusieurs trentenaires à Shanghai m’ont donné l’impression de désirer cela ardemment, pas forcément pour eux mais au moins pour leurs enfants.

En conclusion, elle évoque la politique de l’enfant unique sous forme de point d’interrogation. Le confucianisme peut il se reconstruire sur une pyramide familiale inversée (6 adultes pour un enfant) ? La pression supplémentaire que cela va générer pour les enfants eux mêmes sera t elle supportable ? Une grande et belle question en effet.

Le 18 février, on parle du retour en grâce du texte des entretiens. Il a une structure courte, adaptée à un enseignement mnémotechnique.

Anne Cheng analyse les 10 plus grosses ventes de livres : un best seller confucéen de yudan 于丹 (depuis 2 ans ; une diffusion proche de celle du petit livre rouge) ; un livre d’histoire sur les Ming ; les “méditations” de Marc Aurèle (la conférencière estime qu’il y a un lien entre stoiciens et épicuriens qui pourraient être plus proches de Confucius que de Platon et Aristote.)

L’écrivain Yudan 于丹 soulève de virulentes oppositions parmi des confucéens moins populistes qui l’accusent de réduire confucius à du “bouillon de poulet” (voir un papier sur yudan 于丹, cette prof de fac qui a un grand succès autour de Confucius vulgarisé.

Notons une curieuse définition des hans : vous êtes han quand vous n’êtes ni mongol, ni ouighour, ni tibétain… curieux curieux

Anne Cheng recommande un auteur taiwanais de bandes dessinées qui me semble bien être Cai Zhi Zhong 菜志忠 (voir ici et )

Dans le cours du 25 février, Anne Cheng s’éloigne des stars de la communication et se rapproche de milieux plus académiques, plus sérieux.

On aborde une guéguerre entre les grandes universités.
Un passage de Simaqian révèle Confucius sous un jour beaucoup plus humble.
J’ai trouvé le récit des luttes intestines entre historiens un peu moins intéressantes. Les philosophes seront abordés à la lecon suivante

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http://florent.blog.com/2009/05/10/anne-cheng-parle-de-confucius-au-college-de-france/feed/ 2
Francois Cheng L’un vers l’autre 9/10 http://florent.blog.com/2009/05/10/francois-cheng-lun-vers-lautre-910/ http://florent.blog.com/2009/05/10/francois-cheng-lun-vers-lautre-910/#comments Sun, 10 May 2009 16:30:42 +0000 florent Voici un livre d'un auteur que j'apprécie beaucoup : François Cheng

Il y parle de Victor Segalen, ce grand explorateur poético-mystique. Et François Cheng exprime sa reconnaissance pour le parcours humain de Segalen, parcours caractérisé par la reconnaissance de la richesse de la civilisation chinoise :
"Reconnaissance envers ceux qui , au lieu de siècles de tâtonnements et d'affrontements aussi néfastes qu'inutiles, savent d'emblée l'impérieuse nécessité, justement, de reconnaître. Reconnaître l'autre en se reconnaissant ; se reconnaître en se reconnaissant autre".

Magnifique déclinaison du verbe reconnaître non ? Elle résonne beaucoup pour moi. Bien noter le "d'emblée" ; très important à mes yeux

et plus loin arrive ce passage qui m'a plongé avec délices dans le désir amoureux :

"Oui,
Il suffit d'un brusque éveil pour que la vie
Se renouvelle. Et soudain, on osa espérer
L'ineffable arrivée d'une amante. Ainsi,
Elle apparut, au milieu du vert et du bleu,
Eclatante, entière, comme depuis longtemps
Attendue, comme depuis toujours déjà là,
Improbable jeune fille d'un improbable
Matin du monde. Tout fut pourtant réel !
Divine surprise grâce à quoi la vie se révèle
Non "dû" mais "don". Toute vie transformée
En don de vie mérite respect.  Honte à nous
Alors d'avoir tenu si désinvolte propos
Sur le cadavre du missionnaire, martyr anonyme
Au destin si tôt fauché ! Cette "chair glorieuse", sur qui
S'étaient acharnées tant d'ingénieuse cruauté
Et d'implacable furie, n'était-elle que pure vanité ?
Avons-nous un seul instant tenté de pénétrer
L'insoutenable souffrance, de partager
La muette solitude de cet autre "arraché" volontaire,
 Si loin du sol natal"

Segalen est cité sur le caractère sacré de l'écriture chinoise page 45 :

Le mot chinois est un signe, complet en lui-même, existant, réalisant (une manière d'être), différent de ce qu'il dit, et déjà très supérieur à ce qu'il daigne signifier. 
Les idéogrammes méprisent les tons changeants et les syllabes qui les affublent au hasard des provinces. Ils n'expriment pas ; ils signifient ; ils sont

S'ensuit une belle analyse de François Cheng de l'influence de la langue chinoise (monosyllabique) sur le style poétique de Victor Segalen en Français.

Le livre de François Cheng est émaillé de vers, parfois de lui même comme ici 

Nul doute qu'à la fin tout voyageur se rendra
A l'évidence : le Divers ne divertit point,
Il déroute : fouilles des licornes enfouies,
Forage du for intérieur. Dans les rets
Du mandat du Ciel, toute une vie
A l'épreuve de l'amour! Toute une vie
                A l'épreuve de la mort !


Ce livre est un magnifique voyage poétique et culturel.

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Voici un livre d’un auteur que j’apprécie beaucoup : François Cheng

Il y parle de Victor Segalen, ce grand explorateur poético-mystique. Et François Cheng exprime sa reconnaissance pour le parcours humain de Segalen, parcours caractérisé par la reconnaissance de la richesse de la civilisation chinoise :
“Reconnaissance envers ceux qui , au lieu de siècles de tâtonnements et d’affrontements aussi néfastes qu’inutiles, savent d’emblée l’impérieuse nécessité, justement, de reconnaître. Reconnaître l’autre en se reconnaissant ; se reconnaître en se reconnaissant autre”.

Magnifique déclinaison du verbe reconnaître non ? Elle résonne beaucoup pour moi. Bien noter le “d’emblée” ; très important à mes yeux

et plus loin arrive ce passage qui m’a plongé avec délices dans le désir amoureux :

“Oui,
Il suffit d’un brusque éveil pour que la vie
Se renouvelle. Et soudain, on osa espérer
L’ineffable arrivée d’une amante. Ainsi,
Elle apparut, au milieu du vert et du bleu,
Eclatante, entière, comme depuis longtemps
Attendue, comme depuis toujours déjà là,
Improbable jeune fille d’un improbable
Matin du monde. Tout fut pourtant réel !
Divine surprise grâce à quoi la vie se révèle
Non “dû” mais “don”. Toute vie transformée
En don de vie mérite respect.  Honte à nous
Alors d’avoir tenu si désinvolte propos
Sur le cadavre du missionnaire, martyr anonyme
Au destin si tôt fauché ! Cette “chair glorieuse”, sur qui
S’étaient acharnées tant d’ingénieuse cruauté
Et d’implacable furie, n’était-elle que pure vanité ?
Avons-nous un seul instant tenté de pénétrer
L’insoutenable souffrance, de partager
La muette solitude de cet autre “arraché” volontaire,
 Si loin du sol natal”

Segalen est cité sur le caractère sacré de l’écriture chinoise page 45 :

Le mot chinois est un signe, complet en lui-même, existant, réalisant (une manière d’être), différent de ce qu’il dit, et déjà très supérieur à ce qu’il daigne signifier. 
Les idéogrammes méprisent les tons changeants et les syllabes qui les affublent au hasard des provinces. Ils n’expriment pas ; ils signifient ; ils sont

S’ensuit une belle analyse de François Cheng de l’influence de la langue chinoise (monosyllabique) sur le style poétique de Victor Segalen en Français.

Le livre de François Cheng est émaillé de vers, parfois de lui même comme ici 

Nul doute qu’à la fin tout voyageur se rendra
A l’évidence : le Divers ne divertit point,
Il déroute : fouilles des licornes enfouies,
Forage du for intérieur. Dans les rets
Du mandat du Ciel, toute une vie
A l’épreuve de l’amour! Toute une vie
                A l’épreuve de la mort !

Ce livre est un magnifique voyage poétique et culturel.

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Oser construire pour François Jullien 4/10 http://florent.blog.com/2009/05/10/oser-construire-pour-francois-jullien-410/ http://florent.blog.com/2009/05/10/oser-construire-pour-francois-jullien-410/#comments Sun, 10 May 2009 15:18:54 +0000 florent Une petite photo pour un petit livre. Petit. Poussé par la querelle qui oppose François Jullien et ses nombreux détracteurs (ne citons qu' Anne Cheng et Jean Francois Billeter), j'ai acheté ce livre qui manque particulièrement d'intérêt. Un peu comme ce livre noir de la psychanalyse et cet anti-livre noir de la psychanalyse qui m'avaient profondément lassés l'an dernier.

C'est un ouvrage collectif signé par les amis du sinologue, dont le renommé Léon Vandermeersch 

Quelques notes tout de même : page 12 cette phrase de Françoise Gaillard à laquelle je souscris volontiers : "François Jullien est un mauvais missionnaire de la religion des droits de l'homme".

Page 53, notons un passage intéressant de Patrick Hochart sur la partialité de la parole, avec les racines grecques du logos, du legein ti, du hen ti, de l'homologia.

Plus loin page 66, Philippe Jousset écrit, en parlant de peinture, que "l'oeil est l'organe roi pour penser le rapport occidental au monde, depuis les grecs ; c'est le souffle, en Orient (inspiration, expiration: dans le recueillement, tout point de "vue" s'abolit, on n'est plus "vis-à-vis" de rien, et la clôture entre le monde et l'individu tombe."
Et page 69 : "La pensée chinoise se présente non comme un modèle, mais bien davantage comme pourvoyeuse de bonne distance à l'égard de nos propres théories et pratiques, pour les faire apparaître comme telles et non point comme nature, fût-ce une "nature" culturelle."
 La fin de cette phrase est très éclairante à mes yeux.

Jean-Marie Schaeffer explique, page 83 que la pensée chinoise, en construisant le réel non pas comme une collection d'entités mais comme un processus, fait l'économie de l'ontologie (que l'Inde avait abordé). D'où une absence en chine de ce dualisme ontologique, de cette rupture ontique si présents en occident, dualisme selon lequel l'homme et le reste du monde vivant seraient différents par essence, dans leur être propre. François Jullien est cité à propos de Wang Fuzhi :
"Au regard de la foi chrétienne, de même que déjà pour la métaphysique platonicienne, l'âme est une substance radicalement différente de celle du corps. Or pour Wang Fuzhi, fidèle en cela aux conceptions chinoises les plus communes, la séparation est beaucoup moins nette. Par rapport aux animaux, l'être constitutif de l'homme est infiniment plus alerte et plus délié, de même que sa capacité de "fonctionnement" est plus ample, mais il n'est pas essentiellement différent d'eux."
(ce passage m'a d'ailleurs poussé à lire le livre de cet auteur Jean-Marie Schaeffer  intitulé "la fin de l'exception humaine", livre que je recommande ici).

Enfin, Julien Badiou page 150 résume l'hypothèse de travail de François Jullien : "il y a un seul monde, c'est vrai, mais ce monde est structuré par des pensées distinctes. A cette hypothèse s'opposent farouchement les tenants du nouvel ordre mondial démocratique comme les culturalistes de la multiplicité."

Encore une position à laquelle je souscris. ]]>
Une petite photo pour un petit livre. Petit. Poussé par la querelle qui oppose François Jullien et ses nombreux détracteurs (ne citons qu’ Anne Cheng et Jean Francois Billeter), j’ai acheté ce livre qui manque particulièrement d’intérêt. Un peu comme ce livre noir de la psychanalyse et cet anti-livre noir de la psychanalyse qui m’avaient profondément lassés l’an dernier.

C’est un ouvrage collectif signé par les amis du sinologue, dont le renommé Léon Vandermeersch 

Quelques notes tout de même : page 12 cette phrase de Françoise Gaillard à laquelle je souscris volontiers : “François Jullien est un mauvais missionnaire de la religion des droits de l’homme”.

Page 53, notons un passage intéressant de Patrick Hochart sur la partialité de la parole, avec les racines grecques du logos, du legein ti, du hen ti, de l’homologia.

Plus loin page 66, Philippe Jousset écrit, en parlant de peinture, que “l’oeil est l’organe roi pour penser le rapport occidental au monde, depuis les grecs ; c’est le souffle, en Orient (inspiration, expiration: dans le recueillement, tout point de “vue” s’abolit, on n’est plus “vis-à-vis” de rien, et la clôture entre le monde et l’individu tombe.”
Et page 69 : “La pensée chinoise se présente non comme un modèle, mais bien davantage comme pourvoyeuse de bonne distance à l’égard de nos propres théories et pratiques, pour les faire apparaître comme telles et non point comme nature, fût-ce une “nature” culturelle.”
 La fin de cette phrase est très éclairante à mes yeux.

Jean-Marie Schaeffer explique, page 83 que la pensée chinoise, en construisant le réel non pas comme une collection d’entités mais comme un processus, fait l’économie de l’ontologie (que l’Inde avait abordé). D’où une absence en chine de ce dualisme ontologique, de cette rupture ontique si présents en occident, dualisme selon lequel l’homme et le reste du monde vivant seraient différents par essence, dans leur être propre. François Jullien est cité à propos de Wang Fuzhi :
Au regard de la foi chrétienne, de même que déjà pour la métaphysique platonicienne, l’âme est une substance radicalement différente de celle du corps. Or pour Wang Fuzhi, fidèle en cela aux conceptions chinoises les plus communes, la séparation est beaucoup moins nette. Par rapport aux animaux, l’être constitutif de l’homme est infiniment plus alerte et plus délié, de même que sa capacité de “fonctionnement” est plus ample, mais il n’est pas essentiellement différent d’eux.”
(ce passage m’a d’ailleurs poussé à lire le livre de cet auteur Jean-Marie Schaeffer  intitulé “la fin de l’exception humaine“, livre que je recommande ici).

Enfin, Julien Badiou page 150 résume l’hypothèse de travail de François Jullien : “il y a un seul monde, c’est vrai, mais ce monde est structuré par des pensées distinctes. A cette hypothèse s’opposent farouchement les tenants du nouvel ordre mondial démocratique comme les culturalistes de la multiplicité.”

Encore une position à laquelle je souscris.

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La pensée en Chine aujourd’hui, sous la direction d’Anne Cheng 7/10 http://florent.blog.com/2009/02/15/la-pensee-en-chine-aujourdhui-sous-la-direction-danne-cheng-710/ http://florent.blog.com/2009/02/15/la-pensee-en-chine-aujourdhui-sous-la-direction-danne-cheng-710/#comments Sun, 15 Feb 2009 15:47:33 +0000 florent Anne Cheng, la fille de François Cheng.

Le livre présenté ici se place aujourd'hui, c'est à dire dans les deux ou trois derniers siècles. C'est un panorama des réflexions sur la prétendue "altérité chinoise", une altérité radicale de laquelle Anne Cheng cherche à tordre le cou.
 Les trois parties de l'ouvrage traitent successivement de dynamiques de la modernité, de l'invention des catégories modernes (philosophie, religion, médecine) et enfin de questions d'identité autour de l'écriture et de la langue. l'épilogue est intitulé "dépasser l'altérité". Un beau programme !

Je le reprends ici chapitre par chapitre car c'est un ouvrage collectif.
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Jacques Gernet : Modernité de Wang Fuzhi

On explore avec le sinologue Gernet (voir un de ses livres) la pensée de Wang Fuzhi, grand lettré du XVIIe siècle.
On apprend à se méfier du langage et à se fonder essentiellement sur la nature et le sensible, à l'opposé de ce rationalisme qui nourrit toute notre philosophie occidentale et qui animait les premiers missionaires jésuites en Chine. Les causes d'incompréhension entre les missionnaires et les lettrés sont très bien exposées, par exemple la distinction entre la substance et l'accident (qui repose sur la distinction entre le substantif et l'adjectif ; une distinction peu présente en chinois classique). Belle analyse plus loin de la distinction entre l'exprit et la matière.
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Léon Vandermeersch : La conception chinoise de l'histoire

Encore un grand sinologue qui s'exprime (voir une conférence sur les rites  et un livre sur le légisme)
A partir du terme shi2 时 (dont ]]>
Toute personne intéressée par la civilisation chinoise se doit d’avoir lu “l’histoire de la pensée chinoise”, ouvrage rapide mais de référence signé Anne Cheng, la fille de François Cheng.

Le livre présenté ici se place aujourd’hui, c’est à dire dans les deux ou trois derniers siècles. C’est un panorama des réflexions sur la prétendue “altérité chinoise”, une altérité radicale de laquelle Anne Cheng cherche à tordre le cou.
 Les trois parties de l’ouvrage traitent successivement de dynamiques de la modernité, de l’invention des catégories modernes (philosophie, religion, médecine) et enfin de questions d’identité autour de l’écriture et de la langue. l’épilogue est intitulé “dépasser l’altérité“. Un beau programme !

Je le reprends ici chapitre par chapitre car c’est un ouvrage collectif.
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Jacques Gernet : Modernité de Wang Fuzhi

On explore avec le sinologue Gernet (voir un de ses livres) la pensée de Wang Fuzhi, grand lettré du XVIIe siècle.
On apprend à se méfier du langage et à se fonder essentiellement sur la nature et le sensible, à l’opposé de ce rationalisme qui nourrit toute notre philosophie occidentale et qui animait les premiers missionaires jésuites en Chine. Les causes d’incompréhension entre les missionnaires et les lettrés sont très bien exposées, par exemple la distinction entre la substance et l’accident (qui repose sur la distinction entre le substantif et l’adjectif ; une distinction peu présente en chinois classique). Belle analyse plus loin de la distinction entre l’exprit et la matière.
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Léon Vandermeersch : La conception chinoise de l’histoire

Encore un grand sinologue qui s’exprime (voir une conférence sur les rites  et un livre sur le légisme)
A partir du terme shi2 时 (dont

la forme traditionnelle est 時 et la forme archaique 旹) qui montre la marche du soleil, l’auteur développe un parallèle entre la vision chinoise du moment et la vision occidentale de la durée (qui en chinois n’est que l’intervalle entre deux moments 时间). Alors qu’en occident un moment n’est finalement qu’une courte durée, la vision classique chinoise en fait un élément constitutif des mutations de l’univers dynamique (dao 道).
Malgré les modernisations de cette vision du temps au XXe siècle (avec bien sûr l’historicisation “à l’occidentale puis le matérialisme historique d’inspiration marxiste), l’auteur reste très indécis sur un conflit non réglé : celui qui oppose les visions Weberiennes et les visions confucianistes traditionnelles.
(précisons modestement que je suis tout aussi indécis que lui)

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Nicolas Zufferey : De Confucius au romancier Jin Yong
Excellente lecture : Jin Yong est en Chine perçu comme un monument de la littérature contemporaine.
Nicolas Zufferey montre qu’après les campagnes anticonfucianistes tout au long du XXe siècle, les courants récents remettent au goût du jour les idéaux traditionnels chinois, en parallèle à un regain de nationalisme.
Il montre l’aspect protéiforme du confucianisme qui s’est beaucoup adapté aux époques et donne très envie de lire du jinyong
Jinyong est connu en occident sous le nom de Louis Cha (438000 réponses google quand même).
Le renouveau des romans de cape et d’épée (xin wuxia xiaoshuo 新武侠小说) date des années 50 à hong kong. Il poursuit la tradition de   “au bord de l’eau”

En 2003 un grand sondage a promu Jinyong deuxième “grande idole culturelle”, juste après luxun.   (voir une nouvelle de lui

L’auteur M Zufferey joue avec ce binôme, montrant qu’au Luxun littéraire, révolutionnaire, occidentalisant et modernisateur on peut opposer un Jinyong qui va puiser dans la tradition chinoise pour un divertissement en langue vernaculaire.
Bien que les romans de Jinyong soient très teintés de taoisme (et de mohisme), l’auteur met en regard l’anti-confucianisme de Luxun et les fondements confucianistes de l’oeuvre de Jinyong. Certes, beaucoup de héros de Jinyong sont illettrés (comme shi potian), mais ils arrivent à déchiffrer les techniques de guerre cachées dans les caractères d’un poème de Libai simplement en regardant les traits des caractères comme des épées.
La piété filiale reste très importante dans l’oeuvre de Jinyong, pas seulement sous la forme de la vengeance (un héros tue sa femme pour venger son père sans que cela ne soit critiqué dans le roman). La quête du père est très présente aussi, tout comme la fidélité 忠 au maître et aux règles.

L’auteur termine en reliant ce renouveau du roman d’arts martiaux avec la poussée de l’autoritarisme et du nationalisme en Chine. Ce genre donne une vision romantique et exhaltée du passé chinois, ce qui correspond à une aspiration actuelle du peuple chinois. Jinyong serait l’auteur chinois le plus lu aujourd’hui.

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Joel Thoraval : La tentation pragmatiste dans la Chine contemporaine
Ce chapitre m’a moins marqué, sans doute parce qu’il évoque beaucoup John Dewey (et l’influence du pragmatisme américain sur la Chine moderne), qui passe deux ans en Chine en 1919 et 1920 , et que je connais très mal.
Citons juste une phrase de ce chapitre :
“à l’opposé d’une conception héritée des lumières faisant de l’individu porteur de droits innés le fondement de l’ordre social, le pragmatisme défend une conception communautariste de la démocratie qui peut entrer en résonance avec la vision confucéenne”

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Jean Philippe Béja : Liu Xiaobo : le retour de la morale

Liu Xiaobo est un intellectuel contemporain, né en 1955, qui souffre comme tant d’autres des troubles de la période maoiste. Il n’obtient son doctorat de littérature qu’en 1988, à l’âge de 34 ans. Il a commencé comme écrivain en critiquant ce genre de « littérature de cicatrices » qui racontaient les horreurs de la période maoiste. Ses critiques, formulées au nom de l’autonomie politique de l’écrivain (il fustige autant les conservateurs que les révolutionnaires) ont été fort mal recues. Mais voilà qu’en 1989 il s’engage fortement dans le mouvement démocratique qui aboutit au massacre de la place tian an men天安门. Il sera arrêté puis libéré et poursuivra un engagement qui le rapproche de Vaclav Havel.

Dans le reste du chapitre, que je ne déflorerai pas plus avant, Jean Philippe Béjà expose le parcours et les idées de Liu Xiaobo.

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Anne Cheng : Les tribulations de la “philosophie chinoise” en Chine
Dans un chapître dont le titre est un clin d’oeil au roman de Jules Verne, Anne Cheng expose les conditions et les ressorts de l’apparition d’une “philosophie” en Dhine au début du XXe siècle, comme elle le fait dans une conférence (vidéo) et dans une revue (“y a  t il une philosophie chinoise ?) cités sur ce blog.

Anne Cheng présente les œuvres de Hu Shi et surtout de Feng Youlan. Avec les balbutiements d’une « philosophie  chinoise » soumise aux catégories occidentales, et qui ne sait pas s’il s’agit d’un « rattrappage » ou bien d’une « autre philosophie » (Feng Youlan considère la Chine comme se trouvant « à l’époque médiévale) ; mais par ailleurs il considère les courants successifs de Xuanxue玄学 (III & IV siècle ap JC), de Daoxue 道学 (sous les Ming puis les Qing) ou de yili zhi xue义理 (Qing) comme des études proprement philosophiques).


 

A la fin du chapitre Anne Cheng montre qu’à la quête chinoise d’une place à trouver dans la discipline de la philosophie s’ajoute depuis quelques années la quête de nombreux occidentaux qui cherchent (parfois par simple lassitude de leur propre environnement intellectuel) à entrer dans la vision chinoise des choses

« Nous avons là en vérité une belle rencontre au sommet entre le désir occidental d’altérité et le désir chinois d’identité »

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Vincent Goossaert : L’invention des “religions” en Chine moderne

 Dans ce très intéressant chapitre, Vincent Goossaert nous montre les profonds bouleversements du paysage religieux chinois au XXe siècle.

La situation de départ est bien expliquée : Les trois religions (Bouddhisme Taoisme Confucianisme) étaient bien dotées d’un clergé, d’une liturgie, d’un canon, de monastères et centres de formation. Mais elles différaient des religions chrétiennes (catholique et protestante) sur un point important : l’appartenance à une religion ne se manifestait vraiment qu’au sein du clergé. Un moine bouddhiste était bouddhiste, un moine taoiste était taoiste. Mais un fidèle laic pouvait alterner entre l’un et l’autre ; il n’était pas « enregistré » sur les livres de telle ou telle religion.  Il pouvait appartenir à un cercle ou une association locale, qui pratiquait certains rites d’une ou plusieurs religions.

Les pratiques religieuses occidentales (baptême, tenue de registres ; organisation du clergé avec un pouvoir central) ont en fait profondément remodelé les modes de fonctionnement des grandes religions chinoises.

A partir de la période communiste en RPC, c’est plus à Taiwan qu’il faut regarder comment les structures religieuses ont évolué.

Les politiques religieuses sont fort bien analysées (on voit de manière continue en Chine une lutte contre les superstitions, au nom de la modernité), ainsi que la « réinvention récente » de la notion de religion (qui passe par des tentatives de création de « laïcat » qui connaissent le plus souvent des échecs).

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Elisabeth Hsu : La médecine traditionnelle chinoise en RPC : d’une “tradition inventée” à une “modernité alternative”

Sur un sujet que je connais plutôt mal, Elisabeth Hsu nous donne encore un panorama très clair des évolutions de la « médecine traditionnelle chinoise »  au XXe siècle, siècle de l’enracinement de la médecine occidentale en Chine.
Mao considérant la médecine chinoise comme « un grand trésor », les débuts de la RPC marquent la véritable « invention de la MTC » sur des formes nouvelles : enseignement (quatre grandes académies sont créées entre 56 et 64), manuels de médecine, et revendications parfois universelles.
La parenthèse de la révolution culturelle, lors de laquelle les médecins sont persécutés comme des membres de la « neuvième catégorie puante » (voir le film vivre), ne signifie pas pour autant régression totale : c’est durant cette période que fut édité le zhongyao dacidian (中药大词典, ouvrage de référence). C’est aussi durant cette période qu’eurent lieu les travaux préparatoires à la découverte de l’antimalarien le plus efficace à ce jour, le qinghao.

L’histoire du Qigong est aussi retracée, avec un formidable essor depuis les années quatre-vingt.

Aujourd’hui les deux formes de médecine coexistent et s’intègrent parfois (zhongxiyi jiehe中西医结合), avec des enjeux colossaux autour de la vente de produits médicinaux traditionnels chinois, qui s’adresse de plus en plus aux marchés globaux de la santé.

On arrive alors à la troisième partie du livre, dédié à des questions d’identité autour de l’écriture et de la langue
Cette partie m’a beaucoup intéressé et inspiré pour le billet récent sur l’écriture chinoise.
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Viviane Alleton : L’écriture chinoise, mise au point.
L’auteur démonte les idées recues, comme celle d’idéogrammes chinois dessinant les choses, et donnant un accès direct au sens sans la médiation de la parole.
On aborde ensuite les processus de lecture, sujets à moult débats, en s’appuyant sur des études psycholinguistiques :
A phantom of linguistic relativity : script, speech and thought (Ovid JL Tzeng et Daisy L Hung)
Guo Taomei : The role of phonological activation in the visual semantic retrieval of chinese characters (cognition)

Citons Viviane Alleton :
A la différence des alphabets, où l’unité graphique, la lettre, correspond à un phonème non signifiant, le caractère chinois est un signe linguistique complet (signifiant et signifié). Alors que le mot écrit en francais comporte une analyse de sa prononciation, un caractère chinois suggère sa prononciation en bloc, toute la syllabe d’un coup et en même temps le sens : c’est un signe linguistique

Ces lignes me semblent peu discutables.
Maintenant, quelles conséquences peut on en tirer sur la cognition ? pendant longtemps on a cru que la manière de lire des chinois était différente, plus globale que celle de francais par exemple.
Les psychologues ont d’abord étudié les troubles des aphasiques, puis la lecture chez les sujets normaux.

Alors que les débutants verbalisent chaque mot pour en saisir le sens, on se demandait si les lecteurs entraînés ont besoin de cette médiation par la parole pour avoir accès au sens des mots écrits. De nombreuses expériences ont validé l’hypothèse de la “double route” : il y aurait tantôt accès direct, visuel, tantôt recodage phonique. Il semble prouvé que le recours à l’une ou l’autre voie est déterminé par la fréquence des mots ; leur régularité orthographique et la vitesse de lecture. Pour les mots fréquents et réguliers, on tend à se passer de détour phonique, surtout quand on lit vite ; dans tous les autres cas l’identification des sons est nécessaire

Voilà qui invite à ne pas faire de distinction fondamentale entre la manière dont un chinois lit et la manière dont un francais lit.

Il y a quelques décennies on a montré que l’hémisphère droit était plus sollicité par un chinois lisant. (l’hémisphère droit est plus spécialisé dans la reconnaissance des formes, alors que Le gauche contrôle les facultés du langage et l’emploi des écritures alphabétiques).
Néammoins on a montré en 1979 (et confirmé depuis) que si c’est vrai pour un caractère isolé, ce ne l’est pas pour un mot composé (binôme, trinôme).

En conclusion : un francais et un chinois ont une double approche de la lecture : pour un mot / caractère bien maîtrisé il y a une approche globale (hémisphère droit), pour un mot / binôme posant difficulté il y a médiation par le son. Les proportions sont sûrement différentes; mais les deux “routes” sont utilisées par un francais comme par un chinois

L’auteur finit son texte en donnant quelques qualités de l’écriture chinoise : rigueur et liberté, un rôle fondateur dans la civilisation, productivité et adaptabilité, adaptation aux technologies de l’information.

—————————-

Chu XiaoQuan : Identité de la langue, identité de la Chine

Riche chapitre encore, dont je ne retiens qu’une phrase ici :
« Désireux d’accéder à l’immortalité comme ses lointains pairs les pharaons égyptiens, Qin Shi Huangdi, le premier empereur chinois, n’était pas insensible à la constance extraordinaire de l’écriture chinoise et, une fois sur le trône impérial, il se mit à bâtir son autorité universelle, non pas sur les blocs majestueux des pyramides, mais sur ces petits carrés de caractères chinois dont la forme avait été fixée par son Premier ministre dans un texte modèle diffusé dans son vaste empire »

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Zhang Yinde : La “sinité” : l’identité chinoise en question

Cet essai m’a semblé un peu plus obscur. On y traite du “nationalisme culturel” avec des illustrations qui m’ont peu convaincu, comme ce curieux chiffre donné :
On déplore ainsi les déséquilibres dans le seul domaine des traductions : 1 068 000 titres européens ont été traduits en chinois au XXe siècle alors que depuis plusieurs centaines d’années seuls 3000 ouvrages chinois ont été traduits en langues européennes.”
Le déséquilibre évoqué existe sûrement (on pourrait évoquer aussi les centaines de millions de chinois qui parlent anglais face à quelques (dizaines de?) millions d’anglophones parlant chinois, mais le chiffre donné (sans source) me semble curieux.
On trouve plus bas un résumé des positions prises par l’historien politique contemporain Wang Hui, qui décrit bien la stabilité chinoise : 
La Chine est le seul pays où le territoire, la démographie et la politique culturelle, issus d’un empire antérieur au XIXe siècle, soient conservés dans un état souverain et multi-ethnique.”
 

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Damien Morier Genoud : Où en est la pensée Taiwanaise ? Une histoire en constante réécriture.

Pas de résumé pour cet article plutôt complexe.

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EPILOGUE : Dépasser l’altérité
Karine Chemla : Penser sur la science avec les mathématiques de la Chine ancienne.

Le dernier chapitre intitulé “dépasser l’altérité” est passionnant : il cherche à réparer une erreur tenace et répandue selon laquelle le chinois ne serait pas une langue logique, apte au raisonnement scientifque et à la modernité. (voir un livre sur l’abstraction)

On part de positions de l’éminent sinologue Marcel Granet qu’il faudra ensuite contrer. Ces positions de Granet sont tirées d’un article publié en 1920 dans la “revue philosophique de la France et de l’étranger” sous le titre “quelques particularités de la langue et de la pensée chinoise”
Granet décrit dans cet article la langue chinoise comme imagée et poétique, mais tournée vers le passé plutôt que vers le progrès, et ainsi inapte à la démarche scientifique (notamment car elle illustre les choses au lieu de les définir, et car elle reste implicite). Ce propos m’a rappelé cette riche notion de langues à haut ou bas contexte  

Citons un passage p193 : “Associée aux formes d’expression qu’elle revêt habituellement, la pensée chinoise peut-elle s’appliquer à la recherche scientifique ? Cette pensée, qui semble d’essence pittoresque et musicale, qui s’exprime en tout cas, par rythme et par symboles concrets, quel succès aura-t-elle, appliquée à un domaine où sont requis des formulations claires et distinctes et des jugements explicites?” 
Précisons que Granet reste aujourd’hui un très éminent sinologue.

Encore un passage intéressant juste avant :
“Tandis qu’un francais, par exemple , possède, avec sa langue, un merveilleux instrument de discipline logiqque, mais doit peiner et s’ingénier s’il veut traduire un aspect particulier et concret du monde sensible, le chinois parle au contraire un langage fait pour peindre et non pour classer, un langage fait pour évoquer les sensations les plus particulières et non pour définir et pour juger, un langagte admirable pour un poète ou pour un historie, mais le plus mauvais qui soit pour soutenir une pensée claire et distincte, puisqu’il oblige les opérations qui nous seomblent les plus nécessaires à l’esprit, à ne se faire jamais que de facon latente et fugitive.”
(notons bien qu’il ne nie ni logique ni abstraction à la langue chinoise. Il lui nie la capacité de les fixer de manière durables en règles qui, se transmettant et s’enrichissant de génération en génération, deviennent le progrès)

On comprend alors la conclusion et la recommandation que Granet donne aux intellectuels chinois p190 191 :
“Tant qu’il s’écrira en caractères, le chinois restera une langue toute concrète et une langue morte. [...] Le problème qui se pose aux chinois me paraît revenir à ceci : travailler tout de suite de manière à transformer la langue parlée en la rendant susceptible de supporter une transcription phonétique, et en faisant d’elle une langue neuve, qui échappe à l’influence de la langue écrite [...] et où l’usage de la dérivation et des formes grammaticales puisse arriver à s’installer”

On voit que Granet proposait supprimer le chinois classique ( 文言 wenyan) en supprimant carrément les caractères chinois, et même en allant plus loin c’est à dire en “important” de la grammaire de type occidental. C’était assez radical comme projet !

L’auteur, après nous avoir invité à réfléchir à une science qui serait plus suggestive que de définitive, reprend une démonstration chinoise ancienne (XIIIe S) du théorème de pythagore, (théorème qui est déjà mentionné dans les “neuf chapitres sur les procédures mahématiques” autour de JC), pour contrer les vues de Granet exposées en introduction.

J’ai retrouvé la même image, extraite d’un site qui expose plusieurs démonstrations du théorème de Pythagore.

Alors j’essaie de vous faire la démonstration.
En bas à gauche, vous prenez le carré de trois cases sur trois cases, et en bas à droite vous prenez le carré de 4*4. Vous jetez toute la partie haute. On obtient deux carrés accolés, l’un de 3 cases de côté et l’autre de quatre cases

En bas à gauche vous prenez le triangle du coin et vous le pivotez autour de son coin haut, dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, de 90°.
Ensuite en bas à droite vous prenez le triangle du coin et vous le pivotez, de 90° aussi mais dans le sens des aiguilles d’une montre, pour venir le placer avec le plus long des côtés perpendiculaires en haut du cube 4*4. Vous voyez ce que ca donne ?

Vous retrouvez ainsi le carré incliné qui se trouvait à l’intérieur du grand carré d’ensemble.
On arrive alors à retrouver nos petits. Si l’hypothénuse est X et les deux côtés Y et Z (donc ici trois et quatre), on a bien la surface du carré inclité X2 qui est égale à Y2 + Z2 (3*3+4*4)

Mais ce que je trouve très biscornu, c’est de partir de cette forme plutôt curieuse avec deux carrés contigus, de côté différents. Cela tient mais ce n’est pas carré comme raisonnement, à mes yeux. Vous ne trouvez pas ?

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Traduire ce n’est pas trahir http://florent.blog.com/2008/04/27/traduire-ce-nest-pas-trahir/ http://florent.blog.com/2008/04/27/traduire-ce-nest-pas-trahir/#comments Sun, 27 Apr 2008 22:40:54 +0000 florent
Est ce possible ou non de traduire ?
Doit-on viser la fidélité ou la créativité pour plus d'intelligibilité ?
Cherche-t-on l'exotisme ou bien la naturalisation ?


J'avais posté ici une belle bourde de traduction, ainsi que pas mal de poésies et deux nouvelles de Luxun : Guxiang et Kong Yiji.
 
Voici un lien passionnant vers une réflexion sur la question. J'en reprends quelques extraits :

(mes commentaires ou introductions sont entre parenthèses)

La langue et la culture chinoises semblent précisément pouvoir nous offrir, en tant qu’Occidentaux, ce point ]]>
Les questions qui se posent sur la traduction entre Français et Chinois me passionnent.

Est ce possible ou non de traduire ?
Doit-on viser la fidélité ou la créativité pour plus d’intelligibilité ?
Cherche-t-on l’exotisme ou bien la naturalisation ?

J’avais posté ici une belle bourde de traduction, ainsi que pas mal de poésies et deux nouvelles de Luxun : Guxiang et Kong Yiji.
 
Voici un lien passionnant vers une réflexion sur la question. J’en reprends quelques extraits :

(mes commentaires ou introductions sont entre parenthèses)

La langue et la culture chinoises semblent précisément pouvoir nous offrir, en tant qu’Occidentaux, ce point

ultime de référence permettant de relativiser l’étendue de notre civilisation. La Chine serait ” cet Autre fondamental sans la rencontre duquel l’Occident ne saurait devenir vraiment conscient des contours et des limites de son Moi culturel “, comme l’écrit Simon Leys

Le philosophe Paul Ricoeur souhaite sortir de cette alternative théorique entre le ” traduisible versus l’intraduisible ” qui pour lui est ” une impasse spéculative ” menant vainement à la tentative de justifier a priori une langue universelle qu’elle soit originaire ou reconstruite. [5] La traduction est pour lui un fait prouvé par son exercice même ; aussi du point de vue d’une dialectique pratique, l’opposition légitime est plutôt ” fidélité versus trahison “, quitte à faire de la pratique de la traduction ” une opération risquée toujours en quête de sa théorie “. L’acte proprement opératoire de traduire serait donc ce travail qui consiste à ne pas trahir l’original c’est-à-dire à lui être le plus fidèle possible. En ce sens, ce n’est pas la traduction qui est impossible, c’est la traduction parfaite.

(sur l’exotisme parfois ésotérique qui “fait bien” et que certains recherchent, faisant alors dévier le langage de sa fonction première)
” Tant que l’on ne sent pas l’étrangeté, mais l’étranger, la traduction a rempli son but suprême ; mais là où l’étrangeté apparaît en elle-même et obscurcit peut-être même l’étranger, alors le traducteur trahit qu’il n’est pas à la hauteur de l’original. “, écrit W. von Humboldt

(extraordinaire propos d’un linguiste chinois)
on est frappé par une similitude étonnante entre l’histoire de la tradition chinoise et occidentale. Du problème-clé de la traduction qu’est la fidélité dérive toute une série de binômes, tels que la traduction littérale et la traduction libre, la traduction des mots et la traduction du sens, la fidélité à la forme et la fidélité au fond, le fidélité au corps et la fidélité à l’âme, l’imitation et la récréation, la fidélité et la trahison, l’exotisme et la naturalisation, la traduction sourcière et cibliste, le vrai et le beau, l’exactitude et la beauté, la possibilité et l’impossibilité, etc. La formulation de ces problèmes est presque la même en Occident et en Chine

(je ne connaissais pas ce paradoxe de laozi en gras ; il est beau et profond!)
Dès la dynastie des Han de l’Est (25-220 ap. J.-C.), un grand nombre d’ouvrages bouddhiques ont été traduits en chinois. La Préface à la traduction des Canons bouddhiques (148 ap. J.-C.) de Zhiqian, traducteur célèbre à l’époque des trois Royaumes, est considérée comme le premier traité sur la traduction. L’auteur s’y réfère au dilemme très connu posé par Laozi, un des plus grands sages chinois : la parole belle n’est pas fidèle, et la parole fidèle n’est pas belle. Il s’agit alors pour Zhiqian de ne pas embellir les Canons bouddhiques mais d’y être fidèle. ” Ce qui nous fait penser tout de suite aux « belles infidèles » françaises qui ont partout leurs cousines. “, remarque Xu Jun.

(ce serait marrant de compter les nombres de mots de ces traductions pour voir la concision des traducteurs ; pour voir s’ils ont tendance à “concentrer le texte” ou au contraire à le “diluer”)
De la même façon qu’en France la traduction de l’œuvre de Virgile l’Enéide a connu 36 versions différentes au cours de l’histoire, le roman de Stendhal Le Rouge et le Noir possède une quinzaine de versions chinoises.

(intéressante phrase qui montre pour moi combien la fidélité est un mythe)
Ensuite, la traduction, s’inscrivant dans des époques historiques, vieillit.

(je serais plutôt de l’avis de Xu Yuanchong ci dessous, et vous ?)
Xu Jun retrace ainsi l’immense débat qui a eu lieu en Chine en 1995 autour de la retraduction du roman français en question entre les traducteurs, les théoriciens de la traduction mais aussi les lecteurs. Dans ce débat, deux traducteurs du Rouge et le Noir divergent totalement de point de vue.

Le premier, Hao Yun, considère qu’on n’a pas le droit de changer ce que l’auteur a créé dans son œuvre :

” Si l’original est une algue, j’essaie de l’offrir avec son goût original aux lecteurs chinois, sans la changer en nouilles, bien que l’algue soit plus difficile à digérer que les nouilles pour les lecteurs.”

Le second, Xu Yuanchong, pense que la traduction est une recréation en concurrence avec l’original qui doit le dépasser en faisant prévaloir les avantages de la langue d’arrivée :

” Je m’efforce toujours de traduire le Rouge et le Noir en une langue purement chinoise. “
(notons que les lecteurs chinois préfèrent en grande majorité la fidélité, même “exotique”)

(un brin prise de tête)
Il doit y avoir de la recréation dans la fidélité et de la fidélité dans la recréation.

(tout le passage sur l’historicité de la traduction, qui est faite de “cas particuliers”, est passionnant. En voici juste un extrait)
Ainsi, pour échapper à l’opposition entre l’objectivité du texte à traduire et la subjectivité du traducteur, se sentant toujours coupable de trahison, Xu Jun propose de ne plus prendre le critère exclusif de la fidélité pour juger de la qualité d’une traduction mais d’avoir une vue d’ensemble comprenant plusieurs niveaux : niveau de pensée, niveau sémantique et niveau esthétique. Il faut, dans ces différents niveaux, « chercher l’équivalence dans la différence ». Au niveau fondamental qui se base sur l’universalité de la pensée, on peut espérer une équivalence à peu près identique. Par contre au niveau sémantique où l’on doit obéir aux lois et règles de chaque langue, les équivalences sont inévitablement réduites. Au niveau esthétique, le degré d’équivalence variera en fonction de la subjectivité et la créativité de chaque traducteur. C’est l’harmonie de ces trois niveaux qui donnera une bonne traduction.
(extraordinaire propos non ? cela rejoint les propos de noel dutrait que nous avions relevé plus haut dans ce post)

François Jullien évoque l’échec de l’écrivain Lu Xun à vouloir intégrer la pensée de Freud dans un de ses contes, la figure du sujet présente dans la psychanalyse n’ayant “pas pris” en Chine en ce début de 20e siècle. [20] Mais aujourd’hui, un siècle plus tard, le premier psychanalyste chinois Huo Datong pratique bel et bien la science freudienne dans son cabinet à Chengdu.
(haha, mais cela signifie t il aujourd’hui que la figure du sujet ait “pris” en chine ? une des questions les plus difficiles à mes yeux)

(De jolies images de francois Cheng et Segalen (que je suis en train de lire : un régal!)
Pour l’écrivain chinois francophone François Cheng [26], les idéogrammes chinois, pratiquement coupés de la langue parlée, sont reliés directement aux choses qu’ils figurent par des traits essentiels. Il n’y pas de distance, de rupture entre les signes et le monde, entre l’homme et l’univers, mais au contraire est valorisée une ” conscience intersubjective où l’autre n’est jamais posé en vis-à-vis “. La genèse de l’idéogramme wen est par exemple très significative. Il désigne d’abord les dessins sur la robe d’un animal ou ceux des écailles de la tortue, telles des traces par lesquelles la nature signifie. C’est justement à l’image de ces signes que furent créés les signes linguistiques (empreintes d’animaux, traces d’oiseaux sur le sable), qu’on nomme également wen : 文 Chaque idéogramme contenant une multiplicité de strates graphiques et de sens est ainsi une « métaphore en puissance ». Si la métaphore est, en Occident, l’outil de la création poétique, la langue chinoise est en elle-même déjà métaphorique, déjà poétique et c’est à ce titre qu’elle a toujours fasciné les poètes français.

Citons Victor Segalen à qui les caractères chinois, “symboles nus courbés à la courbe des choses “, lancent le défi de leur faire dire ” ce qu’ils gardent ” :

“Ils dédaignent d’être lus. Ils ne réclament point la voix ou la musique. Ils méprisent les tons changeants et les syllabes qui les affublent au hasard des provinces. Ils n’expriment pas ; il signifient ; ils sont. ” [27].

(phrase intéressante qui me fait penser au jeu de go )
La composition même d’un texte chinois diffère totalement de celle d’un texte français. Là où le texte français dissèque son sujet selon une ligne directrice, déduisant logiquement des idées à partir de l’idée centrale ; le texte chinois le dissimule, tourne autour, induisant et suggérant à la façon de la poésie.

(l’explication d’un chengyu amusant : 邯郸学步)
le texte chinois est souvent truffé de « chengyu », ces expressions figées à quatre caractères dont certains sont la contraction de contes de l’antiquité. Par exemple, Handan xue bu : « Apprendre la démarche des gens de Handan » : un jeune homme s’en alla à Handan ; il y admira la démarche de ses habitants et tenta de l’acquérir ; non seulement ses efforts furent vains, mais il oublia son ancienne façon de marcher et fut contraint de retourner chez lui à quatre pattes. Ce chengyu signifie qu’à trop vouloir imiter autrui, on perd sa propre originalité, ou encore qu’il ne faut pas aller contre la nature des choses. La langue française possède aussi des proverbes faisant référence à l’antiquité mais ce qui diffère c’est la fonction littéraire de ces expressions proverbiales qui rehaussent le style d’un texte chinois. Alors que dans un texte français le style est avant tout la marque de l’individualité de l’auteur, dans un texte chinois le style consiste dans la référence et la maîtrise de ces expressions répétées depuis la nuit des temps. Que fera alors le traducteur français de ces chengyu ?

(curieuse affirmation que je ne suis pas sûr de partager : )
Notre idée est qu’il est plus difficile de traduire du chinois vers le français que du français vers le chinois, sans pour autant nier les nombreux obstacles qui existent dans ce dernier cas.

(là par contre je suis totalement d’accord)
La traduction propre à la langue chinoise ne relèverait-elle pas ainsi d’un domaine plus vaste que celui de la linguistique à savoir celui de l’étude des signes, la sémiotique ?

Si toute traduction est sémiotique, alors ce qui devient intéressant ici ce n’est ni la fidélité de la traduction d’une langue à une autre, ni les difficultés d’ordre linguistique ou littéraire, mais la possibilité de passer d’un système de signes à un autre favorisant le dialogue des culture voire leur métissage dans un acte de réécriture. La littérature chinoise francophone en est un exemple.

Terminons par trois conclusions générales sur cet article :

- D’abord, si on fait une recherche (par ctrl-F) sur la page on se rendra compte que l’article élude soigneusement la question du mot chinois. C’est quoi un mot ?
Il y a juste la phrase de wilhelm : C’est que le chinois, à la différence des langues européennes voire sémitiques, se compose de mots dont le sens, incertain, n’est précisé que par le contexte, ou la glose qui en donne l’acceptation autorisée. Phrase hasardeuse car le mot a du sens, par définition. Il est unité de sens.
- Ensuite je regrette que la notion de concision ne soit pas abordée ; elle est compliquée et difficile à comprendre dans mon expérience
- Enfin sur l’historicité de la traduction je trouve dommage que les traductions actuelles de textes anciens ne soient pas mentionnées. Il y a des “distortions d’époque” qui rentrent à l’évidence en jeu.

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Philosophie Chinoise http://florent.blog.com/2008/03/12/philosophie-chinoise/ http://florent.blog.com/2008/03/12/philosophie-chinoise/#comments Wed, 12 Mar 2008 22:02:11 +0000 florent La revue Philosophie des éditions de minuit a consacré son numéro 44 à la philosophie chinoise.
Trois brillants contributeurs : François Billeter, Anne Cheng, François Jullien. Notons que le premier et le troisième sont depuis devenus de féroces ennemis ; et qu'Anne Cheng est la fille de François Cheng.

(Jean-)Francois Billeter est un grand spécialiste du Zhuangzi, sur lequel il a écrit plusieurs livres (j'ai lu les leçons mais juste parcouru les études).

Je n'ai pas aujourd'hui le temps de développer, mais je recommande cette courte lecture. ]]>
RevuePhilosophieLa revue Philosophie des éditions de minuit a consacré son numéro 44 à la philosophie chinoise.
Trois brillants contributeurs : François Billeter, Anne Cheng, François Jullien. Notons que le premier et le troisième sont depuis devenus de féroces ennemis ; et qu’Anne Cheng est la fille de François Cheng.

(Jean-)Francois Billeter est un grand spécialiste du Zhuangzi, sur lequel il a écrit plusieurs livres (j’ai lu les leçons mais juste parcouru les études).

Je n’ai pas aujourd’hui le temps de développer, mais je recommande cette courte lecture.

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Des limites occidentales vues par un chinois http://florent.blog.com/2007/11/20/des-limites-occidentales-vues-par-un-chinois/ http://florent.blog.com/2007/11/20/des-limites-occidentales-vues-par-un-chinois/#comments Tue, 20 Nov 2007 19:41:00 +0000 florent  "Attention, ce n'est pas l'Occident en tant que tel que nous prendrons aveuglément comme modèle. Ce rationalisme à outrance et cette volonté de puissance qui dans leur forme exagérée isolent l'homme occidental de l'univers vivant et du reste du monde conçu uniquement comme objet de conquête, nous en avons souffert dans notre chair pour toutes ces guerres désastreuses et ces occupations asphyxiantes depuis plus d'un siècle qui nous sont imposées sans répit"    
Francois Cheng, le dit de Tianyi, P96
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 ”Attention, ce n’est pas l’Occident en tant que tel que nous prendrons aveuglément comme modèle. Ce rationalisme à outrance et cette volonté de puissance qui dans leur forme exagérée isolent l’homme occidental de l’univers vivant et du reste du monde conçu uniquement comme objet de conquête, nous en avons souffert dans notre chair pour toutes ces guerres désastreuses et ces occupations asphyxiantes depuis plus d’un siècle qui nous sont imposées sans répit”    

Francois Cheng, le dit de Tianyi, P96
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