Pérégrination vers l'Est » lectures http://florent.blog.com 西方人的东方眼睛 Sat, 02 Jul 2011 07:37:50 +0000 en hourly 1 http://wordpress.org/?v=3.2-bleeding Cheveux longs – 长头发 http://florent.blog.com/2011/06/04/cheveux-longs-%e9%95%bf%e5%a4%b4%e5%8f%91/ http://florent.blog.com/2011/06/04/cheveux-longs-%e9%95%bf%e5%a4%b4%e5%8f%91/#comments Sat, 04 Jun 2011 15:47:18 +0000 florent http://florent.blog.com/?p=5188704 En ce moment, je lis une excellente biographie de Matteo Ricci, le premier européen qui ait écrit des livres en Chinois.

J’ai lu trois ou quatre livres sur Matteo Ricci, celui ci est le meilleur à mes yeux

Michela Fontana : Matteo Ricci 1552-1610 – un jésuite à la cour des Ming

Le livre est émaillé de citations de Matteo lui même, montrant un homme résolu malgré l’adversité et le découragement, un homme qui refuse l’esprit colonial ou même raciste qui prégnait dans la plupart des entreprises missionnaires de l’époque. Il reprend ainsi le combat de Valignano qui l’avait précédé de quelques années à Goa et à Macao. Pour prendre un seul exemple de cette fronde, citons le débat rapporté à la page 53 : l’establishment missionnaire en Inde, en accord avec le Vatican, refusait de former les prêtres indiens à la théologie, pour éviter qu’ils deviennent “des lettrés arrogants”. Mattéo Ricci s’indigne de cela, en disant que les prêtres européens sont eux aussi bien arrogants et demandant avec force que les prêtres locaux soient complètement formés, et surtout que les missionnaires apprennent les langues locales, s’adaptent aux coutumes, s’immergent dans la société qui les accueille.

Matteo Ricci suit les traces de Saint François Xavier, dont j’avais parlé dans ce blog, qui avait toujours voulu entrer en Chine sans jamais y parvenir. François Xavier avait vu qu’il ne serait possible de convertir les japonais qu’après avoir converti les chinois, tant l’influence morale de la Chine était forte à l’époque.

Dans ce livre toujours, on trouve page 61 un trait chinois qui étonne Mattéo Ricci : les hommes comme les femmes portent les cheveux longs. Les hommes rangeaient leurs cheveux sous un bonnet, les femmes riches les retenaient avec des épingles.

Trouvant étonnant que les hommes portent les cheveux longs, j’ai mené ma petite enquête.

L’article wikipedia sur la coiffure nous indique que les égyptiens se coupaient les cheveux (voir la photo à droite), que les grecs se frisaient les cheveux (quand ils ne l’étaient pas naturellement) pour se différencier des barbares, que les romains se coupaient les cheveux, encore pour se différencier des barbares.

Si nous restons en Europe, les tribus germaniques du nord portaient les cheveux longs, pour les hommes comme pour les femmes.

Et en Chine alors ?

Depuis l’antiquité les Chinois gardaient de longs cheveux, comme l’a observé Mattéo Ricci. Sous la dynastie Qing (à partir du XVIIe siècle), les mandchous ont imposé aux hommes chinois de se raser l’avant du crâne et de porter la natte, comme on le voit dans Tintin et le lotus bleu. Avant les Qing, il était peu commun pour les hommes de se couper les cheveux, en dehors des moines bouddhistes qui se rasaient le crâne.

On ne trouve pas en Chine de distinction entre “barbares” et civilisés selon la coupe de cheveux. (les barbares étaient plutôt ceux qui ne connaissaient pas les caractères chinois, les “barbares crus” 生番 par rapport aux “barbares cuits” (ou “barbares murs”) 熟番 qui lentement avaient assimilé l’écriture chinoise sans être chinois.

Un vieil adage nous renseigne bien sur la raison qu’avaient les hommes de garder les cheveux longs :

身体发肤 受之父母

Ton corps, jusqu’au moindre cheveu et jusqu’à la moindre parcelle de peau, tu l’as reçu de tes parents.

(ma traduction n’a pas été vérifiée ; les commentaires sont bienvenus. La phrase semble très ancienne ; elle est parfois attribuée à Confucius et parfois au bouddhisme, ce qui serait étonnant car les moines bouddhistes, à la différence des moines taoistes, se rasaient les cheveux)

Il semble donc que ce soit dans une logique confucéenne de préservation du corps, celui ci symbolisant la lignée et le rapport aux ancêtres, que les hommes aient dans la Chine ancienne évité de se couper les cheveux.

Si quelqu’un a des informations là dessus qu’il n’hésite pas à partager !

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Segalen René Leys 8/10 http://florent.blog.com/2010/06/20/segalen-rene-leys-810/ http://florent.blog.com/2010/06/20/segalen-rene-leys-810/#comments Sun, 20 Jun 2010 11:04:44 +0000 florent http://florent.blog.com/2010/06/20/segalen-rene-leys-810/ J’ai beaucoup de notes de lecture en retard. Et plus elles s’accumulent, moins je semble avoir de temps pour les écrire ici. Tant pis ; on lit pour soi non ?
Mais rattrapons en une aujourd’hui, très rapidement.
Segalen est un grand écrivain ; voici un lien vers un très bon article sur ce livre que j’ai beaucoup apprécié même s’il est plutôt ardu à lire.

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Michael Yamashita : Marco polo http://florent.blog.com/2010/04/24/michael-yamashita-marco-polo/ http://florent.blog.com/2010/04/24/michael-yamashita-marco-polo/#comments Sat, 24 Apr 2010 00:08:11 +0000 florent http://florent.blog.com/?p=5188436 Je ne poste plus beaucoup de notes de lecture sur ce blog. J’ai une bonne dizaine de livres en retard. Alors prenons en un simple, un voyage sur les traces de Marco Polo avec un photographe.

Michael Yamashita est un journaliste et photographe américain d’origine japonaise, qui travaille entre autres pour National Geographic (voir quelques autres photos).  J’avais vu un intéressant reportage sur la “national geographic channel” sur des mines d’amiante dans l’ouest chinois. Il retrouvait les traces de ce “tissu qui ne brûle pas”, tissu dont Marco avait beaucoup vanté les mérites. Le reportage poursuivait avec des prises de vues de femmes aux pieds bandés, que M Yamashita a retrouvé au Yunnan je crois. Il n’en reste vraiment plus beaucoup en Chine.

Ce livre est beau, les récits sont parfois un peu naifs car l’auteur cherche à se mettre “hors du temps” pour retrouver l’asie décrite par Marco polo.

Je retiens une citation sur l’Inde du Sud. C”est une phrase du Million, au chapitre 173, sur les populations du Sri Lanka (ou du Kerala ?) qui ont beaucoup marqué Marco :

Bien des adeptes de cet ordre vont complètement nus, sans couvrir leur nature Et lorsqu’on leur demande pourquoi ils vont nus, ils répondent : “nous sommes venus au monde sans rien sur le dos, et rien de ce monde ne nous concerne. Nous n’avons pas honte de notre nature parce que nous ne commettons aucun péché”.

(voir un texte mentionnant des pratiques chinoises taoistes dans un même esprit)

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Gavin Menzies : 1421 5/10 http://florent.blog.com/2010/01/07/gavin-menzies-1421-510/ http://florent.blog.com/2010/01/07/gavin-menzies-1421-510/#comments Thu, 07 Jan 2010 00:55:44 +0000 florent http://florent.blog.com/?p=5188202 1421

 

menziesPlusieurs amis m’ont recommandé ce livre qui a fait grand bruit, et mes parents me l’ont offert. Le thème des explorations maritimes chinoises au XVe siècle, et de leur arrêt brutal par l’empereur Zhu Di des Ming, m’intéresse. Voir des billets de ce blog sur l’Amiral Zheng He et sur le musée de la marine de Shanghai.

 

 

J’ai lu le livre avec grand intérêt, et grande circonspection aussi. Je ne sais pas si je dois présenter ce billet sous la forme « tout est douteux sauf … » ou bien sous la forme « tout est intéressant sauf … »

 

Commençons par poser un fait indiscutable, que l’auteur prouve a mes yeux : nous avons été mystifiés à l’école !

Quand on apprend que Christophe Colomb a découvert les Antilles, quand on apprend que Dias a fait le premier passage du cap de Bonne Espérance, que Magellan a ouvert le détroit qui porte son nom, que Cook a découvert l’Australie, tout cela est faux, rigoureusement faux !

Sauf à considérer que le monde n’existe pas en dehors de l’Europe, c’est une vision parfaitement déformée de l’histoire de l’exploration des mers.

 

 

Les preuves sont à l’appui : des cartes d’avant Colomb montrent Porto Rico, des cartes d’avant Dias montrent le cap de Bonne Espérance, des cartes d’avant Cook dessinent l’Australie avec précision.

 

Ceci étant posé, regardons quelques éléments douteux du discours de M Menzies, avant de conclure par les thèmes intéressants de son ouvrage.

 

Au début du livre on lit que les dynasties Song et Yuan étaient mongoles. L’auteur n’a vraiment rien lu sur l’histoire chinoise. Dites à un chinois que la dynastie Song était mongole ; il ne vous parlera plus (ou au moins ne vous écoutera plus) !

 

Page 39:  Pékin n’était pas seulement la plus grande ville du monde, c’était sa capitale intellectuelle, avec ses encyclopédies et ses bibliothèques dont les fonds couvraient la totalité des sujets de connaissance de l’époque

 La totalité est évidemment abusive ici. Les mathématiques, l’astronomie, la géographie, les techniques de peinture (perspective) ont été radicalement modifiées au contact des missionnaires jésuites quelques décennies plus tard. Le livre est émaillé d’affirmations abusives et totalitaristes de ce style.

 

Page 75 l’auteur se penche sur une stèle de Zhenghe qui affirme avoir vu 3000 pays.

La flotte de Zheng He avait elle reconnu “trois mille pays” ? Si cela s’avérait, il allait falloir réécrire toute l’histoire de l’exploration du globe

Rien que ça !

Il prend le chiffre de 3000 au pied de la lettre, alors que les chiffres en chinois ont souvent tendance à donner un ordre de grandeur plutôt qu’une idée exacte. La méconnaissance de la langue chinoise pèse sur la crédibilité de la démarche de M Menzies.

 

Page 140 (et p289 aussi!) la phrase “les chinois savaient que la terre était ronde” me laisse fort perplexe. L’orthodoxie impériale, la position officielle du pays, a continué pendant quelques siècles après la période du livre à considérer la terre comme plate. (ce qui n’exclut pas que certains astronomes ou marins chinois aient su que la terre est ronde)

 

Vers la fin du livre, beaucoup d’arguments sont avancés sur la base de recoupement entre des espèces végétales ou animales présentent en asie et ailleurs. Je ne suis pas biologiste mais M Menzies non plus ; j’ai lu ces affirmations avec la plus grande circonspection. Même commentaire pour des caractères génétiques chinois prétendument repérés un peu partout (des indiens d’amazonie aux bretons du pays bigouden !).

 

Page 349 on a une analyse linguistique des plus douteuses entre le portugais, le brésilien et le chinois.

 

Page 366 on entre, mais d’une manière peu convaincante et peu décisive, dans le débat sur les origines et les pérégrinations des maoris.

 

En parlant de la côte est de l’amérique du sud :

Il ne pleut jamais sur cette côte, et ni le quetchua ni l’aymara ne comportent de vocable désignant la pluie. Cependant, en hiver, il lui arrive souvent d’être plongée dans un fin brouillard (…). En chinois, ce brouillard se dit peru.

Je doute de tous les points en gras, sachant que le quetchua est une langue extrêmement répandue dans tout l’est de l’amérique du sud. De même, je n’ai aucune idée du mot chinois “Peru” dont il parle. Vraiment étrange. Si quelqu’un peut préciser ?

Le fait même que l’auteur ne mentionne pas de quel dialecte chinois il parle montre la faiblesse de son approche linguistique. Pour plusieurs mots évoqués dans le livre, j’ai demandé à des chinois natifs ; parlant couramment le mandarin et le  cantonais, si le mot avait une quelconque familiarité. La réponse était négative.

 

Page 398 on nous dit que les flottes de Zheng He auraient pu se rendre à Rouen. Je doute là encore beaucoup qu’elles aient pu y passer incognito, sans se faire remarquer… Quand les Siamois ont débarqué à Brest pour porter hommage à Louis XIV, les francais s’en sont souvenu

 

Quelques passages intéressants tout de même :

 

M Menzies était dans la marine, et les reconstitutions qu’il fait des voyages à partir des cartes, mais aussi des courants et des vents, sont très instructives.

 

Sur la fermeture des mers après les expéditions de Zheng He :

p55 : “Les marchands qui tentaient d’entamer des transactions avec l’étranger furent systématiquement jugés pour piraterie et exécutés. Il y eut même un moment où l’apprentissage d’une langue étrangère fut interdit, tout comme l’enseignement du chinois à des étrangers.”

 

On apprend page 30 que le gouvernement a annoncé en 2002 un ambitieux plan de restauration des cales sèches et de construction à l’identique d’une jonque de Zheng He. Quelqu’un sait si ce projet a vu le jour ?

 

Page 271 une description de la mesure du temps par un Gnomon (et même une camera obscura comme celles qu’expérimentait Leonard De Vinci) est assez intéressante

 

Je m’arrête ici en ouvrant sur des liens pour Gavin Menzies et contre Gavin Menzies

 

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L’ignorance et l’arrogance http://florent.blog.com/2010/01/06/lignorance-et-larrogance/ http://florent.blog.com/2010/01/06/lignorance-et-larrogance/#comments Wed, 06 Jan 2010 00:55:36 +0000 florent http://florent.blog.com/?p=5188244 En lisant un recueil de fables chinoises contemporaines (en édition bilingue), je suis tombé sur une fable formidable que je recopie ici :

无知和骄傲
(in 中国当代寓言选)

无知和骄傲相撞了, 彼此大吃一惊, 然而谁也看不见谁:
无知没长眼睛, 骄傲的眼睛长在头顶上.
骄傲: “呔! 瞎蹦乱撞的, 没长眼睛?”
“眼睛?” 无知摇了摇头, 他从未听说过.
骄傲: “这也不懂? 眼睛是看天的. 我看了很九很九, 世界上除了我,就只有天, 这意味看什么?”
“什么?” 无知又摇了摇头.
骄傲: “吾乃天下第一!”
“呵呵, ‘吃奶,睡觉, 哭泣’. “无知除了婴儿的本能, 再没别的知识.
骄傲: “吾乃天下第一!”
无知: “吃奶, 睡觉, 哭泣.”
骄傲: “无知!!!”
“哎!” 谢天谢, 无知总算没忘记奶名.
“无知! 无知! 无知!!!”
“哎! 哎! 哎!”
… …
他们纠缠了一千零一夜, 骄傲这才得出结论: “唉, 原来世界上除了天和我, 还有一位永远纠缠不清的无知呵.”

- 对了, 无知和骄傲是永远不清的; 越无知, 越骄傲 ; 越骄傲, 越无知.

 

L’ignorance et l’arrogance

Ce fut une grande surprise pour toutes deux quand un beau jour l’ignorance et l’arrogance se heurtèrent l’une contre l’autre.

Elles ne pouvaient pas se voir parce que l’ignorance n’a pas d’yeux et que l’arrogance a les siens sur le sommet de la tête.

- Pourquoi foncez vous de la sorte, n’avez vous pas d’yeux pour voir ? demanda l’arrogance.

- Des yeux ? répéta l’ignorance en secouant la tête, qui n’avait jamais entendu parler de cela.

- Tu ne sais même pas ce que sont les yeux ? Les yeux sont utiles pour voir le ciel. C’est avec mes yeux que je le regarde depuis longtemps, ainsi je réalise qu’il n’y a dans ce monde que le ciel et moi-même. Est-ce que tu comprends ce que cela signifie ?

- Quoi ? L’ignorance secoua de nouveau la tête

- Cela veut dire que je suis unique sur la terre, répondit l’arrogance.

- Moi je ne sais que boire du lait, dormir et pleurer, marmonna l’ignorance dont les connaissances ne dépassent pas celles d’un petit enfant.

- Moi je suis unique au monde, redit l’arrogance.

- Boire du lait, dormir, pleurer, répéta l’ignorance elle aussi.

- Quelle ignorance, dit l’une

- Oui oui oui dit l’autre. Heureusement elle n’avait pas encore oublié son nom d’enfance.

……………………….

Un temps considérable se passa à dialoguer de cette façon. Mais c’est finalement l’arrogance qui tira la conclusion en déclarant :

- Hélas, dans ce vaste monde, outre le ciel et moi, il existe aussi l’ignorance à qui l’on ne pourra jamais faire entendre raison !

Oui, ignorance et arrogance ne pourront jamais se comprendre, car plus on ignore, plus on est arrogant et plus on est arrogant, plus on ignore…

 

arrogance_122

 

Cette fable s’applique bien à beaucoup de relations franco-chinoises : un français ignorant face à un chinois arrogant, ou bien un français arrogant face à un chinois ignorant…

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Philippe d’Iribarne, l’épreuve des différences 8/10 http://florent.blog.com/2009/12/09/philippe-diribarne-lepreuve-des-differences-810/ http://florent.blog.com/2009/12/09/philippe-diribarne-lepreuve-des-differences-810/#comments Wed, 09 Dec 2009 18:32:09 +0000 florent http://florent.blog.com/?p=5188189 Un ami consultant m’a recommandé cette étude de sociologie des entreprises, qui vient de sortir. Je l’ai trouvée à Paris, et la recommande ici.

 iribarneIl s’agit de mesurer comment un code éthique, un ensemble de valeurs qu’une entreprise globale affiche publiquement, peut se confronter à la réalité sociale et humaine de pays aussi divers que la France, les Etats-Unis, la Jordanie, la Malaisie ou la Chine.

L’auteur s’appuie sur le cas Lafarge, qu’il a pu étudier dans ces pays. Lafarge donne une grande place à l’éthique depuis la première publication, dès les années soixante-dix, d’un ensemble de “principes d’actions”.

“Nos valeurs ont de la valeur”‘, déclare M Bruno Lafont, PDG de Lafarge, dans la préface. Comment apporter ces valeurs dans des pays lointains, aux cultures différentes de nos repères d’occidentaux ?

Le livre montre combien une vision “restrictive”  de nos idéaux démocratiques peut s’enraciner dans d’autres terreaux culturels. Cette vision restrictive se limite à décrire un “bon pouvoir” : égalité de droits, dirigeants à l’écoute, prise en compte du bien public.

Par contre, une vision “radicale”, qui ajoute à la première la liberté de pensée et le débat critique, a plus de mal à s’enraciner ; elle est même refusée, repoussée. Et l’auteur ne voit pas venir le jour où cette vision puisse être considérée comme universelle.

Voyons quelques passages marquants.

L’auteur commence par un exercice linguistique simple mais très éclairant : il compare mot à mot les traductions des “principes” de Lafarge en plusieurs langues.

Entre le français et l’américain, en restant donc au sein de visions politiques proches, on mesure combien les différents systèmes de valeurs ont exigé des distortions lors de la traduction. La vision américaine repose sur une contractualisation des relations, dans le but d’éviter toute enfreinte des libertés. Ses origines protestantes lui font reconnaître le monde des affaires. La vision francaise, par contre, est régie par la souveraineté, l’honneur, par le fait de tenir son rang. Les affaires y sont entachées d’une vile bassesse.

Ainsi les termes américain de “delivering the products” correspondent à “proposer les produits” en francais. Ecrire “livrer les produits” en francais aurait été un peu mercantile, non ?

 Cette analyse des traductions est passionnante ; je voudrais juste pointer un détail qui me semble inexact à la page 28.

“We are committed to helping them”. “Nous nous engageons à les aider”. On trouve dans “committed” une dimension de soumission à une volonté qui vous est extérieure et qui vous a donné des instructions, fixé une tâche. Dans la version francaise, “nous nous engageons” suggère à nouveau une décision souveraine qui conduit à fixer soi-même, et à affirmer, face au monde, la direction qu’on va prendre.

Je ne suis pas tout à fait d’accord avec la phrase sur la version française. Le verbe “engager” contient la notion de gage, c’est à dire d’un témoin de l’engagement à qui l’on confie le gage. Quand on s’engage, il ne s’agit pas de “fixer soi même”. Voyons deux fiancés qui s’engagent dans le mariage, ils ne sont pas seuls au monde ! Un témoin qui s’engage à dire toute la vérité et rien que la vérité le fait devant le juge.

Le passage sur la Chine, au chapitre II, est intéressant mais on peut regretter que l’auteur ne connaisse pas plus la Chine et les chinois. Il aurait été plus loin dans ses analyses. La compulsion chinoise me semble bien formulée : la “crainte de voir une affirmation crue des points de vue de chacun dégénérer en affrontements destructeurs”.  Cette excellente formulation explique une certaine soumission chinoise à l’autorité.

Je ne prends qu’un passage des comparaisons de traductions :

Francais : Les branches (…)  ont un rôle critique à jouer pour entraîner les unités vers une performance accrue.

Américain : Divisions (…)  have a key role in challenging the business units to achieve greater performance ambitions

Chinois : Les branches (…) ont un rôle important à jouer pour fixer des programmes de performance dans chaque unité

Les verbes en gras ont de subtiles nuances, n’est-ce pas ?

On trouve encore, pages 58 et 59, de belles descriptions de l’allusivité chinoise, de ces choses qui ne vont pas mieux en les disant, mais qui vont mieux en les sous-entendant…

On retrouve page 67 le besoin vital de flexibilité que tant de chinois mentionnent au contact d’occidentaux.

Le chapitre IV, moins intéressant à mes yeux, commente les résultats d’une enquête quantitative. On découvre page 117 un comportement atypique des employés chinois de Lafarge : satisfaction sans adhésion.

On retombe page 134 sur les limites de l’expérience chinoise de l’auteur quand il écrit :

Quand un individu ou un groupe évoque des valeurs, il se réfère à un idéal, à un monde qu’il désirerait voir advenir. Il n’a pas à se préoccuper des difficultés qu’il pourrait y avoir, dans le monde réel, à combiner les diverses valeurs auxquelles il est attaché

Voilà une vision bien platonicienne, bien occidentale des choses ! Le pragmatisme chinois m’en paraît plutôt éloigné.

Page 145 intéressante description de la place laissée au débat dans diverses cultures. En Chine et en Jordanie on attend du pouvoir qu’il tranche assez tôt dans les débats.

Page 153 l’auteur prend du recul, passant de l’entreprise au monde, et se livre à l’exercice de comparaison des traductions mais cette fois ci sur la déclaration universelle des droits de l’homme. Intéressantes nuances dans les textes (la version anglaise donnant beaucoup plus de place à la loi que la version francaise). Il est dommage que l’auteur n’ait pas inclus la version chinoise à la comparaison! L’analyse devrait être passionnante.

L’analyse continue avec des écarts sémantiques entre la liberté dans les langues allemande, anglaise, francaise. 

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J’ai vu des dizaines, ou même des centaines de débats houleux entre français et chinois sur ces thèmes. On en arrive souvent à s’étriper, au nom de valeurs humanistes. Et je souscris volontiers à l’analyse de M d’Iribarne sur la vision restrictive et la vision radicale, la première étant potentiellement universelle alors que la seconde reste occidentale. J’y apporterais une suggestion : celle de mieux définir en quoi l’égalité de tous devant la loi fait partie de la vision “restrictive” de la démocratie. Dans le contexte chinois ou indien j’ai encore quelques doutes…

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Quelques phrases de Zhang Chao http://florent.blog.com/2009/11/02/quelques-phrases-de-zhang-chao/ http://florent.blog.com/2009/11/02/quelques-phrases-de-zhang-chao/#comments Mon, 02 Nov 2009 00:37:07 +0000 florent http://florent.blog.com/?p=5188162 张潮 Zhang Chao est un lettré chinois du XVIIe, dont la vie est peu connue, mais dont nous avons gardé un recueil d’épigrammes appelé Yumengying (幽梦影 ou l’ombre d’un rêve)

Voir en chinois un article sur l’auteur et son oeuvre.

Voici quelques lignes de lui, traduit par Lin Yutang, qui m’ont beaucoup plu.

S’il n’y avait pas de livre dans ce monde, il n’y aurait rien à dire, mais puisqu’il y en a, il faut les lire ; s’il n’y avait pas de vin, alors il n’y aurait rien à dire, mais puisqu’il y en a, il faut qu’il soit bu ; s’il n’y avait pas de montagne célèbre, alors il n’y aurait rien à dire, mais puisqu’il y en a, il faut qu’elles soient visitées ; s’il n’y avait pas de fleurs ni de lune, alors il n’y aurait rien à dire, mais puisqu’il y en a, il faut en jouir ; s’il n’y avait pas d’hommes de talent, ni de belles femmes, alors il n’y aurait rien à dire, mais puisqu’il y en a, ils doivent être aimés et protégés.

Un miroir ne devient pas l’ennemi d’une femme laide car il n’éprouve pas de sentiments ; s’il en éprouvait, il serait certainement mis en pièces.

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Les images dans un miroir sont des portraits en couleur, mais les images (ombres) sous la lumière de la lune sont des dessins à l’encre. Les premières sont peintes avec des contours solides, mais les images sous la lumière de la lune sont peintes “sans os”. Les images des montagnes et des eaux dans la lune sont la géographie dans le ciel et les images des étoiles et de la lune dans l’eau sont l’astronomie sur la terre.

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Lire des livres dans sa jeunesse est comme regarder la lune à travers une fente ; lire des livres dans l’âge mur est comme regarder la lune dans une cour ; lire des livres dans la vieillesse est comme regarder la lune sur une terrasse. Cela, parce que le profit de la lecture varie selon la profondeur de sa propre expérience.

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Seul celui qui est capable de lire des livres sans mots (le livre de la vie par exemple) peut dire de belles choses frappantes, et seul celui qui comprend la vérité sans mots peut saisir la plus haute sagesse bouddhiste. (…)

 Lire est la plus grande de toutes les joies, mais il y a plus de colère que de joie à lire l’histoire. Cependant, il y a de la joie dans une telle colère.

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 Avoir des montagnes et des vallées dans le coeur vous permet de vivre dans une ville comme dans une montagne boisée ; être attaché aux nuages transforme le continent du Sud en une île féérique.

Etre assis seul par une nuit tranquille, appeler la lune et lui dire sa tristesse ; rester seul par une belle nuit, appeler les insectes et leur dire ses regrets.

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Et terminons par un  bien curieux désir :

Je désire donner un jour un grand bal nudiste, pour apaiser les mânes des hommes de talents et des belles femmes de tous les âges. Quand j’aurai trouvé un moine à l’esprit élevé, alors je donnerai le bal et lui demanderai de le présider.

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Edoardo Fazzioli : caractères chinois 4/10 http://florent.blog.com/2009/10/13/edoardo-fazzioli-caracteres-chinois-410/ http://florent.blog.com/2009/10/13/edoardo-fazzioli-caracteres-chinois-410/#comments Tue, 13 Oct 2009 15:30:46 +0000 florent http://florent.blog.com/?p=5188100 caracteres-clesCaractères chinois,
du dessin à l’idée, 214 clés pour comprendre la Chine

Ce livre traite d’étymologie des caractères chinois, un sujet qui m’intéresse beaucoup même si ce n’est pas une science exacte (voir quelques dizaines de billets sur ce sujet).

Le livre est bien présenté, avec une page pour chacune des 214 clés de Kangxi présentant le caractère, ses formes archaiques, des mots dans lesquels on retrouve la clé, et une explication. Les clés sont présentées par thèmes (le village, les animaux, le corps), ce qui fluidifie la lecture.

Mais le livre est truffé d’erreurs qu’un étudiant de licence en chinois ne commettrait pas.
L’édition que j’ai eue entre les mains date de 1987 (Flammarion, imprimé en Espagne). Je ne sais pas si les éditions suivantes ont été corrigées ?

Sur des dizaines d’erreurs, je n’en retiens que quelques unes ici :

Page 42 : en parlant de la clé du nez 鼻, on nous présente le caractère 鼾 qui signifie ronfler. L’auteur nous explique que  “le mot ronfler est écrit avec le caractère de nez, voisin de celui d’arbre, peut être par association avec le bruit produit lorsqu’on scie un tronc d’arbre.” Cela nous donnerait 鼾= 鼻+木. Mais d’arbre point ! Le composant de droite est 干, un phonétique prononcé gan1, soit assez proche du han1. Les dictionnaires confirment la présence d’un 干 phonétique. Intrigué, j’ai même été consulter des caractères anciens (sceaux) et la définition du shuowen (臥息也從鼻干聲讀若汗), qui tous parlent d’un gan phonétique 干 mais nullement d’un arbre.
Page 88 on voit trois erreurs consécutives (les caractères ne sont pas en face des bons pinyins et traductions)
Encore une erreur page 100 : le Shijing (livre des odes 诗经, voir ici un poème ) est malencontreusement écrit Shinjing (le son “shin” n’existe même pas en chinois)
p101 : Nanning, capitale du Guangxi, est présentée comme Nankin, ancienne capitale impériale située à  2000 km au nord de Nanning.

Page 103 la description du caractère du sentier 阡 confond le composant de “mille” 千 et celui de “dix mille” 万

Bref, un grand nombre de grossières erreurs.

Restons positif avec quelques analyses intéressantes :

Page 130 une analyse du couvercle 覀 aborde le caractère “vouloir” 要, que nous avions décomposé dans un billet sur “vouloir… la taille d’une belle femme“. L’analyse est intéressante et recoupe mes recherches.

Page 145 la description du caractère du filet montre bien que le pictogramme a été “rendu obscur et compliqué par les scribes” (網) avant de revenir à une forme simple et fidèle (网) lors des récentes simplifications du XXe siècle”. C’est un phénomène que j’avais déjà observé à de multiples reprises (par exemple pour 达)

Le mot de “gouvernement” 政府 zhengfu est bien expliqué page 81 : Le premier caractère 政 est formé des composants  正 zhèng et de  攵(攴 pū)

“Il est formé en effet du caractère de fermeté et de celui de battre. Fermeté et décision dans l’application des lois pour le bien commun. Même si les chinois, et ils ne sont pas les seuls, affirment que “les animaux haïssent les filets et les hommes le gouvernement, ils savent très bien “qu’un peuple ne se gouverne pas uniquement par la vertu ou par la loi”. “

On trouve aussi page 65 une jolie explication sur la vertu  德  (de3), composée de la marche 彳 et du composant 直, lui même fait de dix 十 yeux 目. (Dans 德, le coeur 心 fut rajouté postérieurement).

“Le mot bonté naît aussi de notre clé plus les signes de dix, d’oeil et de coeur. Le chemin de la vertu, de la bonté, est sous le contrôle du coeur et de dix yeux”

Une jolie représentation, très pragmatique, de la vertu !

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Paul Magnin : Bouddhisme ; unité et diversité 8/10 http://florent.blog.com/2009/05/10/paul-magnin-bouddhisme-unite-et-diversite-810/ http://florent.blog.com/2009/05/10/paul-magnin-bouddhisme-unite-et-diversite-810/#comments Sun, 10 May 2009 17:05:20 +0000 florent Paul Magnin est sinologue et professeur de théologie, spécialiste du bouddhisme chinois. Voir par exemple ici un article de lui sur la patience.

Dans ce livre, il dresse un inventaire des différents courants bouddhistes (grand et petit véhicule ; tantrisme) en abordant leurs histoires, leurs doctrines et leurs pratiques, dans ce qui les unit et dans ce qui les caractérise.

Le livre est épais et quelque peu ardu, ce qui n'étonnera pas ceux qui ont déjà cherché à comprendre un peu les fondements et la diversité des courants bouddhistes. Mais le style est remarquablement clair, et la bibliographie extrêmement fournie (tout comme le lexique des termes chinois et japonais).

En voici la trame :  

Après une introduction abordant la perception du bouddhisme en France, l'auteur nous raconte la vie de Bouddha. Il élargit sur la communauté bouddhiste (samgha) et commente les quatre nobles vérités (radicalité de l'insatisfaction; soif à l'origine de la douleur; le Nirvana comme cessation du cycle des renaissances ; l'octuple chemin vers la délivrance).
 Sont ensuite commentées les perfections bouddhiques : les quatre sentiments incommensurables de bienveillance, compassion, joie, équanimité, et les six perfections (don, moralité, patience, énergie, concentration, sagesse).

S'ensuit une perspective historique avec l'évolution du bouddhisme ancien, les fondements du grand véhicule (Mahayana), la formation du bouddhisme chinois (avec les trois écoles Tiantai 天台, Huayan, Terre pure 净土) , le Chan 禅 (le Zen avec ses deux courants Linji ou Rizai et Caodong ou Soto) 

Le bouddhisme tantrique est longuement décrit, ainsi que les grands courants du bouddhisme tibétain.

L'auteur termine par une mise en perspective de deux voies de libération : christianisme et bouddhisme.

J'ai beaucoup appris en lisant ce chapitre épais sur le bouddhisme chinois, et le chapitre articulant bouddhisme et christianisme m'a semblé lumineux.

Un livre de référence ; que je recommande. ]]>
Paul Magnin est sinologue et professeur de théologie, spécialiste du bouddhisme chinois. Voir par exemple ici un article de lui sur la patience.

Dans ce livre, il dresse un inventaire des différents courants bouddhistes (grand et petit véhicule ; tantrisme) en abordant leurs histoires, leurs doctrines et leurs pratiques, dans ce qui les unit et dans ce qui les caractérise.

Le livre est épais et quelque peu ardu, ce qui n’étonnera pas ceux qui ont déjà cherché à comprendre un peu les fondements et la diversité des courants bouddhistes. Mais le style est remarquablement clair, et la bibliographie extrêmement fournie (tout comme le lexique des termes chinois et japonais).

En voici la trame :  

Après une introduction abordant la perception du bouddhisme en France, l’auteur nous raconte la vie de Bouddha. Il élargit sur la communauté bouddhiste (samgha) et commente les quatre nobles vérités (radicalité de l’insatisfaction; soif à l’origine de la douleur; le Nirvana comme cessation du cycle des renaissances ; l’octuple chemin vers la délivrance).
 Sont ensuite commentées les perfections bouddhiques : les quatre sentiments incommensurables de bienveillance, compassion, joie, équanimité, et les six perfections (don, moralité, patience, énergie, concentration, sagesse).

S’ensuit une perspective historique avec l’évolution du bouddhisme ancien, les fondements du grand véhicule (Mahayana), la formation du bouddhisme chinois (avec les trois écoles Tiantai 天台, Huayan, Terre pure 净土) , le Chan 禅 (le Zen avec ses deux courants Linji ou Rizai et Caodong ou Soto) 

Le bouddhisme tantrique est longuement décrit, ainsi que les grands courants du bouddhisme tibétain.

L’auteur termine par une mise en perspective de deux voies de libération : christianisme et bouddhisme.

J’ai beaucoup appris en lisant ce chapitre épais sur le bouddhisme chinois, et le chapitre articulant bouddhisme et christianisme m’a semblé lumineux.

Un livre de référence ; que je recommande.

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Francois Cheng L’un vers l’autre 9/10 http://florent.blog.com/2009/05/10/francois-cheng-lun-vers-lautre-910/ http://florent.blog.com/2009/05/10/francois-cheng-lun-vers-lautre-910/#comments Sun, 10 May 2009 16:30:42 +0000 florent Voici un livre d'un auteur que j'apprécie beaucoup : François Cheng

Il y parle de Victor Segalen, ce grand explorateur poético-mystique. Et François Cheng exprime sa reconnaissance pour le parcours humain de Segalen, parcours caractérisé par la reconnaissance de la richesse de la civilisation chinoise :
"Reconnaissance envers ceux qui , au lieu de siècles de tâtonnements et d'affrontements aussi néfastes qu'inutiles, savent d'emblée l'impérieuse nécessité, justement, de reconnaître. Reconnaître l'autre en se reconnaissant ; se reconnaître en se reconnaissant autre".

Magnifique déclinaison du verbe reconnaître non ? Elle résonne beaucoup pour moi. Bien noter le "d'emblée" ; très important à mes yeux

et plus loin arrive ce passage qui m'a plongé avec délices dans le désir amoureux :

"Oui,
Il suffit d'un brusque éveil pour que la vie
Se renouvelle. Et soudain, on osa espérer
L'ineffable arrivée d'une amante. Ainsi,
Elle apparut, au milieu du vert et du bleu,
Eclatante, entière, comme depuis longtemps
Attendue, comme depuis toujours déjà là,
Improbable jeune fille d'un improbable
Matin du monde. Tout fut pourtant réel !
Divine surprise grâce à quoi la vie se révèle
Non "dû" mais "don". Toute vie transformée
En don de vie mérite respect.  Honte à nous
Alors d'avoir tenu si désinvolte propos
Sur le cadavre du missionnaire, martyr anonyme
Au destin si tôt fauché ! Cette "chair glorieuse", sur qui
S'étaient acharnées tant d'ingénieuse cruauté
Et d'implacable furie, n'était-elle que pure vanité ?
Avons-nous un seul instant tenté de pénétrer
L'insoutenable souffrance, de partager
La muette solitude de cet autre "arraché" volontaire,
 Si loin du sol natal"

Segalen est cité sur le caractère sacré de l'écriture chinoise page 45 :

Le mot chinois est un signe, complet en lui-même, existant, réalisant (une manière d'être), différent de ce qu'il dit, et déjà très supérieur à ce qu'il daigne signifier. 
Les idéogrammes méprisent les tons changeants et les syllabes qui les affublent au hasard des provinces. Ils n'expriment pas ; ils signifient ; ils sont

S'ensuit une belle analyse de François Cheng de l'influence de la langue chinoise (monosyllabique) sur le style poétique de Victor Segalen en Français.

Le livre de François Cheng est émaillé de vers, parfois de lui même comme ici 

Nul doute qu'à la fin tout voyageur se rendra
A l'évidence : le Divers ne divertit point,
Il déroute : fouilles des licornes enfouies,
Forage du for intérieur. Dans les rets
Du mandat du Ciel, toute une vie
A l'épreuve de l'amour! Toute une vie
                A l'épreuve de la mort !


Ce livre est un magnifique voyage poétique et culturel.

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Voici un livre d’un auteur que j’apprécie beaucoup : François Cheng

Il y parle de Victor Segalen, ce grand explorateur poético-mystique. Et François Cheng exprime sa reconnaissance pour le parcours humain de Segalen, parcours caractérisé par la reconnaissance de la richesse de la civilisation chinoise :
“Reconnaissance envers ceux qui , au lieu de siècles de tâtonnements et d’affrontements aussi néfastes qu’inutiles, savent d’emblée l’impérieuse nécessité, justement, de reconnaître. Reconnaître l’autre en se reconnaissant ; se reconnaître en se reconnaissant autre”.

Magnifique déclinaison du verbe reconnaître non ? Elle résonne beaucoup pour moi. Bien noter le “d’emblée” ; très important à mes yeux

et plus loin arrive ce passage qui m’a plongé avec délices dans le désir amoureux :

“Oui,
Il suffit d’un brusque éveil pour que la vie
Se renouvelle. Et soudain, on osa espérer
L’ineffable arrivée d’une amante. Ainsi,
Elle apparut, au milieu du vert et du bleu,
Eclatante, entière, comme depuis longtemps
Attendue, comme depuis toujours déjà là,
Improbable jeune fille d’un improbable
Matin du monde. Tout fut pourtant réel !
Divine surprise grâce à quoi la vie se révèle
Non “dû” mais “don”. Toute vie transformée
En don de vie mérite respect.  Honte à nous
Alors d’avoir tenu si désinvolte propos
Sur le cadavre du missionnaire, martyr anonyme
Au destin si tôt fauché ! Cette “chair glorieuse”, sur qui
S’étaient acharnées tant d’ingénieuse cruauté
Et d’implacable furie, n’était-elle que pure vanité ?
Avons-nous un seul instant tenté de pénétrer
L’insoutenable souffrance, de partager
La muette solitude de cet autre “arraché” volontaire,
 Si loin du sol natal”

Segalen est cité sur le caractère sacré de l’écriture chinoise page 45 :

Le mot chinois est un signe, complet en lui-même, existant, réalisant (une manière d’être), différent de ce qu’il dit, et déjà très supérieur à ce qu’il daigne signifier. 
Les idéogrammes méprisent les tons changeants et les syllabes qui les affublent au hasard des provinces. Ils n’expriment pas ; ils signifient ; ils sont

S’ensuit une belle analyse de François Cheng de l’influence de la langue chinoise (monosyllabique) sur le style poétique de Victor Segalen en Français.

Le livre de François Cheng est émaillé de vers, parfois de lui même comme ici 

Nul doute qu’à la fin tout voyageur se rendra
A l’évidence : le Divers ne divertit point,
Il déroute : fouilles des licornes enfouies,
Forage du for intérieur. Dans les rets
Du mandat du Ciel, toute une vie
A l’épreuve de l’amour! Toute une vie
                A l’épreuve de la mort !

Ce livre est un magnifique voyage poétique et culturel.

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