Un homme de l'Ouest tente vainement de voir les choses comme on les voit à l'Est
A l’origine, 山寨 désigne un village fortifié reclus dans les montagnes, perdu. Un fortin (dans 寨 on voit en bas le bois 朩(木)) reculé tel que les 108 brigands du bord de l’eau en avaient construit.
Aujourd’hui le terme désigne tout ce qui est faux, copié, produit hors circuits. L’expression a commencé avec les téléphones portables, ai-je entendu dire. Les brigands qui font cela travaillent dans l’ombre, hors circuits, dans le noir (couleur de la mafia en Chine)
Et les bandits de la contrefacon moderne sont créatifs !
Regardez ce “téléphone portable – paquet de cigarettes (lien en chinois)”
Pas mal non ?
Je ne poste plus beaucoup de notes de lecture sur ce blog. J’ai une bonne dizaine de livres en retard. Alors prenons en un simple, un voyage sur les traces de Marco Polo avec un photographe.
Michael Yamashita est un journaliste et photographe américain d’origine japonaise, qui travaille entre autres pour National Geographic (voir quelques autres photos). J’avais vu un intéressant reportage sur la “national geographic channel” sur des mines d’amiante dans l’ouest chinois. Il retrouvait les traces de ce “tissu qui ne brûle pas”, tissu dont Marco avait beaucoup vanté les mérites. Le reportage poursuivait avec des prises de vues de femmes aux pieds bandés, que M Yamashita a retrouvé au Yunnan je crois. Il n’en reste vraiment plus beaucoup en Chine.
Ce livre est beau, les récits sont parfois un peu naifs car l’auteur cherche à se mettre “hors du temps” pour retrouver l’asie décrite par Marco polo.
Je retiens une citation sur l’Inde du Sud. C”est une phrase du Million, au chapitre 173, sur les populations du Sri Lanka (ou du Kerala ?) qui ont beaucoup marqué Marco :
Bien des adeptes de cet ordre vont complètement nus, sans couvrir leur nature Et lorsqu’on leur demande pourquoi ils vont nus, ils répondent : “nous sommes venus au monde sans rien sur le dos, et rien de ce monde ne nous concerne. Nous n’avons pas honte de notre nature parce que nous ne commettons aucun péché”.
(voir un texte mentionnant des pratiques chinoises taoistes dans un même esprit)
j’ai cherché à savoir ce que voulait dire 有机, on m’a dit que cela signifiait “organic” (c’est à dire bio en gros). Ma convive m’a confirmé que cela ne voulait dire que cela. Et que c’était une importation récente en chinois.
C’est vraiment bizarre car littéralement 有机 signifie “y avoir-machine” ! Pas vraiment bio si ?
Qui a bien pu produire ce mot et pourquoi ?
Signalons ici un intéressant article de l’économist daté du 6 mars 2010
(l’article a été commenté 310 fois!)
L’article commence par l’horrible scène d’un infanticide de petite fille, scène rapportée par l’écrivain Xinran. Oui ; cela existe toujours.
On voit ensuite qu’en Chine, entre 2000 et 2005, il naît plus de 120 garçons pour 100 filles, alors que le rapport naturel est de 105 (dans toutes les communautés humaines)
On pense alors à la politique chinoise de l’enfant unique qui priverait des filles de la joie de naître, par l’avortement sélectif. Certes il y a une loi en chine qui ne permet pas de savoir le sexe de l’enfant pour justement éviter les avortements sélectifs ; mais cela existe et joue un rôle.
L’article montre bien l’application hétérogène de cette politique en Chine :
- En ville la majorité des familles n’a qu’un enfant.
- Dans les provinces côtières, environ 40% des couples ruraux ont droit à un second enfant (si la première était une fille, et donc “comptait pour du beurre”)
- Dans les provinces du centre et du sud, tout le monde à droit à un second enfant, pour peu que le foyer soit jugé “en situation difficile” (jugement à l’appréciation des autorités locales)
- Dans le grand ouest et la Mongolie intérieure, il n’y a pas vraiment de politique de l’enfant unique (les minorités ayant le droit à plusieurs enfants). C’est d’ailleurs dans cette région que les ratios sont les plus proches de la normale.
Donc la politique de l’enfant unique joue un rôle sur cette situation déséquilibrée.
Mais s’arrêter là serait voir le problème par le petit bout de la lorgnette. L’article montre bien les aspects régionaux et culturels du phénomène du gendricide
Le déséquilibre touche la Chine continentale mais aussi Taiwan, la Corée et surtout l’Inde du nord. En Corée du Sud, le troisième enfant, pour les familles qui vont jusque là, a deux chances sur trois d’être un garçon ! Le taux atteint 200 garçons pour 100 filles, montrant combien certaines familles “s’acharnent” pour avoir un garçon.
La politique de la RPC n’est donc pas le seul facteur. Les chiffres de Taiwan sont également très déséquilibrés.
Il y a bien sûr des éléments culturels défavorisant la naissance d’une fille, puisque celle ci quittera un jour le domicile pour suivre son mari, alors qu’un fils loyal se serait occupé des vieux jours de ses parents.
En Chine le tarif d’une sage femme est plus élevé pour une naissance de fille que pour un garçon. La tâche est apparemment plus vile ou plus dure ?
L’article cite un amusant proverbe hindouiste :
“Raising a daughter is like watering your neighbour’s garden”
“Elever une fille, c’est comme arroser le jardin de son voisin.”
… qui m’a fait penser à un fameux proverbe chinois :
嫁出去的女儿泼出去的水
la fille épousée est comme l’eau versée sur le sol,
(elle part et on ne pourra plus jamis la récupérer).
Plus à l’ouest encore, des sondages au Pakistan et au Yemen montrent que les parents préfèrent nettement un fils à une fille (le rapport atteint parfois 10 pour un).
Donc les facteurs culturels de la tradition patri-linéaire jouent un rôle important dans ce déséquilibre. On s’attendrait à voir le phénomène se réduire avec le progrès économique et social mais non ! C’est l’inverse qui se passe, les ratios de naissances masculines augmentent fortement depuis les années quatre-vingt environ (la chine était sous les 110 en 1980; elle a dépassé les 120 en 2000).
En fait la pression de la modernité est aussi forte que celle de la tradition. On ne peut plus avoir beaucoup d’enfants, et on veut quand même un garçon dans la famille !
J’avais remarqué cela à Hong Kong, où c’est la pression des coûts qui oriente la société vers l’enfant unique (ou rarement vers les deux enfants).
Quelles sont les conséquences de ce déséquilibre de naissances ? Elles tarderont à se manifester, compte tenu de l’inertie démographique. Mais il faut imaginer toute une génération de jeunes hommes qui n’arrivent pas à se marier. L’article parle de 40 millions de jeunes chinois (autant que tous les jeunes américains!) qui seraient célibataires en 2020. Ils ont déjà un nom : celui de branche sans fruit : 光棍 : ils existent déjà et sont source de désordres et de violences. Leur nombre est voué à se multiplier.
L’article termine par une note optimiste avec la Corée, seul pays de la région à montrer une baisse de ce déséquilibre, avec un taux de naissances masculines qui commence à redescendre vers les seuils naturels.
J’essaierai d’en parler à des amis chinois et de revenir poster ici.
C’est la fête des anacoluthes ces jours ci.
Rappelons qu’un anacoluthe, c’est selon le littré :
Rupture de la construction syntaxique intervenant en cours de phrase, de telle manière que, sans qu’il y ait rupture du lien logique, la fin de la phrase n’est plus grammaticalement en harmonie avec son début
L’exemple dont je me souviens quand j’allais à l’école, c’est :
Toute rôtie, maman apporta la dinde
Récemment j’ai lu dans un livre intéressant sur le Huizhou (徽洲 région du sud de l’Anhui, pas loin de Shanghai), l’anacoluthe suivant :
De dimension relativement réduite (…), deux millions de chinois seulement vivent dans le Huizhou…
(Notons que la parenthèse (…) donne la largeur et la longueur de la province entre tirets, ce qui ne change rien à la nature d’anacoluthe de cette phrase).
Et ce matin, dans un article du courrier international (dont j’avais déjà relevé une belle boulette éditoriale), je lis un article sur le quartier très cosmopolite d’Okubo, à Tokyo.
L’article décrit la manière dont des sans-abris nettoient mégots et canettes sur le trottoir, en échange d’une soupe offerte par la paroisse coréenne protestante du quartier :
Après avoir nettoyé les environs, on leur a servi un plat de curry pour le déjeuner.
Ce sont les clochards qui nettoient et les paroissiens qui donnent la soupe.
Alors j’ai fait avec les enfants un concours d’anacoluthe, dont ma fille a remporté la palme :
Glauque et gluante, la princesse regardait l’eau s’écoulant dans l’égoût
(je cite quand même ma contribution : “D’un jaune blafard, le marchand chinois observait l’éclat du lampadaire”)
Le livre d’Anne Garrigue mentionné plus haut reste très intéressant : j’en recommande la lecture ! Le 徽洲 est une région magnifique où je retourne la semaine prochaine pour la quatrième fois.
On sait que qu’en Chine on aime faire la sieste, somnoler un petit coup. Le Keshui 瞌睡 peut se faire assis quand on est au bureau, à toute heure de la journée.
Récemment je suis allé visiter le chantier de notre futur siège. Et là je tombe, juste devant ce qui sera mon bureau, sur ce spectacle étonnant
Ce sont deux ouvriers qui dorment sur le chantier. Profondément. Un homme et une femme, l’un tout contre l’autre, comme s’ils étaient mari et femme. L’étaient ils vraiment ? Je ne saurai jamais ; ils ne se sont pas réveillés pendant l’heure de ma visite et je suis reparti, les laissant à leur 瞌睡
… qu’un ami chinois m’a prêté “pour voir”
Cet ami était un “jeune en colère” (愤青 ou fenqing). Il a fréquenté des forums acerbement nationalistes, s’est ému pour des causes de justice (causes plus souvent chinoises qu’internationales), a suivi de très près les événements de tiananmen ; il s’insurgeait contre les violences policières et la corruption.
En passant la trentaine, il a mis de l’eau dans son vin ; il est maintenant plus modéré mais reste attaché à l’idée d’être un “acteur du changement” en Chine aujourd’hui.
J’ai vu ces films tout en chinois alors je les commente rapidement, n’étant pas sûr d’avoir tout bien compris.
Le premier film, Nanjing Nanjing, est un nième récit du massacre de Nankin par les Japonais en décembre 1937. Il se démarque des autres films ou documentaires que j’ai pu voir par la beauté des prises de vues, et par l’humanisation des soldats japonais. Il ne s’agit pas de montrer les méchants japonais (méchants parce qu’ils sont japonais), mais plutôt de montrer un système, et des hommes qui sous une pression terrible se laissent aller à la monstruosité. La sortie du film a suscité un vaste débat sur le thème du révisionnisme, mais mon ami chinois comme moi-même avons apprécié cette représentation humaine de l’armée japonaise. L’héroisme et la charité des occidentaux comme le nazi John Rabe qui ont tenté de contenir le massacre est également bellement dépeint.
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Le second film, la comédie sentimentale 非诚勿扰 (traduite en anglais par “if you are the one” et en francais par “la perle rare”, voir un article en francais) a connu un très grand succès en Chine (plus encore que le film Red Cliff que je n’ai pas aimé).
Le film se passe à Pékin, Hainan et Hangzhou. Un riche pseudo-inventeur au passé chargé cherche l’amour sur internet et rencontre une jeune femme qui n’arrive pas à tourner la page d’une vaine relation avec un homme marié. Ils se cherchent l’un l’autre, partent en voyage au nord du Japon. La scène de la confession auprès d’un missionnaire allemand qui ne comprend pas le chinois m’a beaucoup amusé. Les acteurs sont excellents : on retrouve le fameux acteur chauve Ge You qui m’avait tellement ému dans le film “vivre” de Zhang Yimou.
En voici un court dialogue pour les sinophiles :
葛优:病秧子似的,你就不担心婚姻的质量?你这个年龄,我直说啊,正是如狼似虎的年纪。
车晓:您觉得爱情的基础就是性吗?没有怎么了?照样能白头到老,当然我的意思是完全不能有,但是别太频繁。
葛优:那你觉得多长时间算不频繁呢?
车晓:(伸出一个手指头)
葛优:一个月一次?
车晓:我的梦想,一年一次。
Le troisième film, 斗牛 (“douniu” la vache), m’a beaucoup touché hier soir. Ayant peu de temps aujourd’hui je me contente de renvoyer vers une revue sur un blog. Le film est dur mais beau, original, touchant.
L’année du Tigre va commencer
Shanghai s’est vidée
Les gens qui restent, les shanghaiens, sont merveilleusement détendus, joyeux.
De beaux visages, des yeux pétillants, des paroles douces.
Une trève dans la frénésie habituelle. Oubliés les conflits, les envies, les regrets.
Une paisible lumière, comme celle d’une veillée entre amis en hiver.
Nous partons demain aux Philippines en famille, mais j’aurais presque voulu rester ; les pétards vont bientôt commencer …
Bonne année !
新年快乐 !
万事如意 !
Signalons ici deux excellents documentaires vus ce week-end :
Les photographes de Mao , un couple touchant dont les clichés ont fasciné la chine et le monde (voir un commentaire écrit)
Shanghai, en attendant le paradis, un merveilleux documentaire sur une famille populaire de la vieille ville de Shanghai. La proche destruction de leur vieille maison est source de discussions, disputes, réflexions sur la vie, le monde et la modernité. Voir le site de la réalisatrice Sylvie Levey. Magnifique reportage.
J’avais déjà posté sur ce blog une série télévisée qui se passait dans le shandong : divorce à la chinoise.
Celle que je regarde en ce moment est passionante sur la société chinoise d’aujourd’hui : 蜗居 woju (“logis d’escargot” , c’est à dire humble demeure)
Deux sœurs quittent leur petite ville natale et vivent leur vie (durement) à 江洲, une ville imaginaire qui est en réalité Shanghai (on reconnaît les paysages urbains) ; une cherche la réussite (symbolisée par l’achat du logement et d’une voiture) ; l’autre cherche l’amour (elle a un petit ami mais rencontre un homme marié, un fonctionnaire corrompu qui détruit les vieux logements et spécule).
J’en suis au 7e épisode et viendrai poster des commentaires au fur et à mesure
Quelqu’un l’a vu ?