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Siberie j’y suis

2011 juillet 20
Posted by florent

Jusqu’a hier google n’avait pas grand chose a dire sur la randonnee a Heihe. Finito.

Me voila en Siberie, tout pres de la Russie, a la lattitude de moscou a peu pres. Les journees durent 19 heures.

Il ne fait meme pas trente degres mais tout le monde se plaint a grand cris de la chaleur de bete. Dans le restaurant ou j’ai dejeune, 80% des hommes prenaient leur repas torse nu.

Les nombreux blancs de cette petite ville sont tous russes. On me parle systematiquement en russe. Je ressors cette phrase que j’avais apprise lors d’un tour dans les pays de l’Est juste avant la chute du mur de Berlin : nepanyemayoroussski (desole pour la romanisation tres personnelle). Je ne parle pas le russe.

Dans mon hotel tous les panneaux sont en chinois et en russe. Je n’ai pas vu ni entendu un mot d’anglais.

L’ambiance est un peu celle d’une frontiere a problemes. Un peu far west. Beaucoup d’hommes civils (et quelques femmes) portent des treillis ; ils ont des tetes de trappeurs et des tatouages inspires par autre chose que de la tendresse. J’ai deja vu plusieurs bergers allemands, un chien plutot rare en Chine. Des barrages routiers ralentissent les deplacements. Au bord de la route des militaires font la sieste dans d’imposants 4*4 en ecoutant de la musique.

A la sortie de la ville un gros batiment en brique avec de hautes cheminees : c’est une distillerie construite par les japonais mais jamais reutilisee depuis leur depart. Le sentiment anti japonais est vraiment immense. Un guide touristique a qui je demandais s’il voyait parfois des japonais sur son site de rafting me repond “ici on ne prend pas les japonais”. Une paysanne me raconte avec chagrin qu’un jour quelqu’un lui a dit “tu dois etre japonaise car tu ressembles a une japonaise”. Ne s’en etant visiblement jamais remise, elle me raconte ses origines par le menu : pere du Shandong, mere shanghaienne, venus au Heilongjiang quand elle avait quatre ans (de maniere volontaire me dit-elle). Elle a connu le heihe tout plat, sans un seul batiment a etages (ici les maisons traditionnelles n’ont pas d’etages et sont minuscules, car difficiles a chauffer en hiver).

Cette meme paysanne me montre la Russie juste de l’autre cote du fleuve et me dit “ces terres la sont chinoises. un jour nous les recupererons”. Nous dansons ensemble a la fin de la journee, apres une bonne baignade dans le fleuve tres propre. Elle me raconte ses excellentes relations avec les xiaxiang 下乡 ou zhiqing 知青, ces jeunes instruits envoyes construire des routes et defricher la foret dans les provinces reculees. Le heilongjiang a ainsi recu plus d’un million d’adolescents et de jeunes de la seule ville de Shanghai. La paysanne me raconte encore la liberalisation (kaifang 开放) a partir de 1978. Enfin les soirees ne sont plus prises par des sceances d’education politique, enfin on a un peu plus de temps, enfin le progres commence a arriver et l’on sort graduellement de la pauvrete. Mais qu’est-ce qu’on en a bave ! C’est au moment de la liberalisation que ces bals populaires ont commence. Pendant l’ete elle vient danser tous les jours. La piste de danse est vraiment tres animee. Certains protagonistes ont mis leurs plus beaux costumes. On dirait la scene d’un music hall des annees soixante dix.

Juste de l’autre cote du fleuve Amour ( en chinois fleuve du dragon noir heilongjiang 黑龙江), il y a la Russie. La Russie est a moins de 500 metres

Je voulais aller randonner mais comme je m’en doutais ce n’est pas une activite organisee a heihe 黑河 . Pas de guide qui puisse vous emmener faire 5 jours de randonnee dans la foret.

Je dois me contenter d’une chauffeuse de taxi tres gentille, originaire d’une petite ville pres de Harbin et qui a epouse un Heihehois il y a douze ans.

Elle me fait sortir de la ville et je vais me promener tout seul dans la foret. Ce matin nous sommes alles a une reserve ethnographique sur les oroqin ou oroqen, une ethnie nomade tres ancienne. Voici la photo satellite de l’endroit (prise en hiver). Les tipis oroqin ressemblaient beaucoup a ceux des peaux-rouges d’amerique, sauf que la couverture du toit etait en epines de pins plutot qu’en cuir. J’admire une exposition d’objets (mouffles, berceaux) pour se proteger des moins quarante degres qui frappent la foret en hiver.

Vite je suis sorti de la reserve pour aller marcher un peu dans la foret. Au bout de quelques temps j’ai croise un paysan qui marchait avec ses outils et son berger allemand. J’ai d’abord vu sa silhouette rablee, puis son teint burine, puis ses yeux brides, puis ses yeux bleu acier. J’etais saisi.

La faune est riche et fait bruisser la foret. Il y a beaucoup d’insectes, qui ont visiblement trouve la parade pour passer l’hiver. Une araignee m’a frappe par une toute petite tete, minuscule par rapport a un abdomen gros comme une noix. Un serpent mort sur le chemin etait visiblement une couleuvre, avec cette queue bien effilee. Deux petits rongeurs ont traverse le chemin, la queue toute droite (comme les phacocheres d’Afrique); c’etait sans doute des ecureuils ou des sortes de furets. Dans les fourres j’ai entendu puis vu furtivement un enorme oiseau, gros comme un dindon. Ce devait etre un tetra lyre ou son cousin. Je vois aussi des ecureuils, des champignons.

On se croirait un peu en Europe finalement. Des locaux me disent qu’on trouve en foret des sangliers, des renards, des cerfs (dont une espece sans corne qui signifie maintenant “stupide” dans le patois local car ces bestioles ne fuyaient pas quand les premiers colons voulaient les attraper pour les manger). On les appelle 狍子 je ne l’ai pas trouve dans le dictionnaire.

Je me dis qu’Europe et Asie sont un seul et même continent. L’exotisme d’une ballade en forêt en Australie ou au Venezuela ne se retrouve pas ici. C’est parce que nos civilisations ne se connaissaient pas que nous avons créé ces deux continents.

Ne se connaissaient pas, ou ne se connaissent pas ?

6 Réponses Leave One →
  1. Liu permalien
    juillet 21, 2011

    Je retrouve des souvenirs de la rudesse des russes. Je ne suis pas allée en Sibérie mais en Hongrie près de l’ukraine et là-bas, ils sont très nombreux et en terrain conquis… Je n’ai pas aimé leur comportement et leur manière de déployer leur argent auprès des hongrois. C’était au cours d’un mois de janvier glacial, il y faisait -20° et je me souviens que chaque gorgée de vin chaud que l’on trouvait facilement dans des échoppes de fortune à chaque coin de rue, me transperçait le corps tant j’étais congelée !! J’ai appris le russe au lycée et j’ai beaucoup aimé cette langue. J’ai toujours plaisir à l’entendre, parfois à la comprendre – en bribes, et à la lire.

    Merci pour tous tes récits.

  2. Claire permalien
    juillet 22, 2011

    狍子Roe Deer
    http://en.wikipedia.org/wiki/Roe_Deer

  3. florent permalien
    juillet 26, 2011

    Claire , ce serait des chevreuils ? cela m’étonne car on me les a décrits sans bois. Et les chevreuils sont plutôt farouches non ?
    Peut être des cousins des chevreuils. Mais pas des daims car j’en ai vus ; ils avaient un autre nom.

  4. Claire permalien
    juillet 26, 2011

    Oh, vous avez raison, je m’étais trompée, Roe Deer est aussi appelé “Western Roe Deer(西方狍)”. Selon 百度百科, 狍子est le terme familier, le nom scientifique est 矮鹿, c’est une sous-espèce de “Siberie Roe Deer(西伯利亚狍)/Estern Roe Deer(东方狍)” http://en.wikipedia.org/wiki/Siberian_Roe_Deer
    on retrouve 矮鹿/中国狍 le plus souvent dans le nord-est de la chine, tandis que Siberie Roe Deer se répartissent essentiellement dans le nord-ouest du pays. mais aussi en Mongolie, et bien sur en Siberie.
    En général, Siberie Roe Deer est plus grand et plus lourd que 矮鹿/中国狍, ses ramures sont aussi plus longues.
    Ce pendant je n’ai pas trouvé Siberie Roe Deer dans le dictionnaire français, même dans “le grand dictionnaire terminologique québécois” seul Roe Deer a été répertorié. alors du coup je ne sais pas comment on les appelent en français.

  5. florent permalien
    juillet 27, 2011

    Merci pour vos recherches Claire, partons donc sur le “chevreuil de sibérie”, une espèce distincte du chevreuil d’europe.

    Oui Liu, les russes ne m’ont pas fait bonne impression en chine. Et les chinois acceptent volontiers de commercer avec eux mais ne sont pas tendres en privé.
    Disons que leur comportement ne faisait pas dans la finesse, même si les russes sont issus d’une civilisation magnifique. Les frères Karamazov, que j’ai lu à 17 ans, reste je crois le roman le plus exhaltant que j’aie pu lire. Mais voilà 80 ans de totalitarisme ont détruit beaucoup de richesses de cette civilisation. Plus qu’en chine je crois.
    Précisons aussi que les russes de Heihe sont les russes émigrés en sibérie, ce sont donc un peu des pionniers, des aventuriers, des bourlingueurs.

  6. dada permalien
    juillet 28, 2011

    狍 est un caractère étrange.

    En chinois traditionnel, tout comme dans Shuowen, on écrit 麃 (鹿 sur 灬), avec la racine 鹿, cerf.

    On trouve aussi 麅 (鹿 sur 包), mais c’est une erreur. Shuowen ne connaît pas ce caractère.

    Aujourd’hui, des dictionnaires expliquent 狍 en citant 山海经, un ouvrage géographique très ancien et plus ou moins crédible. Cependant, d’après cet ouvrage, 狍 était un animal légendaire, à visage humain et au corps de chèvre, avec les yeux sous les aisselles.

    Tout comme pour 麅 (鹿 sur 包), la désignation du cerf par 狍 résulterait donc d’une assimilation phonétique.

    麃 (鹿 sur 灬), avec la racine 鹿, cerf, est nettement mieux que 狍 avec sa racine chien. Cependant, les mélanges de racine n’étaient pas si rares. C’est ainsi que le chat 貓 est devenu canin en se simplifiant en 猫. Il y a même des cas où le cochon 豕 vient se croiser avec le chien et le chat. Pour le cerf, nous avons 麞 (鹿 sur 章), devenu aujourd’hui 獐.

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