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Y a-t-il une philosophie Chinoise ? 9/10

2006 juillet 30
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Posted by florent

Voilà un très bon bouquin ; excellent même. Je connais un prof de philo qui ferait bien de le lire (hein Thibaud?)

C’est en fait un numéro de la revue “extrême orient   extrême occident” (paris 7), publié aux presses universitaires de Vincennes sous la direction d’Anne Cheng (fille de Francois Cheng et auteur de l’excellente histoire de la pensée chinoise).    Un ami sinologue faisait partie du comité de relecture et m’a confirmé la qualité du texte.

 

Ce livre est vraiment plus intéressant que celui de monsieur Jean Leclerc du Sablon (ce qu’il est long à taper, ce nom !), donc impossible d’en extraire quelques phrases. Je tenterai de dire ce que chacun des chapitres m’a appris. Les trois derniers chapitres sont ceux qui m’ont le plus marqué.

 

Paradoxalement l’introduction et la conclusion disent que c’est une mauvaise question !

Anne Cheng ouvre la réflexion en rappelant que la question est posée depuis 1828 par Victor Cousin en Sorbonne.

 

Il convient de distinguer la philosophie en chine, c’est-à-dire l’activité des philosophes contemporains en chine, de la philosophie chinoise, dont il est ici question et qui serait une branche de la philosophie, comme la philosophie continentale. Dans la philosophie chinoise, on peut distinguer la philosophie contemporaine et la philosophie classique.

 Les lumières (Leibnitz, Voltaire) étaient fascinées par la « philosophie de
la Chine », mais les premières « histoires de la philosophie » ont assez vite ignoré la pensée chinoise classique, tandis qu’émergeait une science particulière, la sinologie, qui recouvrait l’étude de la pensée chinoise. Alors que les lumières intégraient la pensée chinoise dans leur combat de la philosophie contre la religion, Kant et Hegel ont voulu replacer la philosophie dans un périmètre exclusivement européen. Dès lors que la philosophie est science, tout ce qui n’est ni grec ni chrétien ni européen n’est pas philosophique. 
 

Ce point, clairement montré par Anne Cheng et surtout par Anne Lyse Dyck dans son chapitre (La Chine hors de la philosophie. Essai de généalogie à partir des traditions sinologique et philosophique francaises au XIXe siècle),  m’a fait prendre conscience de cet impérialisme européen issu des lumières : avec l’impression d’avoir créé la science moderne et l’encyclopédisme, l’Europe s’est apparemment coupé du reste du monde qu’elle a exclu au XIXe siècle. Cela m’aide aujourd’hui à mieux comprendre les racines du colonialisme.

 

En tous cas cela nous amène à une position contemporaine tout à fait paradoxale : On rejette la Chine de l’entrée philosophie, mais on parle de philosophie dans l’entrée Chine. En d’autres termes, on soutient simultanément que « la Chine possède une philosophie », et que « la philosophie n’existe pas en Chine ». Etonnant, non ?

   

Dans le second chapitre (Philosophy in China, notes on a debate ; en anglais), Heiner Roetz rentre dans les différents arguments pour et contre l’existence d’une philosophie chinoise. Ce chapitre est plus difficile à lire.

Contre une philosophie chinoise, il aborde le lien à l’histoire (pour Kant puis Hegel , la philosophie est fondée sur l’histoire. Or la chine n’a pas d’histoire, elle est en continuité dans une « éternelle jeunesse » fascinante pour les lumières mais primitive au fond). Suit le rapport à la langue, la langue chinoise est présentée comme plus performative qu’énonciatrice, par l’utilisation des idéogrammes.

Comme arguments pour, M Roetz reprend l’existences de débats dans la Chine des Zhou, visant par exemple à déterminer les nouvelles normes et standards (Fa-yi) pour remplacer les référents déclinants de parents, maîtres, chefs. Il montre aussi que les prétendus débats philosophiques en Grèce antique n’étaient pas toujours de nature philosophique : le logos n’était pas toujours aussi théorique que cela.

Roetz finit par rappeler la vocation universaliste, et non européo-centrique, du projet philosophique.

 

Carine Defoort prend la suite pour Existe-t-il une philosophie chinoise ? Typologie des arguments d’un débat largement implicite. Elle parle du monde d’aujourd’hui, s’étonne qu’aucune université occidentale n’ait intégré de section chinoise dans les cursus de philosophie. Voir la science d’à côté , la sinologie. La philosophie générale est nécessairement occidentale. (l’auteur note cependant que l’université d’Hawaï fait figure d’exception, avec son cursus obligatoire de troisième cycle en philosophie chinoise, indienne et comparée)

Autre exemple dans une librairie : vous ne trouverez pas les textes sur la pensée classique chinoise au rayon philosophie, mais quelque part « entre astrologie et massage érotique ». C’est vrai que c’est choquant !

Mme Defoort montre la part d’émotivité d’un débat qu’elle qualifie d’implicite. Cette émotivité est très présente côté chinois, pour le millier d’universitaires chinois en philosophie. Face à la revendication chinoise, l’occident fait preuve de chauvinisme, arguant que la pensée chinoise n’est pas assez marquée par la systématicité, la réflexion et la rationalité pour être de la philosophie. La question se pose de la même manière au sujet de la « science chinoise », ou de la « religion chinoise ».

 

En Chine, la philosophie a été définie rétrospectivement, en emboîtant le pas au Japon. Au XIXe siècle, le Japon se tourne vers l’occident pour sa modernisation, et crée le terme 哲学 (prononcé Zhe2 Xue2 en chinois) : étude de la sagesse. Au début du XXe siècle, l’effervescence intellectuelle chinoise introduit la discipline du哲学, met à mal la notion traditionnelle du maître et cherche à revisiter toute le canon chinois avec des concepts directement fabriqués à partir de la philosophie occidentale : humanisme, réalisme, pragmatisme… Des intellectuels comme Hu Shi ou Feng Youlan se consacrent à expliciter la philosophie chinoise, à la systématiser.

L’opération est suivie par la période communiste, qui aussi donne beaucoup de déchet. L’occident apporte aujourd’hui très peu de crédit à ces travaux du XXe Siècle. En Chine, on a transformé les maîtres (zhuzi) en spécialistes universitaires de philosophie chinoise. Ainsi au moment même où le terme de philosophie est introduit en Chine, la philosophie chinoise traditionnelle cesse d’exister.

Carine Defoort finit par examiner la signification du terme « philosophie », et la valeur qu’on lui accorde pour tenter de limiter l’implicite du débat. Pour elle le périmètre de la philosophie est défini très étroitement aujourd’hui ;elle recommande plutôt de la considérer comme une famille.

  

Pentagram image from Heinrich Cornelius Agrippa's Libri tres de occulta philosophia illustrating the golden symmetry of the human body. The signs on the perimeter are astrological.

 Joël Thoraval écrit Sur la transformation de la pensée néo confucéenne en discours philosophique moderne (Réflexions sur quelques apories du néo-confucianisme contemporain)

L’article se penche sur les travaux du philosophe Mou Zongsan (1909-1995). Il touche le flou de la limite entre religion et philosophie, et montre les différentes approches de l’historien et du philosophe. Il aborde également la question de la transmission du savoir : entre maître et disciple, ou plutôt par l’université ? Il prend à ce sujet deux exemples : la médecine chinoise et la réflexion lacanienne. Le passage sur l’incompatibilité entre la formation universitaire et l’expérience psychanalytique, vue par Lacan, est difficile à résumer mais passionnant.

Joël Thoraval rejoint le chapitre précédent pour dire que la construction d’une philosophie chinoise au XXe Siècle est une impasse, telle qu’elle a été menée.

 

Le chapitre suivant, de l’écriture d’une «histoire de la philosophie chinoise », la pensée classique à l’épreuve de la modernité, est signé par un chinois : Zheng Jiadong. La trame historique Chinoise (les yao, les shun, les époques) doit elle être revue, en surface ou en profondeur, pour que se dégage une histoire de la philosophie chinoise? Encore ici un avis négatif porté sur les travaux du XXe siècle, menés par « copier coller » de concepts de Kant, ou Hegel par exemple. L’auteur aborde aussi l’organisation de la matière philosophique (avec les disciplines de la métaphysique, de l’ontologie). Son texte est, je l’avoue, un peu trop documenté et technique pour l’amateur que je suis.

 

Le texte de Léon Vandermeersch   est très court : Quid de la philosophie chinoise ?

Le grand sinologue se contente de reprendre les deux chapitres précédents, il valide les contradictions et incohérences qu’ils soulèvent, et il permet de « placer la pensée chinoise et la pensée occidentale non pas en miroirs se renvoyant simplement leur image l’une à l’autre, mais en foyers de réflexion en prise l’un sur l’autre. ». Il conclut par une question :

Si la science chinoise de la médecine n’est toujours pas intégrable à la science mathématisée universelle, pourquoi la pensée chinoise devrait elle l’être à la philosophie pseudo-universelle de l’occident ? Cela ne signifie ni qu’elle soit sans valeur, ni qu’elle manque d’un profond intérêt.

  On prend du recul avec Geoffrey Lloyd : What did the greeks invent and is it relevant to China ?

Le texte est remarquablement clair et instructif. Il relève (chose inconnue pour moi jusqu’alors) la différence de perception, même au sein du monde occidental, entre la philosophie continentale (marquée par l’idéalisme) et la philosophie anglo saxonne (positivisme logique). Il montre les incompréhensions et la lenteur d’assimilation sur les œuvres de philosophes comme Ayer, Austin, Quine d’un côté; Sartre et Merleau Ponty de l’autre.

Il entre ensuite dans les origines de la philosophie en Grèce antique. La philosophie n’a pas toujours été vue positivement. Elle s’est rapidement élargie à un champ très vaste, celui de la recherche du bonheur (eudaimonia). Il évoque les sceptiques et leur remise en cause des critères de vérité. Bref, il montre la diversité naturelle et les évolutions de la chose philosophique.

 

C’est le dernier chapitre que j’ai préféré : celui du phénoménologue Claude Romano : Un étrange oubli.

Un texte magnifique ; j’enjoins au lecteur de le savourer !

Sans nullement être spécialiste de la Chine, Claude romano explore le concept de l’oubli tel qu’il est développé dans le Zhuangzi. Je crois que je vais m’arrêter là pour laisser le suspense et pour ne pas travestir un très beau texte que je viens de lire pour la troisième fois en un mois.

 

Juste une appréciation personnelle : grâce à ce texte, je regarde différemment l’idée d’oubli, qui est vue négativement dans notre culture occidentale. J’avais pressenti quelque chose (en lisant Michel Serres et le Zhuangzi), mais maintenant je regarde l’oubli comme quelque chose de plus large, et cette vision m’enrichit.

 

Une lecture que je recommande chaleureusement à ceux qui pensent, comme moi, que les chinois voient le monde profondément différemment de nous, et que cette différence peut, à défaut d’être comprise, être approchée ou pressentie dans ce qu’elle a de juste.

 

(on trouvera ce livre en librairie spécialisée, chez Youfeng ou au Phenix à Paris)

Four où l’on cuit certaines couleurs et la dorure pour les porcelaines 
(Planche No 19 de l’album chinois envoyé par le père Amiot au ministre Bertin)
12 Réponses Leave One →
  1. Wanle permalien
    juillet 30, 2006

    Salut Zhao !
    je pense que le fond de la philosophie chinoise peut être classé dans les rayons de nos librairies s’ il sagit de bons ouvrages, d’ ailleurs, je remarque que la pensée chinoise est souvent mis en boite à l’ occidental et que des phrases courtes peuvent être plus pertinentes que de long discours, cela dis il est vrai que pour l’ introduire à l’ occidental , il est nécessaire de la lui présenter sous différents angles, mais tu l’ as placé à juste titre le Taiji ou symbole du Yin et du Yang est réellement le symbole chinois par excellence , il résume le centre , le noyau de la pensée, la philosophie de la Chine, il est scientifique autant que moral, il est naturel et provient du Dao, il y a selon moi derrière ce symbole une sagesse véritable qui doit permettre aux hommes de vivre mieux , en se connaissant mieux eux même et en connaissant de mieux en mieux l’ univers naturel dont ils font parti ,en cultivant la sagesse caché derrière ce symbole , l’ homme peut évoluer et une alchimie s’ opère s’ il comprend bien le Tao , l’ équilibre corporel et mental, vient de cette force universelle qui transcende toutes choses, et qui ne saurait s’arrêter de disperser la vie, car le Tao est en mouvement perpetuel , crait des cycles qui se renouvellent sans cesse, c ‘ est pourquoi on dit dans le Taoisme que l’ homme peut bel et bien acceder à l’ immortalité en étant enraciné dans le Tao, l’ esprit animé par la vie , la force, l’ energie, l’ harmonie du Tao ne saurait mourir, il dévelloppe la conscience naturelle de l’ être, de l’êtreté, le taoiste cultive la conscience dans l’ instant tout comme le bouddhiste d’ ailleurs, ce qui diffère le plus de ces deux écoles est que l’ un recherche la verité , la pratique du vrai , vrai comme l’ arbre, le ciel, la nature,la connaissance des élements, le Tao et toutes ses energies…., et l’ un met l’ accent beaucoup plus sur la compassion , la bonté, le salut universel, là ou les deux écoles se rejoignent également , c ‘est qu’ elles enseignent toutes les deux que l’ homme dans la societé se fourvoit dans une illusion et que la réalité suprème lui échappe de plus en plus s’ il s’ y perd, alors que cette réalité est là , toujours, en lui et au dehors de lui , c ‘est pourquoi , ces deux traditions aux diverses branches cultivent la quiétude, l’ observation, l’ introspection, le discernement, la meditation … pour éveiller toujours plus sa sagesse et rallier sa conscience à l’ universel sur lequel repose toutes choses.
    Bien évidemment , j’y crois et je trouve que la culture chinoise possède une richesse infini avec ses 3 écoles majeurs que sont le Taoisme , le Bouddhisme er le Confucianisme, La Chine , la terre des dieux… ,de nombreux mystères reposent en son sein et elle nourrit les corps et les ésprits de ceux qui l’ aiment , la Chine est fidèle et Eternelle, beaucoup l’ ont oubliés ….Ma déclaration d’ amour envers la Chine est faite , je suis heureux de l’ avoir dis , j’ aime la Chine sans bornes, sans limites comme le Tao peut l’être …

  2. juillet 30, 2006

    salut wanle !

    j’ai cru voir les joues de dame culture chinoise s’empourprer légèrement devant une telle déclaration d’amour

    quand tu parles de recherche de la vérité, n’est ce pas de la philosophie ? Mais nous occidentaux, si le discours n’est pas construit avec méthode et bien rangé dans des encyclopédies, nous n’y accordons pas valeur de science. Nous refusons un discours allusif qui délibérément dit les choses à moitié.

    il faut absolument que tu puisses lire ce bouquin et qu’on puisse en parler ! le dernier chapitre sur l’oubli est sublime, il touche à la poésie et au mystique selon moi. Tu évoques indirectement l’oubli à plusieurs reprises dans tes posts ; c’est un oubli retour, un oubli par lequel on assimile les choses, on en perd la conscience mais elles sont en nous. J’ai oublié comment faire du vélo car je n’y pense plus en pédalant. Et plus j’oublie les choses, plus je les sais. On touche aussi à l’inconscient, mais ce sujet est en friche. Le zhuangzi donne une vision très profonde et positive de l’oubli, proprement philosophique à mes yeux..

  3. juillet 31, 2006

    “Jean Leclerc du Sablon (ce qu’il est long à taper, ce nom !)” :
    ne ferais-tu pas du racisme à rebours avec les noms à particule ?
    ;-) )

  4. juillet 31, 2006

    Une belle histoire signée Jing Yong, auteur contemporain de Wuxia xiaoshao (romans d’arts martiaux)

    C’est Zhang WuJi, le héros de l’histoire qui, pour défendre le temple taoïste de Wu Dang, se propose d’affronter un adversaire à l’épée. Or, bien que très fort en Qi (énergie) WuJi est presque novice au maniement de l’épée et demande à son grand-maître(le maître de son père) de le lui enseigner.
    A l’étonnement de tous, le grand-maître propose de lui enseigner le Tai Chi Jian (version épée de Tai Chi Quan) devant tout le monde, y compris l’adversaire de WuJi. Les amis de ce dernier s’inquiètent : si l’ennemi assiste à l’enseignement des coups, comment pourrait-il être surpris par ceux-ci ?
    Après avoir montré un enchaînement de quelques dizaines de coups, le grand-maître demande à WuJi : “En as-tu saisi le sens ?”
    “En partie, je pense.”
    “Bien, te souviens-tu des coups que je t’ai montrés ?”
    “J’en ai oublié une petite partie.”
    “Bien, c’est déjà pas mal. Je te laisse quelque temps de réfléxion.”
    “Et maintenant ?” demande le grand-maître près un certain temps.
    “J’en ai oublié une grande partie.”
    “Oh non !” s’inquiète alors un ami de WuJi, “Même s’il est doué, il ne peut pas tout mémoriser tout de suite. Maître, montrez lui encore une fois les coups.”
    “Très bien.” Et le grand-maître d’enchaîner quelques autres dizaines de coups, tous différents des premiers. “Travaille bien maintenant.”
    Après un long moment de réfléxion, WuJi s’exclame enfin : “Grand-maître, j’ai oublié ! J’ai tout oublié !”
    “Bien. Bats-toi maintenant.”
    Les autres amis de WuJi, plus fûtés que le premier, comprennent alors que ce qu’a voulu enseigner le grand-maître à WuJi est une conception du maniement de l’épée et pas les coups. Une fois que l’on a saisi cette conception, il faut justement s’empresser d’oublier les coups qui ont servi de support pour ne pas en être prisonnier.
    Victoire éclatante de WuJi.

    un grand merci à Gangounet, l’élégant érudit, qui l’a racontée sur le chinatown ; elle est intéressante !

    ps pour porte plume : non non je t’assure. Je regrette juste que nous autres n’ayons pas des noms simples comme les chinois. Si on s’appelait tous Hu, ou Li, on ferait plus vite ses blogs, quoi. Ce serait mieux ;-) )

  5. août 1, 2006

    effectivement cette histoire est en plein dans le thème !
    (désolé je te réponds tard mais mon scooter est tombé en rade sur l’autoroute, j’ai du me taper 8 km à pieds pour rentrer chez moi :-( (

    pour te remercier, voici un petit extrait de ce claude romano (qui me donne une envie pressante de mieux connaitre la phénoménologie) :

    allez, c’est trop dur de retenir un seul passage, alors voici deux passages, même. D’abord son introduction que je trouve d’une fraîcheur très agréable pour cette fin juillet :
    “”"
    Je me suis toujours senti à l’égard de la pensée chinoise comme un enfant retenu derrière une vitre et regardant des sommets enneigés où il aimerait aller courir et s’ébattre. Ces sommets pourraient avoir pour nom Zhuangzi, Mencius, Confucius. Il ne faudra pas s’étonner si les maigres remarques qui suivent se ressentent de l’immobilité du corps et de l’engourdissement des membres ; elles ne dépasseront guère le stade de la rêverie. Elles n’en ont ni le pouvoir ni la compétence ; elles ne revendiquent aucune légitimité. Si l’enfant a fini par s’écahapper, il faudra le ramener avec indulgence à sa philosophie occidentale d’origine, ou à sa philosophie tout court, en gardant toutefois à l’esprit ce lapidaire avertissement de Rimbaud, à la fois constat et injonction, que tous les philosophes feraient bien de méditer au moins semel in vita : “Philosophes, vous êtes de votre Occident.”>

    Pas mal, non ?
    (cela dit je ne sais pas ce que semel in vita veut dire… ;-( )

    Et un petit passage où, après la description de l’oubli au sens occidental (qui est, depuis la République de platon, une défaillance subie de la mémoire), après le rappel de la définition de l’homme vrai par Zhuangzi (“son esprit oublie” (wang)) et après avoir posé les passages du boucher ding (http://florent.blog.com/421210/) et celui du nageur de la cascade de luliang (http://florent.blog.com/390310/), il évoque un passage que je ne connaissais pas :
    “”"
    “Yen Yuen interrogea un jour confucius en ces termes : “Un jour j’ai traversé le fleuve à coupe profonde. Le passeur manoeuvrait son bateau avec une divine aisance et je lui ai demandé si l’on pouvait apprendre à naviguer comme lui. Oui m’a t il dit: un bon nageur y parvient tout de suite, un bon plongeur y parviendrait même s’il n’avait jamais vu de bateau de sa vie. Je lui ai demandé de plus amples explications, mais il n’a rien voulu ajouter. Puis je vous prier de m’exprimer ce que cela voulait dire ?” Confucius répondit : “le bon nageur y parvient parce qu’il oublie l’eau”.
    Tel que je comprends ce passage, il y est question de la manière dont s’incarne une aptitude pratique. Oublier l’eau (et oublier la nage), c’est rigoureusement savoir nager. Ce savoir est un savoir pratique qui n’existe que dans son exercice. Cet exercice, à son tour, peut être plus ou moins fluide, délié, spontané. Plus une aptitude est maîtrisée et plus elle s’exerce dans l’oubli et l’inadvertance. Les activités qui sont ici prises en exemple sont celles où la maîtrise a atteint un summum précisément en se laissant oublier, en s’absorbant tout entière dans le geste. J’ignore si Kafka avait lu Zhuangzi ; l’un de ses textes, pourtant, en fournit un lumineux commentaire. Kafka y explique pourquoi il ne sait pas nager : “je sais nager comme les autres, seulement j’ai plus de mémoire qu’eux, je n’ai pu oublier l’époque où je ne savais pas nager. Comme je ne l’ai pas oubliée, il ne me sert de rien de savoir nager et malgré cela je ne sais pas nager. ” Le souvenir de l’apprentissage est ce qui empêche l’apprentissage d’atteindre à l’inconscience et le geste de s’accomplir dans une totale spontanéité : l’excès du souvenir bloque ici la véritable “mémoire” qui est de nature corporelle et pratique, -et qui est la même chose que l’oubli. Cet oubli n’est pas un état passif, c’est une ressource et une force agissante. Ce n’est pas un manque, mais une acquisition. L’inconscience dans laquelle il nous plonge est une lucidité, une veille du corps.
    Mais il faut aller plus loin”"” …

    Pour aller plus loin, passer au phénix ou chez you feng, ou contacter la revue “extreme orient extreme occident”

  6. wanle permalien
    août 7, 2006

    On dit dans le Taoisme que la force du Tao est à la fois naturelle et surnaturelle, parceque c ‘ est une intelligence naturelle mais qui dépasse toutes les formes créés et engendrés par le Tao , Lao Zi dit qu’ il se trouve dans le vide ou le néant , caché mais omnipresent , pour être en harmonie avec cette force suprême , il faut lui faire confiance jusqu’à ce qu’ elle nous revele le langage naturel, le mouvement naturel des choses, c ‘est pourquoi beaucoup d’ arts asiatiques qu’ ils soient martiaux ou autres sont des 道, lorsqu’ on apprend un mouvement martial , une prise ou autre chose , il faut le temps de l’ integrer avant que la synthèse se fasse et que l’ on parvienne à différents degrés à l’ obtentien de ce Dao, l’ orsque le geste devient naturel , precis , c ‘est qu’ une fusion , une synthèse s’ est operé en nous , c ‘ est la friction entre les matières qui ont évolués sous l’ effet de notre diligence à suivre une étude et au travers du Tao qui transcende les choses puisque cette prise , cet étudiant , ce professeur , le temps et l’ espace , le parcours qui ont mené à cette synthèse proviennent toutes du 道, le moment ou une percé du geste ou de la conscience se fait on utilise aussi un caractère : 悟 c ‘ est l’ éveil , la prise de conscience, une synthèse de l’ esprit qui ouvre des portes sur un domaine qui était encore non maitrisé ou non connu …
    on ne parvient vraiment à la voie de quelquechose que lorsque la fusion est operé et que l ‘ on y pense plus , ou bien que notre esprit et notre corps n’ ont plus aucun décalage pour accomplir tel ou tel chose et à ce moment là , on accède à l’ esprit du Tao qui est au dela des formes et qui les maitrise parfaitement .
    Cette maitrise peut passer par nous car nous sommes parti integrante de cette force , le danger de l’ homme est que l’ ignorant de plus en plus , il risque de jouer avec des forces qui vont finir par le broyer , en créant trop de courants négatifs , les retours sont previsibles , c ‘ est pourquoi il est préférable d’ engendrer de bons “souffles ” que le Tao tot ou tard nous renvoie , l’ obtention de la voie est l’ ultime but du taoiste 得道, il accède à l’ immortalité , la sagesse, la connaissance, la maitrise du Tao et la vie naturelle sans obstacle dans les nombreux cieux cachés dont seul les immortels ont accés

  7. wanle permalien
    août 7, 2006

    on retrouve aussi des represnetations du corps humain avec des points sur le corps d’ un homme debout ou assis ou en tailleur ou en position du lotus (meditation ) avec des annotations en chinois bien sur qui décrivent les points vitaux et les processus de l’ alchimie interne à l’ interieur du corps humain(interne donc !) cela parait bien compliqué et mysterieux souvent mais c ‘ est vrai qu’ il ya une connaissance du corps humain dans les secrets Taoiste qui sont vraiment trés mysterieux et mystique même si on se place d’ un point de vue cartesien qui qui ne croit que ce qu’ il voit , je trouve cela dommage que l’ occident et pire la chine d’ aujourd’ hui n’ ait pas suivi le chemin de cette science taoiste qui considère que les energies du corps humain dans les couches profondes doivent être équilibrés , harmonisés , c ‘ est une science non violente aussi c pourquoi je dis qu’ elle est morale parceque même si l’ accent est mis sur la connaissance du réelle jusque dans ses couches les plus invisibles à l’ oeil , la science taoiste vise à transformer les tensions, les violences , les peurs , les traumatismes pour que ces energies malsaines soeint transformés en confiance , assurance, calme, vivacité, équilibre harmonie… c ‘ est vraiment trés sage et trés scientifique mais cela relève d’ une science plus elevé dont les hommes se sont détournés en préférant les pansements du corps ou les rafistolages sans s’ occuper de la racine des problèmes qui proviennent d’ espaces plus profond, quel dommage et quel perte de temps pour l’ évolution dans la connaissance universelle pour notre humanité , rien d’ étonnant que les déséquilibres soient de plus en plus grand et dangereux pour la planète avec un monde qui ne se soucie que de la parti la plus visible , superficielle de la réalité….Science sans conscience n’ est que ruine de l’ ame disait montaigne …

  8. août 7, 2006

    “”"
    toutes les sciences des temps anciens et du Moyen Age, européennes, arabes, indiennes ou chinoises,avaient leurs caractéristiques propres. Il n’y a eu que la science moderne pour intégrer ces spécificités ethnologiques dans une culture mathématisée universelle. Cependant, alors que toutes les sciences physiques et quelques unes des sciences biologiques les plus simples de Chine et d’Europe se sont unifiées depuis longtemps, cela n’est toujours pas le cas pour des systèmes médicaux des deux civilisations. Comme onpourra le voir plus loin, bien des points de la médecine chinoise ne peuventêtre expliqués en termes modernes, sans quecela signifie ni qu’ils soient sans valeur, ni qu’ils manquent d’un profond intérêt.
    “”"
    Needham, Science & Civilisation in China, vol VI, Cambridge p38
    PS : je continue ma pérégrination vers le 悟… c’est lent comme l’eau qui use le rocher…

  9. laurence permalien
    septembre 7, 2006

    Florent,

    Merci de nous faire partager tout ça. C’est vraiment passionnant et je n’aurais sans doute pas le courage et l’énergie de parcourir tous ces articles!

    Je retranscris un des multiples passages de la Recherche (ici dans Albertine Disparue) qui parle de l’oubli, non pas de façon négative, mais au contraire comme d’un moyen de sublimer l’autre – et plus tard aussi comme le processus nécessaire pour retrouver le temps, et pour être capable de créer (c’est en oubliant – puis en retrouvant des moments intemporels, infinis, que le narrateur trouve enfin sa vocation et commence à écrire…). Finalement Proust n’est pas si loin du boucher : pour lui l’art passe nécessairement par l’oubli, et l’amour aussi – même si je le trouve parfaitement cynique, et tellement lucide, sur le rôle de l’oubli dans la construction de l’amour!!!

    “Je ne dis pas que l’oubli ne commençait pas à faire son oeuvre. Mais un des effets de l’oubli était précisément de faire que beaucoup des aspects déplaisants d’Albertine, des heures ennuyeuses que je passais avec elle, ne se représentaient plus à ma mémoire, cessaient donc d’être des motifs à désirer qu’elle ne fût plus là comme je le souhaitais quand elle y était encore, de me donner d’elle une image sommaire, embellie de tout ce que j’avais éprouvé d’amour pour d’autres. Sous cette forme particulière, l’oubli, qui pourtant travaillait à m’habituer à la séparation, me fait en me montrant Albertine plus douce, souhaiter davantage son retour.”

  10. septembre 8, 2006

    quelle élégante complexité chez proust !
    merci laurence pour ces lignes ; difficiles à comprendre je trouve.

    Est-ce à dire que l’oubli permet de prendre une distance, de mélanger les choses (l’amour d’Albertine avec d’autres amours…), et que la beauté serait, plutôt qu’une conscience continue des choses telles qu’elles sont (quel ennui!), l’accès à l’autre et à son sentiment pour l’autre?

    En d’autres termes, l’oubli permettrait d’enfouir en soi les ingrédients d’une alchimie émotionnelle ?

  11. mars 21, 2007

    Je lirai ce livre.
    Dans ma thèse, j’ai tenté d’expliquer cet ostracisme de la pensée orientale ou extrême-orientale.
    J’ai toujours été choquée par cette attitude au sein de l’enseignement philosophique en France.
    J’évoque très rapidement ce point au sein d’un billet débridé.
    http://rosesdedecembre.blogspot.com/search?q=philosophie+orientale

  12. mars 11, 2009

    You still write on here! Thanks :)

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