Jules Verne : Les tribulations d’un chinois en Chine 5/10
Peu de contributions à ce blog récemment. Et pourtant je lis beaucoup.
Alors reprenons par quelques notes de lectures.
D’abord Jules Verne et ses tribulations d’un chinois en Chine , qui font partie de la fameuse série des Voyages extraordinaires (64 volumes écrits en 40 ans).
Disons le d’emblée, Jules Vernes n’a jamais mis les pieds en Chine
Son récit est largement imaginaire, mais il n’en est pas moins intéressant.
Nous sommes au XIXe siècle à Shanghai. Kin Fo, le héros , ne veut plus vivre car il est ruiné. Il mandate son ami Wang, redoutable philosophe taoiste, pour l’aider à disparaître.
Mais la fortune de Kin Fo revient , et il veut vivre. Il recherche Wang, en compagnie de deux sbires d’une compagnie d’assurance qui ne veut pas payer la prime, pour demander à Wang de le laisser en vie. S’ensuivent de rocambolesques aventures.
On m’a offert l’édition ex-libris de 1977 qui contient de jolies gravures (voir ici une cinquantaine de ces gravures)
Relevons quelques passages :
D’abord une mention page 12 de la surpopulation chinoise et de l’émigration (voir le billet dédié à l’histoire du chinatown de San Francisco). L’auteur vient de dire qu’avec environ trois cent soixante millions d’habitants, la Chine compte un tiers de l’humanité, et que ne pouvant nourrir sa population elle “déborde” dans toutes les directions.
C’est vers l’Amérique du Nord et principalement sur l’Etat de Californie que s’est déversé ce trop-plein. Mais cela s’est fait avec une telle violence, que le Congrès a dû prendre des mesures restrictives contre cette invasion, assez impoliment nommée la “peste jaune”. Ainsi qu’on l’a fait observer, cinquante millions d’émigrants chinois aux Etats-Unis n’auraient pas sensiblement amoindri la Chine, et c’eût été l’absorption de la race anglo-saxonne au profit de la race mongole.
Des phrases qui fleurent bon le nationalisme teinté de racisme qui était de rigueur au XIXe siècle, non ?
Juste après on apprend que les chinois appellent les américains “mélicains”, ce qui m’étonne (comment écrire cela en chinois ? 美丽国人?)
On lit page 80 que Tout chinois qui atteint sa quatre-vingtième année a le droit de porter une robe jaune. Le jaune est la couleur de la famille impériale, et c’est un honneur rendu à la vieillesse.
Page 86 une description du tombeau de Rong-Ou (Hongwu (洪武, 1328-1398), le bonze empereur qui a renversé la dynastie Yuan et fondé la dynastie Ming, près de Nankin.
Notons encore page 111 une longue description de Pékin au XIXe siècle. On remarque que selon l’auteur le vrai nom de pékin n’est pas “Péking” mais plutôt “Vaï-Tcheng”. J’ai fait des recherches et n’ai rien trouvé d’équivalent, à part peut être “Gemun Hecen” (nom utilisé sous les Qing, signifiant “capitale en mandchou”) ? Ou bien le “Tcheng” pourrait être 城 (la ville), mais que serait alors le “Vaï” ?
Page 136 figure une riche description de Jonque, que je vais placer en commentaire du billet dédié aux Jonques chinoises.
Inutile de mentionner toutes les erreurs du livre. Retenons en une seule : un indice laissé gravé sur une porte : ce sont les initiales de la personne recherchée (WKF). Les chinois on des noms en caractères ; ils ne savent pas quelles sont leurs initiales, et ne les graveraient jamais ainsi
De même les moqueries et jugements sont nombreux ; je n’en reprendrai qu’un page 190 :
Des piliers massifs, ornés de ces hideuses têtes de monstre, qui appartiennent à la faune grotesque de la mythologie chinoise, …
Notons enfin que ce livre a été porté à l’écran en 1965 par De Broca, avec Belmondo.
Ah, les plaisirs du XIXe siècle !
La prétendue supériorité des Européens ne faisait aucun doute à l’époque, c’est énervant pour le lecteur moderne. Jules Vernes pose toujours un problème de fond : il imagine, donc ne documente rien. Au mieux, il est le relais de la documentation à laquelle il avait accès. La modernité nous a habitué à mieux, j’aurais du mal à me contenter d’aussi peu pour une Chine qu’on ne verra plus.
les Tribulations, Verne réussit à ouvrir une voie pour
résoudre la contradiction dans son écriture exotique, puisque la Chine pré-moderne lui
permet de réaliser à la fois son idéal sur la modernité et la liberté des peuples étangers.
A travers les aventures initiatiques de Kin-Fo en Chine, la pensée personnelle de
Verne est réalisée dans son évasion imaginaire et littéraire.