Gendricide
Signalons ici un intéressant article de l’économist daté du 6 mars 2010
(l’article a été commenté 310 fois!)
L’article commence par l’horrible scène d’un infanticide de petite fille, scène rapportée par l’écrivain Xinran. Oui ; cela existe toujours.
On voit ensuite qu’en Chine, entre 2000 et 2005, il naît plus de 120 garçons pour 100 filles, alors que le rapport naturel est de 105 (dans toutes les communautés humaines)
On pense alors à la politique chinoise de l’enfant unique qui priverait des filles de la joie de naître, par l’avortement sélectif. Certes il y a une loi en chine qui ne permet pas de savoir le sexe de l’enfant pour justement éviter les avortements sélectifs ; mais cela existe et joue un rôle.
L’article montre bien l’application hétérogène de cette politique en Chine :
- En ville la majorité des familles n’a qu’un enfant.
- Dans les provinces côtières, environ 40% des couples ruraux ont droit à un second enfant (si la première était une fille, et donc “comptait pour du beurre”)
- Dans les provinces du centre et du sud, tout le monde à droit à un second enfant, pour peu que le foyer soit jugé “en situation difficile” (jugement à l’appréciation des autorités locales)
- Dans le grand ouest et la Mongolie intérieure, il n’y a pas vraiment de politique de l’enfant unique (les minorités ayant le droit à plusieurs enfants). C’est d’ailleurs dans cette région que les ratios sont les plus proches de la normale.
Donc la politique de l’enfant unique joue un rôle sur cette situation déséquilibrée.
Mais s’arrêter là serait voir le problème par le petit bout de la lorgnette. L’article montre bien les aspects régionaux et culturels du phénomène du gendricide
Le déséquilibre touche la Chine continentale mais aussi Taiwan, la Corée et surtout l’Inde du nord. En Corée du Sud, le troisième enfant, pour les familles qui vont jusque là, a deux chances sur trois d’être un garçon ! Le taux atteint 200 garçons pour 100 filles, montrant combien certaines familles “s’acharnent” pour avoir un garçon.
La politique de la RPC n’est donc pas le seul facteur. Les chiffres de Taiwan sont également très déséquilibrés.
Il y a bien sûr des éléments culturels défavorisant la naissance d’une fille, puisque celle ci quittera un jour le domicile pour suivre son mari, alors qu’un fils loyal se serait occupé des vieux jours de ses parents.
En Chine le tarif d’une sage femme est plus élevé pour une naissance de fille que pour un garçon. La tâche est apparemment plus vile ou plus dure ?
L’article cite un amusant proverbe hindouiste :
“Raising a daughter is like watering your neighbour’s garden”
“Elever une fille, c’est comme arroser le jardin de son voisin.”
… qui m’a fait penser à un fameux proverbe chinois :
嫁出去的女儿泼出去的水
la fille épousée est comme l’eau versée sur le sol,
(elle part et on ne pourra plus jamis la récupérer).
Plus à l’ouest encore, des sondages au Pakistan et au Yemen montrent que les parents préfèrent nettement un fils à une fille (le rapport atteint parfois 10 pour un).
Donc les facteurs culturels de la tradition patri-linéaire jouent un rôle important dans ce déséquilibre. On s’attendrait à voir le phénomène se réduire avec le progrès économique et social mais non ! C’est l’inverse qui se passe, les ratios de naissances masculines augmentent fortement depuis les années quatre-vingt environ (la chine était sous les 110 en 1980; elle a dépassé les 120 en 2000).
En fait la pression de la modernité est aussi forte que celle de la tradition. On ne peut plus avoir beaucoup d’enfants, et on veut quand même un garçon dans la famille !
J’avais remarqué cela à Hong Kong, où c’est la pression des coûts qui oriente la société vers l’enfant unique (ou rarement vers les deux enfants).
Quelles sont les conséquences de ce déséquilibre de naissances ? Elles tarderont à se manifester, compte tenu de l’inertie démographique. Mais il faut imaginer toute une génération de jeunes hommes qui n’arrivent pas à se marier. L’article parle de 40 millions de jeunes chinois (autant que tous les jeunes américains!) qui seraient célibataires en 2020. Ils ont déjà un nom : celui de branche sans fruit : 光棍 : ils existent déjà et sont source de désordres et de violences. Leur nombre est voué à se multiplier.
L’article termine par une note optimiste avec la Corée, seul pays de la région à montrer une baisse de ce déséquilibre, avec un taux de naissances masculines qui commence à redescendre vers les seuils naturels.
J’essaierai d’en parler à des amis chinois et de revenir poster ici.
On peut faire et dire ce qu’on veut : la femme est l’avenir de l’homme !
(et, selon moi, la femme Chinoise encore plus que les autres mais ce point de vue est totalement et définitivement subjectif et n’appelle donc pas de commentaire)
Oui treblig
J’ai parlé à plusieurs amis chinois (autour de la trentaine) de cette question du gendricide.
Tous sauf un m’ont assuré qu’en chine il est illégal de connaître le sexe de l’enfant avant la naissance, justement pour éviter les avortements sélectifs. Un seul m’a concédé que la loi était souvent contournée (par un arrangement avec le médecin pour qu’il “vende la mèche”) et que l’avortement sélectif existait bel et bien en chine.
Plusieurs personnes ont souligné la différence entre ville et campagne. En ville les choses changent vraiment. La fille est dans une position confortable : c’est l’homme qui doit amener l’appartement au moment du mariage. On sait que la pression pour l’achat d’un appartement dans une ville comme shanghai est devenu difficile pour les classes moyennes. Voir le billet de ce blog sur la série woju pour s’en convaincre)
Un ami m’a cité ce proverbe :
女人是招商银行
男人是建设银行
La femme c’est la banque du commerce
L’homme c’est la banque du bâtiment et des travaux publics
Un autre ami m’a donné des informations contradictoires sur ces questions.
Il m’a d’abord dit que sa femme était très heureuse quand ils ont eu leur fils. C’est ce qu’elle voulait. Et s’ils ont un second enfant (ils y réfléchissent pour dans quelques années), sa femme espère que ce sera un second fils.
Et deux minutes plus tard il m’a dit que sa mère lui avait fait une fois un long discours, disant que les filles c’était bien mieux que les garcons, que cela prenait mieux soin des parents dans leurs vieux jours, que cela se comportait de manière plus douce et tendre…
Mais en y réfléchissant bien, cet ami m’a avoué que le discours de sa mère était une forme de remontrance déguisée. Lui, le fils unique, n’avait pas été assez respectueux et pieux vis à vis de ses parents…
Ce même ami m’a cité un proverbe difficile à traduire :
女儿贵养
儿子贱养
Une fille s’élève comme un bijou précieux
Un fils s’élève comme une broutille
Le proverbe, si je l’ai bien compris, conseille d’éduquer une fille en la valorisant et en la protégeant, alors que pour un fils il faudra être dur, peu reconnaissant, austère .
Cet ami a beaucoup souffert d’être si peu reconnu et félicité dans son enfance. Mais quand je lui demande comment il éduquera son fils, il me répond qu’il reproduira sans doute l’éducation qu’il a reçue…
Il est très intéressant de voir que la modernisation accélérée de la Chine s’accompagne de la persistance de la préférence sociale pour les garçons. Alors même que le statut social des filles s’est considérablement trouvé rehaussé par la politique de l’enfant unique. Et qu’elles deviennent donc financièrement capables d’assumer le devoir filial habituellement dévolu aux garçons: assister les parents âgés. Au gaokao, des quotas empêchent les filles de rafler la majorité des places en université au détriment des candidats masculins… Ce décalage entre la symbolique et la réalité sociale est frappant et nous révèle qu’il est des domaines où le pragmatisme chinois ne l’emportera pas…