Un homme de l'Ouest tente vainement de voir les choses comme on les voit à l'Est
Depuis quelques mois j’apprends l’italien, ce qui explique le peu de billets sinisant apparus sur ce blog.
Et en italien, le cerf volant se dit Aquilone, qui vient de Aquila l’aigle (“one” est une terminaison augmentative, un accrescitivo en italien.). Aquila lui même a pour racine le sanscrit açu, équivalent au terme grec qui signifie rapide.
En jouant avec ces mots je me suis demandé d’où venait le nez aquilin, et c’est bien la même racine que l’aigle italien. Alors que les aigles n’ont pas vraiment le bec retroussé !
Revenons quand même au chinois pour ne pas être taxé d’inconstance ou pire d’infidélité. Les cerfs volants étaient utilisés à l’époque de Jésus Christ, sous la dynastie Han.
Il y a quatre termes chinois pour le cerf volant :
(les caractères traditionnels sont entre crochets)
风筝[風箏] fēngzheng; littéralement “vent-instrument à corde” (c’est le zheng du guzheng)
鹞子[鷂子] yàozi; c’est le cerf volant et … le faucon. Comme en italien !
纸鹞[紙鷂] zhǐyào; c’est le faucon de papier
纸鸢[紙鳶] zhǐyuān; c’est un autre nom de rapace, en papier aussi.
En chinois aussi, le cerf volant est un rapace. Encore une fois on voit des faits de langue qui se sont produits à des endroits éloignés et qui pour autant recèlent les mêmes associations d’idées.
Mais si les chinois et les italiens ont choisi un rapace pour désigner le cerf volant, pourquoi avons nous pris un cervidé , et pas l’espèce la plus légère de tous les cervidés ?
Wikipedia nous dit que “le mot « cerf-volant » (1669) viendrait de serp-volante, serp étant un mot féminin en ancien français pour désigner un serpent. Le mot serp est d’origine méridionale. En occitan, cerf-volant se dit sèrp-volaira ou sèrp-volanta et désigne bien un serpent-volant. ”
https://fr.wikipedia.org/wiki/Cerf-volant
C’est donc un serpent volant et non un cerf.
Il faudrait regarder du côté des guatémaltèques et de leurs serpents à plumes pour élucider le mystère du 鹞子 ou Aquilone vu par les français
Joli parcours (pas facile sans doute) et belle performance de yoyo ma, violonceliste sino-franco-américain
Etonnants effets vocaux dans la tradition mongole
(moi aussi je sais jouer de la guimbarde)
Et avec le paysage sous un ciel bleu c’est encore plus beau
J’étais comblé hier quand mon fils Philibert a lu ces mots pour moi :
Il fut un temps
Il fut un chant
Le temps chantant
Le chant d’antanIl fut un rom’
Il fut un homme
Il finit comme
La bête en sommeIl fut un gras
Il fit un tas
Il devint grand
Il fut un tempsIl fut un Âge
Il fut un sage
Il fut cru mage
Il fut en cageIl fut un ange
L’âne et la grange
Il fut un temps
L’âne et l’enfantIl fut un soir
Il fut un couard
Mais dans le noir
Il sut l’espoirIl fut un Être
(il fut peut-être)
Il fut un an
Il en fut tantIl fut un jour
Il sut l’amour
Il fit sa cour
Dessous la tourIl fut l’oiseau
L’art et le beau
Il fut lassant
Pour maintenant
main tenantLe camembert,
Le vin la bière
Il fut un père
Que j’en fus fierPlus rien n’arrête
Plus rien n’attend
Joyeuse fête
Heureux enfants
Quelques citations sur ce thème
“Je vis tellement au-dessus de mes revenus qu’en vérité nous menons, eux et moi, une existence entièrement séparée.”
“Nous sommes tous dans le caniveau, mais certains d’entre nous regardent les étoiles.”
“Je ne remets jamais au lendemain ce que je peux faire le surlendemain. ”
“Le travail est la plaie des classes qui boivent.”
“Quand j’étais jeune, je croyais que, dans la vie, l’argent était ce qu’il y a de plus important. Maintenant que je suis vieux, je le sais.”
“Le travail, c’est le refuge des gens qui n’ont rien de mieux à faire.”
En lisant cela, j’ai l’impression d’être une vile fourmi.
Hier alors que je flânais autour du personnage exceptionnel d’Oscar Wilde, je suis tombé en arrêt devant ce poème composé pour sa petite soeur, morte à l’âge de neuf ans :
“Tread lightly, she is near
Under the snow
Speak gently, she can hearthe daisies grow”
Je suis tombé en arrêt d’abord parce que ce poème est magnifique, mais aussi parce qu’il m’est revenu en mémoire une métaphore tout à fait proche, dans un poème de wen yiduo (lien) écrit une cinquantaine d’années plus tard; poème que j’avais traduit il y a 8 ans. Mais j’avais eu du mal justement sur cette métaphore précise. Voici l’extrait de ce poème “peut être” :
也许你听着蚯蚓翻泥,
听这小草的根须吸水,
也许你听着这般音乐比那咒骂的人声更美。
En français :
Peut-être, en écoutant les vers remuer sous la terre,
Entendras-tu les petites racines aspirer l’eau du sol.
Peut-être, en entendant cette musique là,
La trouveras tu plus belle que la dure voix des hommes.
Quelqu’un sait si Wen Yiduo connaissait Oscar Wilde ? S’il aurait pu s’en inspirer ?
Je trouve cette image très belle en tous cas ; en anglais comme en chinois.
Les consonnes et les voyelles, c’est un peu comme le yin et le yang ; il vaut mieux que cela s’équilibre.
Certaines langues sont capables d’enchaîner les consonnes de manière impressionnante.
Les polonais sont peut être les champions, avec des mots comme zanieczyszczenie (qui signifie pollution ; ils ne pourraient pas le dire plus simplement ?).
Je me souviens d’un voyage en Tchécoslovaquie (ce qui ne me rajeunit pas) où j’avais été fasciné par le nom de la ville de Brno.
Le mot hébreu de schwa est devenu un terme de linguistique pour désigner la voyelle neutre, centrale. 4 consonnes puis une voyelle.
Les allemands sont très forts, et surentraînés par l’aspect agglutinant de leur langue, qui donne des mots comme celui ci :
Rindfleischetikettierungsüberwachungsaufgabenübertragungsgesetz (ce n’est pas une blague ; c’est une loi adoptée par le parlement en 1999). Vers la fin du mot l’enchaînement NGSG force mon admiration.
Nous nous en tirons plutôt bien de ce point de vue là en français. C’est quand même assez fort de pouvoir parler de promptitude sans s’étrangler. Beaucoup d’étrangers sont incapables de prononcer ce mot. Mais nous avons nos limites. Si j’enlève le “e” central dans l’expression “à la courtepaille” pour former “à la courtpaille”, c’est très difficile à prononcer sans faire de pause, sans éluder le “t” ni remettre le ”e” à sa place. Un allemand y arriverait même les doigts dans le nez.
Les plus mauvais de la classe en la matière, ce sont incontestablement les japonais. Ils ont un mal fou à enchaîner deux consonnes sans coller une voyelle au milieu. Ils ne savent pas dire “perdu” mais sont obligés de prononcer “peredu”. Pour parler d’une chaîne de fast food dont je ne ferai pas la publicité ici, ils écrivent マクドナルド et prononcent Makudonarudo (je laisse le lecteur prononcer à voix haute pour retrouver le nom de l’infâme Malbouffe)
Et les chinois alors ? Plutôt dans le milieu de la classe je dirais. Ils arrivent à prononcer 当老 danglao (signifiant devenu vieux), avec trois consonnes qui se suivent. Un japonais aurait du mal. Outre le bon coup de fourchette qui fait leur notoriété (on devrait plutôt dire un bon coup de baguettes d’ailleurs), ils excellent dans le coup de glotte (que les francais appellent “H aspiré”).
Mais ce week end, lors d’une grande discussion avec des poètes et des artistes chinois, j’ai été déçu par leur performance en matière de consonnation. Nous avons eu de longues conversations sur Marcel 普鲁斯特 (prononcer Pǔ lǔ sī tè), sur ce monde intérieur qu’il impose aux littérateurs futurs, sur sa querelle avec Gide et sur son influence majeure (ne retenons que Sartre et Foucault), sur son fort désir d’avoir le prix Goncourt, désir qui l’a poussé à manoeuvrer auprès de jurys comme Léon Daudet (fils d’Alphonse et frère de son amant)…
Et je me suis demandé si Proust aurait aimé être affublé de ce nom Poulousiteu qui sonne un peu comme un parasite pouilleux (les japonais ne faisant pas mieux avec leur プルースト Purūsuto) ?
Oui ; dans ce restaurant délicieux du jiangnan il y avait une sorte de jarret de porc confit, pas mauvais, mais curieusement servi avec une paille !
C’est en observant mes convives que j’ai compris le truc : la paille servait à aspirer la moëlle au fond de l’os, avec de grands slurp bien sûr
Je perds généralement tous mes moyens devant un bel os à moëlle coupé dans la longueur, avec du gros sel et une baguette grillée (je recommande celui du St Jean de Luz à Paris 16). J’en raffole ! La consistance est étonnante avec ces sortes de caillots. La teneur en lipides est assurée mais quel délice !
Hier dans ce restaurant j’ai eu un peu de mal.
Le coca à la paille, d’accord. Un milk shake où il faut aspirer fort, aussi. Un peu de pulpe à ramasser au fond du verre de jus d’orange, passe encore. Mais je dois dire que j’ai eu quelque réticence à siroter cette moëlle de porc dont je ne voyais même pas la couleur.