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Face, loi et moi

2005 octobre 21
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Posted by florent

Ce message traite d’une notion déjà resservie à toutes les sauces aigres-douces de la littérature sur la culture chinoise : la face.

 

 

 

 

La notion est tellement éculée, manipulée, interprétée que je m’interdis parfois de me faire une opinion dessus, en me raccrochant à des simplifications telles que : « la face c’est pareil dans toutes les cultures ; cela s’exprime différemment et c’est tout ».

 

 

 

En même temps elle traite d’un sujet tellement énorme qu’un blog entier ne suffirait pas à aller au bout (si toutefois un blog pouvait aller au bout de quelquechose). Je voudrais quand même ici essayer de creuser un peu, sans avoir la prétention de construire un raisonnement, en reconnaissant d’avance que le sujet traité en quelques lignes comportera plus de raccourcis et d’impasses que d’avancées.

 

Bref lecteur, si tu sais ce qu’est la face, ou si tu ne crois pas qu’on puisse en parler en une page, passe ton chemin ; tu as sans doute raison.

 

 

 

Deux termes chinois désignent la face : Mianzi et Lian (désolé je n’arrive vraiment pas à coller des caractères chinois sur ce blog).

La face, c’est comme une bulle qui flotte autour de la personne, et qui lui renvoie une image positive d’elle-même. C’est une sorte d’espace vital lié aux bonnes manières. Commencer à grignoter cet espace vital (par exemple en expliquant à quelqu’un qu’il a mal fait ce travail et que le résultat aurait été meilleur de telle autre manière), c’est attaquer l’individu dans sa dignité, lui manquer de respect. La pire expression chinoise en la matière, c’est « déchirer la face ».

 

 

 

Mais attention la face au sens chinois est différente je crois de l’honneur au sens occidental du terme. L’honneur fait référence à une morale, il implique des devoirs de la personne face à la collectivité et porte en partie ma responsabilité. L’honneur du soldat inconnu de 14-18, c’est ce qui a causé sa gloire et sa perte. L’honneur touche un trait important de notre société occidentale : la loi. La loi nous dépasse tous et nous sommes égaux devant elle ; elle donne à chaque individu une sécurité et une responsabilité ; Déshonorer quelqu’un c’est lui faire perdre sa place d’individu responsable dans une telle société.

 

 

 

La société chinoise traditionnelle repose plus sur les clans que sur la loi. Clans familiaux, villageois, religieux. Nous ne sommes certainement pas tous égaux devant quelquechose comme la loi. Cela dépend de notre clan et de notre place dans le clan. Le devoir moral serait plutôt l’interprétation du supérieur sur la conduite à suivre dans telle situation de l’inférieur. Pas très égalitaire, comme système, je vous l’accorde ; mais l’idée d’égalité n’est elle pas souvent éloignée de la réalité ?

 

 

 

Donc il ne faut pas confondre la face et l’honneur. Parlons maintenant d’individualité. Un cliché sur la Chine (et sur les cultures orientales) consiste à dire que l’individu est écrasé par le groupe. C’est largement vérifié et observable ; l’occident a développé, avec ses sociétés normées et son état de droit, une forme individualisme que l’on ne retrouve pas en Asie. L’occident a glorifié l’individu comme base autonome de la société, qui se définit d’abord comme tel. 

 

 

 

Mais ne peut on pas dire que la face définit aussi un individualisme ; d’un autre ordre que celui de l’occident ? Cet individualisme représente la personne et sa face comme ce qu’il y a de plus précieux ; une valeur inaltérable que la société et les bonnes manières doivent absolument préserver. L’individu est connecté aux autres, ce n’est pas un concept en soi. Dans la définition confucéenne de l’homme, les “5 relations” (père, fils…) sont un véritable constituant de l’être humain, au même titre que la capacité d’apprendre. J’ai eu une relation à mon père, qui fait aujourd’hui partie de moi même.

Cet individualisme chinois se conçoit à l’inverse de celui que nous donne la loi dans ce qu’elle a d’universel. 

 

 

 

Je prends un exemple pour illustrer mon propos : Rentré de 3 ans en chine, je souffrais comme tout le monde dans cette situation d’une déprime liée à la réadaptation aux carcans français. Petite déprime, et surtout beaucoup de soucis et tracasseries pour faire rentrer ma famille dans la règle de nos multiples instances administratives. Je monte dans un train pour aller d’Epernay à Reims, pour mon travail. Avec ma carte familles nombreuses, je crois que le ticket coutait moins de 4 euros. Arrive le contrôleur de notre vénérable société nationale des chemins de fers, qui fait son travail. Il observe que la carte famille nombreuses est périmée depuis 6 jours. Je lui réponds que je n’ai pas eu le temps de la faire refaire, étant très pris en ce moment. Il rétorque qu’il va être obligé de me verbaliser, de 22 euros je crois. Je mentionne que si ma carte est périmée, mes enfants, eux ne sont pas périmés du tout et bien vivants. Ma carte, ce n’est qu’une carte. Il ne veut rien entendre et me verbalise. J’en ressors totalement démoralisé, affligé. C’est vrai que j’étais fragile, mais j’ai mis deux semaine à m’en remettre. J’ai perdu la face au sens chinois du terme. Au nom de la loi et du règlement, une situation que j’estime particulière n’a pas été pris en compte et je me suis senti bafoué. Ce pauvre monsieur qui faisait son travail m’a semblé être un monstre, manquant totalement d’intelligence de situation.

 

 

 

La loi est elle le bon instrument pour ma sécurité dans la société ? N’y a t il pas des situations dans lesquelle l’occidental, pétri des droits de l’homme et des règlements associés, écrase des personnes au nom d’un système justement défini pour protéger l’individu ? L’égalité ne serait-elle pas un mythe autour duquel nous aurions construit un arsenal judiciaire nous masquant parfois la réalité ?

 

 

 

Une conclusion politiquement pas correcte du tout : Je ne sais pas si les droits de l’homme sont un bon système pour les sociétés occidentales qui les ont produits, mais je pense aujourd’hui qu’ils ne sont pas universels, en ceci qu’ils ne s’appliquent pas à la chine d’aujourd’hui. En chine la société valorise l’individu autrement que par la loi.

 

 

 

Pascal a dit « vérité en deçà des Pyrénées ; erreur au delà »

 

 

 

Ma proposition à nous autres occidentaux : avant de dire que cette déclaration du 18e siècle s’applique telle qu’elle aux chinois, et avant de partir en croisade sur ce sujet, pourrions-nous essayer de comprendre cet individualisme chinois, et de voir s’il a du bon pour nous ?

 

 

 

Des commentaires ? si oui merci de répondre sur ce blog !

 

Si vous être d’accord avec la proposition d’ouvrir nos horizons, je vous propose un lien vers un papier sur la face, que je viens de lire et qui est beaucoup plus solide que le mien. Le passage sur la honte fait  écho à mes points sur l’honneur, et j’ai trouvé l’idée d’”inconscient culturel” passionnante. Le papier donne également une vision positive de la face chinoise.

 

(le chapitre suivant de ce site, c’est un papier sur le temps qui est également passionnant. Je voulais faire un post sur les visions linéaire et cyclique du temps, mais pas la peine ; le sujet y est mieux développé que ce que je saurais faire)

3 Réponses Leave One →
  1. Franklin permalien
    novembre 16, 2005

    Nihao Florent,

    Vivant en Chine aussi par intermitences, je pense en effet que les droits de l’Homme sont pour nous, un hypothetique Graal vers lequel aller ( le chemin important d’ailleurs plus que le but ) mais nullement un modele universel a imposer aux autres de quelle maniere que ce soit.
    Idem pour la question de la verite ( ou plutot des verites ) qui est multiple et evolutive selon les personnes, les situations, les vecus et les ages de la vie. Nos petits morceaux de verites nous concernent a un moment donne de nos existences et sont loins d’etre universels. Le tout etant malgres tout qu’on ne nous les nient pas comme nous n’avons pas nier celles des autres.

    Bueno, ton blog est interessant, moins polemique que celui de Pierre Haski ( et pour cause ) mais reposant justement.
    Bonne continuation.

  2. Florent permalien
    novembre 17, 2005

    Un grand Merci Franklin !

    En France j’ai du mal à parler de ces sujets ; on est souvent mal compris !

    sur tes propos de l’évolutivité des choses, je te livre une phrase du Yiking :

    "il n’y a qu’une seule chose qui ne change pas : le changement"

    merci et à +
    Florent

  3. florent permalien
    juin 30, 2007

    je signale ici une belle description de la face chinoise selon changying (=jade), publiée sur le blog de porte plume

    jade commence simplement par lister les expressions sur la face et leurs conditions d’emploi ; ce qui est très éclairant

    http://donghu.canalblog.com/archives/2006/07/29/2374750.html

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