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Kristopher Schipper : le corps taoiste 8/10

2006 mars 11
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Posted by florent

Dans la collection “l’espace intérieur” chez Fayard, voici un livre de M Schipper, que certains considèrent comme l’un des plus grands spécialistes du Taoisme.

Kristofer Schipper, Spécialiste de la Chine ancienne à la Sorbonne, a été ordonné maître taoïste à Taïwan en 1967. Il a oeuvré à l’EFEO, au collège de France, à l’EPHE (Ecole Pratique des Hautes Etudes). Ses derniers travaux portent sur une monumentale somme du canon Taoiste.

Le “Corps Taoiste” (dédicacé) m’a été prêté par un ami sinologue.

Il traite d’un sujet qui me tient particulièrement à coeur dans la pensée taoiste : la séparation, ou plutôt la non-séparation, de l’esprit et de la matière. Nous sommes loins du monde platonicien des idées, et ce voyage est très intéressant.

“mon destin est en moi, non au ciel”, disent les taoistes. Corps physique et corps cosmiques sont liés.

 

Je reprends ci dessous une page qui me  

plaît beaucoup (cliquer sur “lire plus”)

 

Zhuang Zi

Schipper ; chap « enseignement sans paroles ; page 251


 cet extrait aborde le travail (voir le boucher ding) et la technique. Transposé en vision yin yang, (expansion illimitée du yang sans contrepoids yin) il me fait penser à certaines conversations épistolaires avec la dénommée Lan GuiLi…

Le jeûne du cœur

 

La source de la pensée du Vieux Maître jaillit de la religion du corps. Les commentaires anciens le démontrent et, à sa manière, le Zhuang Zi atteste la même chose. Le Dao de Jing est comme un chant individuel, le Zhuang Zi est un orchestre. Par un prestigieux enchaînement de mouvements, tantôt graves, tantôt gais, et à travers une suite de morceaux libres, de thèmes et de variations, ce livre fait penser à une symphonie ou même à un festival du génie taoïste.

Le livre est en quelque sorte un commentaire avant la lettre des paroles et des idées que l’on trouve dans le dao de Jing.

 

En parlant de Laozi, ce texte cite les paroles : « connaître le mâle et garder la femelle, c’est devenir le ravin du monde. Connaître le blanc et garder le noir, c’est devenir la vallée du monde. » Il poursuit en disant ceux qui comme Laozi, savent être paisibles et seuls « demeurent avec la lumière de l’esprit divin » ; ils sont les « possesseurs des arts du tao des temps antiques ».

 

Citons maintenant un exemple pour montrer comment le Zhuang Zi élabore les maximes taoïstes.

Dao de Jing : « même s’il y eut des outils demandant dix ou cent fois moins de travail, le peuple ne s’en devait pas servir ».

Cette idée, le Zhuang Zi la met en scène de la façon suivante : « Tseu Kong, un disciple de Confucius, voyagea vers le sud, dans le pays de chou. Sur le chemin du retour il traversa le pays de tsin et longeant la rive sud du fleuve han, vit un vieillard qui allait planter son champ. Il avait creusé un tunnel oblique pour atteindre l’eau d’un puits. Il entrait dans ce tunnel en serrant une cruche dans ses bras et en sortait de la même manière avec la cruche remplie pour arroser son champ. C’était un travail bien pénible, demandant énormément d’efforts pour peu de résultats. Tseu Kong lui dit ; « il existe un outil pour ce genre de travail, qui permet en une journée d’arroser cent champs et qui ne demande que peu d’efforts pour un très grand résultat. Ne voudriez vous pas l’avoir ? « Le jardinier leva la tête, dévisagea son interlocuteur et dit « alors quoi ? ». Il suffit d’avoir du bois que l’on perce et assemble pour en faire une machine (un levier) lourde d’un côté et légère de l’autre. Ceci permet, par un mouvement répété, d’extraire l’eau telle un flot qui se déverse. On appelle cette machine un Chadouf ». Sur ces paroles le jardinier devint rouge de colère et dit en riant : « j’ai entendu mon maître qui disait : là ou il y a des machines, on aura des affaires de machines. Ces affaires de machines donneront des gens avec des cœurs de machines. Avec un cœur de machine dans la poitrine, la pure blancheur ne sera plus entière. Les dieux vitaux du corps ne seront plus en paix. Il n’y aura plus d’endroit pour le tao ou demeurer ; Ce n’est point que je ne connaisse pas votre machine, j’aurais simplement honte de m’en servir. «  Lorsque Tseu Kong rapporta cette histoire à Confucius ; ce dernier lui dit. « cet homme là doit être un de ceux qui imitent les arts de M .Kao ». Dans la version romancée que donne ici le Zhuang Zi du précepte taoïste, la pensée du vieux maître est transformée en un message qui peut nous sembler étrangement actuel. L’extension démesurée de nos fonctions corporelles par une technologie foisonnante a fait prendre conscience de ce que cette technologie, loin de libérer l’être humain, le rend tributaire de sa création. Traduit en termes taoïstes, on pourrait dire que c’est la puissance Yang qui se trouve en expansion illimitée, sans le contrepoids nécessaire de la dynamique régressive Yin, et détruit l’équilibre naturel. L’utile chasse l’inutile et on a oublié ce que le Zhuang Zi appelait « la grande utilité de l’inutile », sauf dans les activités récréatives. La fascination d’une connaissance illimitée fait perdre de vue les limites humaines et l’obscurité dans laquelle se trouvent les sources de l’être. Or c’est de cette obscurité, de cette non connaissance que jaillit la pure blancheur, la perle flamboyante de l’énergie vitale.

Une Réponse Leave One →
  1. apostasie permalien
    décembre 5, 2007

    “Il n’y aura plus d’endroit pour le tao ou demeurer”

    Si ce n’est en enfer… d’ailleurs ne dit-on pas qu’il est pavé de toutes les meilleurs intentions?
    C’est horrible ce que je dis mais je sais de quoi je parle, j’en viens ;)

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