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Erik Orsenna 棉 Voyage au pays du coton 4/10

2006 août 22
Posted by florent

Ce « petit précis de mondialisation » est construit sur une démarche originale : l’auteur s’intéresse à un morceau de tissu en coton, et cherche à en reconstituer la « filière » ; il entreprend un voyage autour du monde dans les pays impliqués : Mali, Etats Unis, Brésil, Egypte, Ouzbékistan, Chine, France.

Il obtient des entretiens grâce à ses titres officiels (M Orsenna est membre de l’académie Française, il est aussi Secrétaire d’état et président du Centre international de la mer). Et à travers ses impressions et discussions, il tente de démêler le tissu mondial du coton :


 « Pour comprendre les mondialisations, celles d’hier et celle d’aujourd’hui, rien ne vaut l’examen d’un morceau de tissu. Sans doute parce qu’il n’est fait que de fils et de liens, et des voyages de la navette. »  

Voici quelques passages qui m’ont intéressé :

 


Page 109 au Brésil : Il décrit cet esprit pionnier, tourné vers le futur et la conquête de la nature, et montre des jeunes entrepreneurs. Certains ont déjà réussi, celui là n’est pas encore riche ; il veut partir en Angola, et répond par cette jolie phrase  à l’auteur qui lui demande pourquoi:

-         Je suis aussi un pionnier. Mais un pionnier sans richesse. Plus un pionnier est pauvre, plus il doit partir loin. C’est ma seule chance pour devenir un jour mon propre maître. 


Et moi Florent, serait ce ma propre pauvreté qui m’attire vers cette si lointaine culture chinoise ? 


Page 201, on tombe en Ouzbékistan sur une belle description des attentes du voyageur. Une typologie est commencée, et l’auteur invite les lecteurs à la continuer. Erik Orsenna évoque l’attente silencieuse, et l’attente parlée, lorsque quelqu’un en explique les causes. L’auteur aime cette seconde forme d’attente, qu’il trouve délicieuse. Ainsi son chauffeur à Boukhara (Ouzbékistan) qui explique ses retards par ce que “ Pardon, M. Rsenna, je me suis trompé d’huile. Pardon, M. Rsenna, un fournisseur sans foi m’a rempli le réservoir de mauvaise essence. Ce n’est pas ma faute, M. Rsenna, c’est le ramadan, le ramadan aime la prière, la prière est immobile, le ramadan n’aime pas les voyages.” 

J’ajoute deux formes d’attente :

-         l’attente méditative : on prend du recul sur une situation, par rapport à l’immédiateté de ce que l’on vit en France. On touche souvent alors la profondeur d’abîmes de paix.

-         l’attente « rapport de force » : lors d’une négociation d’argent ou d’autorisation quelconque, on laisse filer du temps pour regagner dans le rapport de force. Cette forme d’attente m’a souvent marqué comme un temps de qualité. Je laisse couler les minutes ; je laisse l’autre s’exprimer, je ne suis pas pris par le rythme fou de mon voyage mais je suis bien là, prêt à laisser murir la situation.

 


Le chapitre sur la Chine vient en avant dernier : une visite de la région du Zhejiang, au sud et à l’ouest de Shanghai.

L’auteur me semble peu expérimenté de la Chine : il fait une erreur page 230 sur la formation du caractère 袜 (de 袜子wazi : chaussette) : il confond composant et caractère. C’est une erreur sans importance, que je signale ici..

 

Plus loin on trouve une jolie illustration du rapport au temps, dépeinte par deux exemples :

D’abord des pépinières géantes, au bord de l’autoroute, destinées à faire grandir rapidement des arbres : on leur donne en vingt ans l’apparence d’arbres de trente ans, afin de les transplanter dans des villes qui n’ont que dix ans, mais qu’on voudrait déguiser en ville de 50 ans …

Second exemple : ces cultures Suzhounaises de bonsais, arbres que l’on empêche pas de vivre mais dont on bride la croissance. Comme des bébés  vieillis dont on admire les rides !

 

Il sent à travers ces exemples le profond besoin chinois d’incorporer le végétal au développement moderne , « un besoin de nature que le développement économique n’a pas tué. » Belle et profonde intuition selon moi.

C’est vrai que la nature est souvent défigurée en Chine, mais ce pays entretient en même temps un rapport au végétal très particulier. Un rapport qui pourrait éclairer les questions modernes sur nos coexistences avec nos écosystèmes.

 

L’auteur commet ensuite ce qui m’a semblé être une grosse maladresse

Alors qu’il visite la ville de Datang, capitale mondiale de la chaussette, il est frappé par une langueur, presque une paresse, qui contraste avec la fébrilité qu’il a observé jusque là dans d’autres villes et autour des autoroutes : usines ; chantiers…

Enfin une localité paisible que ne semble tourmenter aucun prurit du bâtisseur, aucune folie des grandeurs. Merci Datang ! Le voyageur reprend à la fois haleine et espoir. Allons, la Chine reste humaine. S’il lui demeure ainsi des paresses, l’Europe aura peut être une chance de survivre.

J’ai du mal à supporter ces menaces, cette hantise d’un spectre Chinois qui détruise le reste du monde, et en particulier l’Europe. C’est facile à brandir, cela fait de l’effet.

Certes la Chine peut faire peur dans sa course au développement. J’ai moi même été pris de terreur dans les rues de pékin, à marcher à une heure du matin entre de lugubres chantiers, dans lesquels des équipes de nuit s’activaient dans un bruit infernal de métaux et dans la blafarde lumières de néons géants. Une vision inhumaine, effrayante. Mais un écrivain peut il en tirer publiquement des leçons sur l’avenir (ou la perte) de l’Europe ? Je ne crois pas.

 

Cela dit, il montre bien comment le développement urbain va toucher de plus en plus le monde rural, en citant ce village reculé (shi kong ling, proche de Yiwu) dans lequel les paysans tissent du coton avec de vieilles machines. Un grossiste vient chaque mois déposer le coton et récuperer le tissu, dans un dispositif économiquement viable.

 

Une autre remarque intéressante sur les disparités économiques qui choquent souvent le visiteur Européen en Chine. Compte tenu de la taille du pays, Il faudrait comparer ces disparités avec celles qu’on trouve en Europe, entre Stockholm et Reggio di Calabria !

  

Le chapitre se termine par l’expulsion de Datang par manque d’autorisations, suite à une crise douanière entre Europe et Chine sur le textile.

 


Je termine par ce joli dialogue avec l’interprète Bo Chen, qui a passé six ans en France :

Dans l’ensemble, il garde de bons souvenirs de son séjour. Mais une question le préoccupe

   – Pourquoi, en France, n’aimez-vous pas vos enfants ?  

Je m’étonne, me récrie, le prie de développer  

-En France, vous ne travaillez pas assez. Donc vous préparez mal l’avenir de vos enfants.

Et il enfonce le clou :

-         Chaque année, la dette de la France augmente. Seuls ceux qui ne travaillent pas assez s’endettent. Et qui doit rembourser ? Les enfants. Que répondre ?  

5 Réponses Leave One →
  1. Lin permalien
    août 23, 2006

    Il a raison ce monsieur…
    欢迎回来~

  2. aude permalien
    août 24, 2006

    Cher Zhaobudao,
    Wo zhaodedao ni!
    Merci pour les messages. Mon blog est en suspens pour l’été.
    J’ai apprécié de baguenauder sur le tien, j’y reviendrai!
    Bell vacances!
    aud
    nb: j’ai appris à préparer le gongfucha à Taiwan, quand tu veux pour des conseils…

  3. saigangel permalien
    juin 5, 2007

    Un peu en retard, je viens de commencer sa lecture.
    Les premiers mots commencés et j’étais déjà loin. C’est la raison pour laquelle je ne lis pas tout de suite cet article de vous.

    Je suis tombée “par hasard” sur votre site, en cherchant la maison d’édition qui aurait publié (je l’espère) cet ouvrage traduit en anglais… pour l’offrir à un ami anglophone.

    Dans tous les cas, votre site est dans mes favoris.

  4. Anonyme permalien
    janvier 9, 2009

    Bonjour je lis actuellement ce livre , je suis en classe préparatoire HEC et j’aimerais avoir plus d’informations ou d’explications de votre type , car elles m’aident beaucoup.
    Merci quand même d’avance.

  5. Anonyme permalien
    janvier 9, 2009

    bonjour,
    je ne comprends pas quels sont les thèmes ou les enjeux de ce livre sur lesquels vous voudriez en savoir plus ou discuter ?
    Florent

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