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Randonnée

2006 septembre 19
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Posted by florent
Vouloir ne suffit pas ; tu dois désirer pour réussir (Ovide)
   

La longueur du jour, l’air léger, la vigueur de l’âme, la puissance et l’agilité des corps, et autres choses du même genre, venaient en aide aux grimpeurs (Pétrarque, dans sa belle lettre à son père sur L’ascension du mont Ventoux.)       

Les hommes ne se lassent pas d’admirer la cime des montagnes, l’ample mouvement des flots marins, le large cours des fleuves, l’océan qui les entoure, la course des astres, mais ils oublient de s’examiner eux-mêmes  (Saint Augustin, Confessions, livre X)   

Revenant d’une belle marche en Drôme, entre Saillans (Sud du Vercors) et Nyons (Nord de la Provence), je voudrais partager quelques expériences de cette randonnée en solitaire. Ce que je recherchais, c’était simplement de vivre l’instant présent, loin de toutes mes agitations parisiennes.

De bons souvenirs :

-         Des mûres délicieuses, des prunes et des poires au bord du chemin.

-         Un couple de chamois qui fuient à dix mètres devant moi, font vingt mètres et se retournent pour m’observer, refont dix mètres et se retournent pour m’observer, refont vingt mètres et se retournent. Leur laissant la paix de la montagne, je passe mon chemin.

-         En bivouaquant sur une crête, dîner face au soleil couchant sur une vue splendide. Après une nuit “à la belle” abrité du vent par un buisson, je petit-déjeune face au soleil levant sur une autre vue magnifique

-         Le bitume fondant au soleil, lorsque le sentier de grande randonnée emprunte une route cantonale ; ce bitume me plonge dans le souvenir de mes longues marches à l’adolescence.

-         Cet énorme cèpe trônant majestueux au bord du chemin désert.

De moins bons souvenirs :

-         le GR9 est très bien entretenu, mais je suis grand et équipé d’un sac à dos très grand. En montée, mon sac s’accroche aux branchages non taillés, et ralentit une progression déjà difficile

-         Au réveil du deuxième jour, je sais que je ne goûterai pas à mon café du matin avant … 22 kilomètres !

-         Les chiens. Que ces animaux peuvent être bêtes face à un inconnu ! -         Les terres argileuses qui, après la pluie, collent par lourds paquets aux chaussures   


Départ


 

Dans le TGV, je rencontre une étudiante chinoise (de Wuhan) qui parle mal français ; je l’aide dans ses démêlés avec le contrôleur ; nous taillons une bavette, et finissons par une partie de go sur un bout de papier. A Valence, pénible correspondance entre la gare TGV et le centre, pour attraper le bus qui va à Crest et Die, en passant par Saillans.

 

 

Dans le bus, on aperçoit une vue magnifique en longeant la vallée de la Drôme. Monte une horde d’ados qui reviennent du football. Ils me questionnent, me demandent si je vais grimper les trois becs, ces grandes montagnes bizarres que l’on voit à droite. Je ne sais pas. Je vais prendre le GR9, sans bien savoir où il passe car je n’ai pas encore trouvé de carte d’état major. J’en trouve une à Saillans, que j’étudie avec un thé à la terrasse d’un café où on laisse passer le temps. Ici c’est le sud.

La carte me le confirme : c’est bien cette montagne qu’il faut grimper d’entrée de jeu. Elle m’impressionne un peu, vue de Saillans.  


Montée et bivouac sur une crête


   Je fais quelques courses et me mets en route vers 17 heures, après une bonne baignade dans la Drôme fraîche, riante et ensoleillée.

Un chat sauvage attrape un pigeon au décollage, par un bond prodigieux en haut d’un talus. Il étouffe le pigeon en serrant sa cage thoracique dans ses mâchoires.

 

Le chemin monte, monte, monte encore. 900 mètres de dénivelée pour rejoindre cette crête qu’on voyait du bus. Dur. J’essaie de m’oublier et de me concentrer sur mes pas, de voir le moyen plutôt que la fin, comme c’était expliqué dans ce papier de « civilisations comparées » de B Nadoulek que j’ai lu dans le train :  

 

Le non-soi, c’est «avoir le corps comme un rocher» qui suit naturellement la ligne de pente, c’est se fier à l’intuition créatrice, à la spontanéité, à l’immédiateté des réactions sensorielles. Le non-soi c’est une présence intuitive et globale, liée à l’action, une conscience débarrassée de l’illusion des fins et concentrée sur les moyens, une présence permettant de faire corps avec les situations. C’est la synthèse de la détermination totale et de la liberté absolue. (Le non-soi, c’est aussi l’obligation pour l’individu de se conformer à l’exigence communautaire du groupe familial, social, ethnique ou national, souvent même à ses dépens, tant il est vrai qu’en Asie, l’individu existe moins par l’exercice de ses droits que par l’accomplissement de ses devoirs.)  

 

Je transpire ; mon sac est lourd, plein d’eau et de vivres. Par miracle je me retrouve en haut juste pour le dîner. Saillans est minuscule dans la vallée. Diner, nuit sous les étoiles (dans un sac de couchage et un sur-sac) et petit déjeuner ventés mais splendides. Je bois du coca sans bulles au petit déjeuner. Mon café m’attend au premier village qui est bien loin d’ici.

 

 

Le matin, encore de la montée jusqu’à un sommet à 1300 mètres, sommet atteint plus vite que prévu; puis une longue  et douce descente de vingt kilomètres vers le charmant village de Bourdeaux. Arrivé à l’heure du déjeuner, je découvre que les boulangeries sont toutes fermées. Je déjeune donc sans pain, à la terrasse d’un bar tranquille, avec ce café tant attendu. Je visite le château perché sur un éperon rocheux et repars.  


En l’église de Combs, à cinq Heures


  J’écris adossé aux marches de l’église de Combs, magnifique bâtisse inachevée (ou détruite ?) du XIIe siècle. Je viens de passer un beau moment de recueillement, après avoir chanté le cantique de Jean Racine (Fauré), seul avec cette acoustique merveilleuse. Perception d’altérité et de grandeur insondable.

 

En venant, je me suis volontairement perdu à travers les prés, et je suis tombé sur un minuscule et touchant cimetière en pleins champs, avec deux arbres et une très vague clôture pour éviter que les vaches ne viennent paître sur les cinq ou six tombes. Les tombes sont du XVIIIe ou XIXe, ce sont sans doute des protestants. Une épitaphe me touche : « ne crains pas, crois seulement » (Marc 5:36).

Un très joli puits aussi, caché à flanc de colline, et quatre beaux cèpes (quoiqu’un peu désséchés) au bord du chemin.

 


Dieulefit


 

 

Quelques gouttes de pluie accompagnent mon arrivée à Dieulefit, joli nom qui remonte au moyen âge. Le camping ne pouvant pas me recevoir car je n’ai pas de tente, je trouve un petit hôtel à 25 euros, qui mérite vraiment son tarif. Après quelques courses, je visite la vieille ville avec le plan du syndicat d’initiative : jolies places, horloge du XVe siècle, maisons renaissance bâties directement sur les remparts médiévaux, ruelles couvertes, fontaines et lavoir, jardins en terrasse. Les nuages menacent mais ne craquent pas.

Après un diner solide et médiocre dans mon hôtel médiocre et solide, un gros gros dodo pour faire partir en rêve les 37 kilomètres de ma journée. L’orage violent qui éclate en pleine nuit conforte mon choix de dormir sous un toit. Le matin, petit déjeuner sans qualificatif et départ.  Difficile de chiffrer les kilomètres qui m’attendent, car mon parcours est à cheval sur la seconde et la troisième carte d’état major de ma randonnée. Cinq heures de marche environ, pensé-je naïvement en attaquant ma première crête pour sortir de Dieulefit.   


Déshydratation


  Après la seconde crête, il n’est pas encore onze heures, mais une fringale me prend. Au bord du chemin, de la saucisse sèche et des Rollmops font mon régal. Je bois la saumure vinaigrée des rollmops, car je commence à manquer d’eau. Je devrais en trouver au fond de cette vallée, avant ma troisième crête. Mais les rivières sont à sec, et les rares maisons désertes. Je me retrouve à monter dur, en entamant ma réserve de sécurité d’un demi litre (je bois entre quatre et huit litres d’eau par jour en randonnée).

 

Me voilà dans un cirque très sauvage, dans lequel les rares ruisseaux indiqués sur la carte sont en pointillés, ce qui ne me rassure guère au sortir d’un été bien sec. Mais dans une heure j’arriverai à une église avec un cimetière. Il y a toujours un robinet dans un cimetière, pour les fleurs. Un kilomètre après l’église, il y a un vieux village encaissé, abritant sûrement un bistrot. J’arrive à sec à l’église, mais pas d’eau. Je me rends assoiffé au village, mais je trouve un endroit très peu accueillant, sans bistrot et avec des chiens comme tout comité d’accueil. Je m’accroche désespérément à la pensée d’une ferme-gîte d’étape située trois kilomètres plus loin. En chemin je trouve un cèpe mais me perds dans une ravine.  

 

En arrivant épuisé à la ferme, personne ! Pas un chat à part un chien qui me grogne dessus. Mes yeux brillent en apercevant un robinet extérieur pour arroser le jardin, mais il est sec ! Pas le moindre gargouillis dans le tuyau. Je commence à avoir un peu peur de la déshydratation, et fais un crochet pour trouver un réservoir signalé sur la carte. Et là, frustration suprême, j’aperçois une cabane, j’entends à l’intérieur l’eau qui coule dans la citerne, je la vois suinter le long des murs, mais pas moyen d’y accéder. La porte est fermée à clef. Je fais le tour et monte sur le toit, tâte toutes les ouvertures sans succès. Rageant !

 

Réalisant tout le prix de l’eau en Drôme provençale, pour qu’un réservoir soit ainsi blindé, je repars déprimé car, à part une hypothétique source, il n’y a plus d’eau avant mon arrivée à la Bertrane, dans six kilomètres. Il fait chaud et j’ai vraiment très soif ; la tête me tourne. Je n’ai pas déjeuné mais il est hors de question de manger quelque chose sans boire, dans mon état.  


Sauvé


 Et là, miracle. Au bord du chemin un peu plus loin, un mince filet d’eau qui passe par une mare boueuse. Je me jette à genoux et bois un bon litre d’une eau très douteuse mais délicieuse. Je remplis ma bouteille et déjeune au col suivant ; le moral remonte en flèche. Je change de chaussures, finis mes restes (saucisse comté banane biscuits, toujours sans pain), et repars tout guilleret.   


Arrivée


 Le dernier cirque à traverser, celui de Condorcet, est là derrière ce col. J’y arrive facilement, cueillant au passage un énorme cèpe (pas trop pourri cette fois). Me voilà en terrain connu ; quelle joie ! C’est vrai que depuis que j’ai quitté le sentier de grande randonnée (GR), avec ses marquages réconfortants –presque amicaux- je me sentais moins à l’aise avec ma carte dans ces cirques de collines désertes à perte de vue.   Je vois la maison ! M’y voilà, et je ne vous raconte pas le bonheur indescriptible d’une douche et d’un thé dans un fauteuil ! La randonnée, c’est pour moi une ressource profonde. Vivre dans le calme et le silence, loin de toutes mes tensions et dépendances parisiennes, simplement à vivre et aimer l’instant présent. J’aime vraiment beaucoup la combinaison proposée par Pétrarque, sur laquelle je conclus :   La longueur du jour, l’air léger, la vigueur de l’âme, la puissance et l’agilité des corps, et autres choses du même genre, venaient en aide aux grimpeurs (Pétrarque, L’ascension du mont Ventoux.) 

 

5 Réponses Leave One →
  1. Jade permalien
    septembre 21, 2006

    Avec un âme libre et ouvert, un corps (^^) solide et de parfaite forme, un épanouissement pour la vie (les chemins dans le cas concerné, sinon une métaphore: les chemins et les paysages –> la vie), tu as réalisé un tel voyage montagnard!!

    Une petite question: si j’ai bien compris, tu as passé quelques nuits 以天为被 以地为席 (prendre le ciel pour la couverture, la terre p our la natte/le drap)? J’ai du mal à y croire ….

  2. septembre 21, 2006

    en francais on dit dormir à la belle étoile, mais l’expression chinoise est plus jolie

    j’avais quand même un sac de couchage et un sursac (qui tient chaud et sec) ; ce n’est pas difficile de dormir à la belle étoile ; il faut de bonnes conditions et c’est magnifique!

    lors de la canicule en france, j’avais emmené 9 enfants , comme seul accompagnateur, dormir à la belle dans le massif du mont blanc ; il faisait bon. J’avais assez peu dormi entre les pipi, les j’ai soif, les effrayés par les ours, les terrorisés des renards, les névrosés des sangliers, les peureux des loups mais c’était justement l’occasion de regarder les étoiles à chaque réveil

    au petit déjeuner : un super souvenir de framboises grillées au feu de bois ; drôle d’idée des enfants mais très bon.
    un souvenir moins bon : une fille de 10 ans qui m’assure avoir appris aux scouts que telle carotte sauvage est très bonne à manger. J’avais beaucoup de doutes quand meme, on a essayé et ce n’était finalement pas mauvais.

  3. novembre 5, 2006

    en regard de la phrase de st augustin, voici liezi

    Vous vous souciez de voyager à l’extérieur, vous ne savez pas vous occuper de la contemplation intérieure. […] par la contemplation intérieure, nous trouvons à nous satisfaire en nous-mêmes.

    (le liezi est un des trois grands ouvrages taoistes)

  4. mars 20, 2010

    Nice Blog .

  5. fred permalien
    mai 1, 2010

    bonjour,j’ai pris plaisir à decouvrir et lire ton recit.A la recherche du temps moyen de marche entre ces deux villes c’est ainsi que je l’ai trouvé.Peux-tu m’en dire un peu plus sur le temps de marche,la difficultée de cet itineraire et les differentes etapes que tu as fais.Merci d’avance cordialement fred

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