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ChiLi Un homme bien sous tous rapports 6/10

2006 novembre 5
Posted by florent

Ce livre, c’est un peu la même histoire que la nouvelle récemment commentée de Moyan , celle d’un homme qui a donné sa vie pour l’édification de la société communiste, mais qui se retrouve licencié de son organisation, nu comme un vers.

Mais les ressemblances s’arrêtent là. Alors que Mo Yan entrait dans le burlesque pour son personnage, (qui trouve dans une vieille carcasse de bus l’idée qui redonne sens et humour à sa vie), Chi Li reste noire et sans espoir. Son livre parle de la misère masculine ; il en parle terriblement bien.Un homme bien sous tous rapports de Chi Li


 

L’homme, Bian Rong Da, perd son job à l’ « association des souffleurs de verre ». Il est âgé de 41 ans. Il est marié avec un fils, mais son mariage est raté à cause d’une subtile substitution entre deux sœurs jumelles au moment du mariage. La vie en couple est monotone ; l’épouse du héros est à la fois chétive et malade, et entrepreneuse. Elle a créé un réseau privé de librairies qui marche bien et suscite l’incompréhension de son mari.

 

Une jolie analyse des caractères du mariage hunyin est présentée en page 65 : dans on voit une femme à gauche et un esprit troublé à droite . Dans on voit une femme à gauche et un prisonnier à droite . L’auteur pose cette question intéressante : dans la chine antique, pourquoi montrer un prisonnier pour illustrer le mariage, alors que tout homme pouvait avoir ses « trois épouses et quatre concubines » ? L’auteur Chi li donne cette belle explication «  yin, cela représente un homme adulte 大人 dont la liberté est totalement encadrée par une femme. Et quand on cherche à expliquer le mot, on voit qu’il évoque un homme qui, avant d’avoir compris ce qui lui arrive, se retrouve avec une femme. » En restant modeste, je souhaiterais signaler que cette interprétation rejoint, me semble-t-il, la proposition que je faisais sur l’amour, projection dans un monde de vulnérabilité (voir aussi l’amour qui monte ou qui descend)

 

Totalement démuni ; Bian Rongda relit toute son existence, de l’exigence étouffante de son père paysan monté en ville à ses émois « hors mariage », en passant par tout son rapport au travail.

 

L’histoire se passe à Wuhan, ville du centre de la Chine, où je n’ai jamais été mais dont je commence à percevoir l’identité,  après avoir lu ce livre et discuté avec des Wuhanais, de souche ou d’élection. Chi Li est Wuhanaise.

 

La page 50 révèle ce que Maitre Bian, le père de Bian Rongda, a voulu comme identité pour son fils, qu’il a élevé seul après avoir perdu son épouse :  

« la mer recueille des milliers de rivières ; c’est sa tolérance qui fait sa grandeur.

La falaise se dresse haute de mille toises, c’est son absence de désir qui fait sa fermeté. »

Ces vers de Lin Zexu, mandarin au service de la cour des Qing, me touchent par leur beauté et leur profondeur. J’en recherche le texte d’origine, si quelqu’un les connaît en chinois je suis preneur ! (je sais juste que la tolérance est exprimée par Rong ; la grandeur par  大 Da ; ce qui donne le nom de Rongda)

 

Certains retours dans le temps ne sont pas toujours clairs : le récit revient plusieurs fois au moment de la création de l’association des souffleurs de verre. Cette association a été le lieu de l’épanouissement de Bian Rongda, mais aussi le cocon dans lequel il s’écarte de la société wuhanaise qui évolue. Cet aspect du récit flou, répétitif et lancinant est peut-être délibéré, afin de montrer l’obsession qui habite Bian Rongda : celle d’un environnement de travail en droite ligne avec les enseignements du Parti, un cadre très sécurisé dans lequel chacun a sa place et sa reconnaissance.

 

Mais voilà, les choses ont changé. Le confort de l’organigramme a volé en éclat. Les jeunes sont au pouvoir, comme Mao en avait appelé de ses vœux face aux gardes rouges, mais ce n’est pas le même pouvoir : aujourd’hui c’est le pouvoir de l’argent. On n’écrit plus son CV à la main mais on l’imprime, souffrance pour Bian Rongda qui est si fier de la qualité de sa calligraphie. Il y a désormais de nouveaux acteurs comme cette société française de cosmétiques Orbal, allusion évidente à L’Oréal, qui recherche un homme de profil chinois pour incarner la quête d’une mousse tibétaine bienfaisante pour l’épiderme.

 

Bref, un bon livre, qui touche le lecteur autant par des traits universels dans l’amertume d’un homme qui relit sa vie, que par les descriptions de la société chinoise, en transition entre un communisme paternaliste et un libéralisme débridé.

6 Réponses Leave One →
  1. novembre 5, 2006

    海納百川﹐有容乃大。
    壁立千仞﹐無欲則剛。

    海纳百川,有容乃大。
    壁立千仞,无欲则刚。

    merci dada pour ce texte d’origine des vers de lin Zexu :

    « la mer recueille des milliers de rivières ; c’est sa tolérance qui fait sa grandeur.

    La falaise se dresse haute de mille toises, c’est son absence de désir qui fait sa fermeté. »

  2. novembre 6, 2006

    Hummm j’adore Chi Li, tu me le prètes ;-)

  3. novembre 7, 2006

    volontiers , sur paris ;-)

    qu’as tu lu d’autre d’elle ? en chinois ou en francais ? Je crois qu’en francais elle est intégralement publiée chez Actes sud ?

  4. novembre 24, 2006

    J’ai lu (de mémoire) Trouée dans les nuages (le premier que j’ai découvert), préméditation et Triste Vie.

    Pour le nouveau, je vais le faire acheter par la bibliothèque de tchin-tchine! gniark gniark.

    Bon voyage à S’pore!

  5. novembre 24, 2006

    OUps j’ai répondu qu’à moitié,
    j’ai tout lu en français, chez Actes sud en effet. Tu as essayé en chinois? c’est difficile?

  6. florent permalien
    janvier 11, 2010

    je n’ai pas encore essayé en chinois
    j’aimerais !

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