Ma Jian Nouilles Chinoises 6/10
Même si le grand Gao Xingjian a fait son éloge, Ma Jian ne m’a pas vraiment séduit.
“Nouilles chinoises”, est amusant à lire. C’est un dialogue entre un écrivain professionnel, à la solde du Parti et pris dans un cafard noir (celui de ne pas suivre ce qui se passe) et son ami qui a réussi dans les affaires (le don de sang en l’occurence) en partant de rien.
Le dialogue s’élargit petit à petit à d’autres personnages. Majian porte un regard lucide sur les transformations en cours, parfois burlesque (une jeune femme loue un tigre et convoque toute la commune pour le grand spectacle de son suicide en direct : “une femme dévorée par un tigre” ), parfois fantastique (un homme visité par une sorcière et un chien qui parle).
Majian développe une critique acide de la Chine contemporaine ; le Parti Communiste est très vivement attaqué pour sa propagande et son oppression (les livres de Majian sont interdits en Chine ; l’auteur a fui à Hong Kong puis Londres). Le matérialisme affairiste n’est pas épargné ; d’où le désarroi de l’écrivain qui ne trouve plus d’inspiration autour de lui.
Voilà une page que j’ai trouvée très intéressante, sur l’émergence d’une banlieue qui a poussé plus vite qu’un cèpe :
En esprit, l’écrivain professionnel voit l’écrivain public accroupi sur un trottoir dans une nouvelle partie de la ville, qui était encore la campagne il y a quelques années.
C’est un quartier tout neuf au bord de la mer, en béton et en ciment. Les paysans locaux qui ont été chassés de leurs terres et relogés dans les nouveaux blocs en béton à trois étages ne sont pas encore habitués à leur nouvelle vie. Ils continuent à conserver du bois et des imperméables moisis à l’extérieur, même s’ils n’auront plus jamiais à brûler du bois ou à travailler dans les champs. Les femmes continuent à enrouler des écharpes noires autour de leurs têtes, bien qu’elles n’aient plus besoin de se protéger du soleil. Les hommes portent des costumes maintenant, mais continuent à fumer leur pipe à eau tous les après midi. Ils se tiennent toujours penchés, comme s’ils étaient appuyés à leurs houes dans les champs. Les enfants continuent à chier dans les rues plutôt que d’utiliser les nouvelles toilettes dans leurs salles de bains. Les toits plats sont percés d’une foule d’antennes de télévision. Les fermiers de l’intérieur qui ont trouvé du travail en ville mais n’ont pas réussi à obtenir un permis de résidence viennent en foule louer des chambres dans ce nouveau quartier. Les paysans locaux sont devenus de riches logeurs du jour au lendemain, et les habitants de la vieille ville ont été obligés de remarquer les “péquenots à tête de choux” qu’ils préféraient ignorer jusqu’alors.
Le chapitre se poursuit par la description du métier de l’écrivain public, qui enchaîne les lettres de plaintes, de dénonciation, d’amour au printemps, de refus, de rupture à l’automne. Touchante description d’un homme qui “vit sa vie par procuration”.
Je conclus par une jolie phrase à la dernière page du livre :
Quand il ne nous reste plus d’énergie pour lutter contre ce monde brutal, nous nous tournons vers l’intérieur et commençons à nous faire du mal à nous-mêmes