Comprendre = prendre avec soi, ou comprendre = voir la diversité ?
Partons d’un caractère chinois qui nous amènera gentiment vers l’idée de “comprendre” telle qu’elle s’exprime en chinois. On verra comme le lien de cause à effet est présent dans notre vision française ; alors qu’en chinois c’est plus la perception de la diversité qui joue dans l’idée de comprendre.
Le lien de cause à effet … Et la diversité
解 signifie séparer ; et son étymologie m’a semblé étonnamment facile (pour une fois).
解 est formé de 角 (jiao3 : la corne), 刀 (dāo : le couteau), et de 牛 (niú : le boeuf). Il montre l’action de couper la corne d’un bovin avec un couteau, et par extension le fait de séparer une partie d’un ensemble.
解 est utilisé dans un sens abstrait aujourd’hui, comme dans :
了解 liao3jie3 (parvenir à séparer = comprendre) ;
解开 jie3kai1 (séparer – commencer/ouvrir = dénouer ; résoudre (une énigme) ; dissoudre ; fondre ; libérer)
解暑 jie3 shu3 (se séparer de sa chaleur interne ; en buvant du thé par exemple) ;
Développons un peu sur 了解 : comprendre.
En français il s’agit de « prendre avec soi » (com-prendre) ; c’est à dire de contrôler la particularité d’une situation ; d’en posséder la logique.
Aucune trace dans la définition française de l’idée de séparation (schizein en grec comme dans la schizophrénie ; seca en latin comme dans sécateur ou disséquer).
Il y a sans doute des mots français se rapprochant de comprendre et faisant appel à la notion de séparation ; mais je n’en ai pas trouvé beaucoup! Je penserais volontiers au mot de « distinguer » mais il est moins large que “comprendre”. Distinguer, c’est à la fois un travail de l’esprit et des yeux ; mais ce n’est pas vraiment comprendre. Ce n’est qu’une étape de la compréhension.
En chinois il s’agit de « parvenir à séparer » ; c’est à dire de visualiser les distinctions à prendre en compte dans la situation donnée.
- Une vision interne (ce qui se passe en moi quand j’ai compris) et une vision plutôt centrée sur la perception (ce que je vois et qui me permet de comprendre).
- Une réalité intériorisée (dans sa cohérence) d’un côté, encore extérieure (mais perçue dans sa diversité) de l’autre.
Deux visions assez distinctes (justement , non ?
“Comprendre” est un mot large en francais
Son premier sens , c’est “Inclure dans sa nature propre ou dans un système telle et telle choses ou personnes.”
on a aussi “Se faire une idée claire des causes, des conséquences, etc., qui se rattachent à telle chose et qui l’expliquent. ” ; c’est à dire établir les liens de cause à effet (plutôt que les distinctions)
on a encore “Appréhender quelqu’un ou quelque chose dans toute la vérité de sa nature profonde, par une communion affective, spirituelle.” ou bien “Se faire une conception personnelle idéale de telle chose.”
un synonyme est intéressant pour l’analyse : saisir. vous saisissez ?
sinon j’ai trouvé les synonymes suivants ; dont aucun ne me semble proche de “parvenir à séparer” (à part peut être démêler ?)
admettre, apercevoir, apprécier, appréhender, apprendre, approuver, assimiler, atteindre à, comporter, compter, concevoir, connaître, consister, contenir, déchiffrer, décoder, découvrir, démêler, deviner, embrasser, enclore, enfermer, englober, entendre, entrer, entrevoir, envelopper, faire entrer, grouper, imaginer, impliquer, inclure, incorporer, intégrer, interpréter, mélanger, mêler, mordre, pénétrer, percer, piger, prendre, réaliser, remarquer, renfermer, repérer, révéler, s’apercevoir, s’expliquer, saisir, savoir, se composer, se mettre à, sentir, se rendre compte, se représenter, suivre, traduire, trouver, voir, y être.
on en a parlé hier avec un ami espagnol.
Il est clair que “entender” veut dire comprendre et seulement comprendre ; aucun sens de perception (à la différence de “entendre” en francais qui est à la fois perception et compréhension)
par contre l’anglais nous a semblé mystérieux : pour quoi dit on “understand” ; se tenir sous ?
(pareil en allemand : verstehen)
est ce parce que nos yeux ne voient que la surface des choses ; et que comprendre c’est d’aller en dessous ; aux causes ?
si la question “understand” intéresse quelqu’un ; il y a cette page
[url=http://www.wordwizard.com/ch_forum/topic.asp?TOPIC_ID=17801&SearchTerms=comprendre]http://www.wordwizard.com/ch_forum/topic.a…erms=comprendre[/url]
apparemment l’anglais “understand” renvoie à l’idée de “se tenir parmi”. Comme si on se placait sous la chose désormais bien visible ; à l’ombre de la situation
cette définition anglaise (d’origine germanique) est curieusement à l’encontre de toutes les autres définitions indoeuropéennes, qui ont toutes le sens d’”intégrer”, ou de “prendre avec soi”
(cela dit; je la trouve pas si éloignée du liaojie chinois justement ; le “se tenir parmi” positionnant bien la diversité)
Le chinois 了解 et le français “comprendre” ne sont pas équivalent. Parfois on peut les utiliser dans les deux langues avec la même acception, mais parfois seulement.
D’ailleurs où vois tu que 了解 signifie “séparer”? Certes l’un des sens de 解 pris indépendamment hors contexte est “séparer” mais les autres sens sont “comprendre, expliquer, dénouer”. De plus l’un des sens de 了 (liao) est aussi “comprendre”. Donc les deux associés…
Mais même en supposant que l’on gardât le sens de séparer, dénouer. En français on dit bien “dénouer une énigme”, lorsqu’on l’élucide, “démêler un problème”, etc…
Pourquoi vouloir à tout prix chercher à démontrer que les Chinois sont différents des Français dans leurs conceptions du monde?
Oui Olive ; il y a là comme dans toute comparaison de mots des généralisations ; on peut nuancer à l’infini.
Sur le jie 解 ; il me semble qu’il est bel et bien marqué “au coeur” par l’idée de séparation. Ce qu’on voit dans ton exemple “dénouer”. Et il s’est étendu vers l’idée de compréhension.
Par contre je prends volontiers ton point sur le liao 了. Ses sens premiers sont ceux d’une situation nouvelle ou d’une action terminée (hao liao!) ; d’une page tournée ; comme si l’on se débarrassait de quelquechose ou qu’on accomplissait quelquechose. Et dans ce sens là liao implique bien le sujet ; tout comme le “prendre” de “comprendre”. D’accord avec toi; même si le “liao” est sans doute moins marqué par le sujet que le “prendre” ; il l’est quand même.
Notons l’origine du caractère 了 : c’est un fils 子 sans bras, mot abstrait
ps j’espère qu’il fait aussi beau à guilin qu’à paris ; un vrai bonheur ici
pour ta seconde question ; mais parce qu’ils le sont !
comment nier l’altérité ?
effectivement je ne suis pas le premier à fantasmer sur l’altérité ; à y projeter tout ce que je voudrais. J’en suis bien conscient. Mais cela dit il y a vraiment différence de vues ; tout comme entre l’anglais “understand” et le francais “comprendre”.
Pourquoi ne pas vouloir voir les différences ? Ne serait ce pas au nom d’une utopie universaliste aveuglante ? Nous n’avons pas la même langue ; et la langue porte une vision du monde. Cela me semble bien acquis, non ?
Oui la quête est biaisée ; et le chemin semé d’embûches dans lesquelles je tombe tous les jours.
Distinguer l’altérité, voilà ce que je cherche à comprendre, car c’est enrichissant !
Je ne nie pas qu’il n’y a pas quelques différences en surface.
Mais vouloir à tout prix chercher les dissemblances, qui souvent revient à partir d’une infime nuance pour élaborer tout un exposé sur une dite-conception des choses fondamentalement et radicalement opposée.
C’est peut-être de vivre en Chine entouré de Chinois qui a forgé mon opinion qu’au fond nous sommes tous les mêmes. Avec les mêmes défauts, que l’on cherche à gommer différement parfois. Et les chinois sont les premiers à le faire, à se dire “différent” des autres, et à débiter toute sortes d’imbécilités. De plus, mélangé au nationalisme ambiant omniprésent cela devient parfois difficile.
J’essayerai de trouver le temps d’écrir un mini article, ou justement les Chinois veulent accentuer leur différence, illustré d’exemples dont j’ai été témoin.
Donc pardonne mes excès d’universalisme et la brusquerie non voulue de mes interventions. C’est en quelque sorte mon pain quotidien!
Je viens de me relire, tout n’est pas très clair, désolé…
2ème paragraphe “Et les chinois sont les premiers à le faire”, je parle de se sentir foncièrement différent, et non de se sentir semblable au reste du monde.
Dernier paragraphe “C’est en quelque sorte mon pain quotidien!”, je ne parlais pas de ma brusquerie… mais de chercher à convaincre chacun que nous ne sommes pas tant différent que ça. C’est une mission bien fatiguante parfois…
aucun mal olive ! tu as parfaitement raison de souligner le risque de généralisation et d’”ostracisation” (fabriquer de l’autre quelquechose de différent).
J’oublie souvent le “tente” et le “vainement” qui sont dans le titre de ce blog !
Ils signifient que je ne fais pas cela pour contrôler la différence ; pour la maîtriser (la comprendre au sens de prendre avec moi ); Je n’y arriverai jamais et j’apprécie ces commentaires que tu fais s’ils me le rappellent !
(d’autant plus que tu parles infiniment mieux chinois que moi, et donc tu redresses des erreurs;-)
C’est juste un chemin d’observation ; de perception.
Tout cela est peut être lié à la peur au fond ; tant on a peur de ce que l’on ne connaît pas, non ?
Dans le nationalisme que tu décris je vois du particularisme : il y a sans doute un peu de peur de l’autre dans l’affirmation de sa spécificité propre , ne penses-tu pas ? Les chinois qui disent qu’ils sont seuls à être comme ceci ou comme cela, ils me semblent se placer sur la défensive.
Dans ma recherche il y a souhait de n’avoir pas peur de l’autre en donnant l’aspect riche que je percois dans sa spécificité. La différence est elle claire ?
Pour moi découvrir l’altérité dans un esprit positif ; c’est à dire en cherchant à voir ce que l’autre a de beau ou d’intéressant ; c’est quelquechose de fatiguant mais d’apaisant.
Je ne cherche pas à convaincre que nous sommes tous au fond pareils. C’est une idée qui ne m’intéresse pas ; je ne sais pas te dire pourquoi. Je la respecte totalement ; mais je la vois comme un combat contre l’ostracisme ; alors que je cherche à vivre une quête du beau dans l’autre. Je sais bien que j’y projette moi même ce que je trouve beau.
Ben dis donc quel lyrisme ; le soleil m’a tapé sur la tête ! Je vais aller prendre l’air en forêt pour penser à tout ca !
ps ton article m’intéressera beaucoup ; dis moi quand tu le posteras !
je vois de quel nationalisme tu parles ; et je trouve qu’il n’est là qu’au “mainland”. Les hong kongais ou les francais que je connais ici à paris ont souvent appris à le mettre dans leur poche ; au moins en apparence !
Il y a aussi un sens de « décider, trancher » dans jie 解, ainsi qu’un sens de « défaire des nœuds, dégager », comme dans la phrase taoiste « dégager son cœur et examiner ses puissances intérieures » (Zhuangzi 28/11/54).