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La pensée chinoise ancienne et l’abstraction Anna Ghiglione 6/10

2007 novembre 8
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Posted by florent
Attention ce billet est très long et délicat ; il demande une certaine expérience en chinois ou bien autour de la pensée chinoise. (en le relisant j’ajoute qu’il est assez confus…)

Depuis les lumières (Voltaire, Leibnitz) les philosophes occidentaux ont été fascinés (Cassirer, Van Humbolt) ou bien méprisants (Hegel, Heiddeger) vis-à-vis des spécificités chinoises en matière d’abstraction, de construction théorique. Exemple d'abstraction à trois niveauxL’éthique protestante et l’ « intelligence efficace » chinoise donnent lieu à des comportements, en affaires par exemple, fort différents.

Par la suite, des économistes (Max Weber, Redding) ont attribué l’essor du capitalisme au rationalisme occidental.

Selon Montesquieu, en occident la religion chrétienne « semble demander que tout s’unisse », alors que «  les rites chinois semblent ordonner que tout se sépare ».  Les chinois seraient incapables de distinguer les lois et les mœurs, ce qui leur donnerait une grande astuce en matière de commerce. Ces visions du XVIIIe sont encore très prégnantes dans l’esprit de beaucoup d’observateurs de la Chine ! Bref, l’existence d’une philosophie chinoise  a déjà été longuement débattue.

Ce livre tente d’analyser les termes liés à l’abstraction, et aux processus cognitifs liés, dans un corpus de textes pré-Qin (du VIe au IIIe S avant JC) : les textes taoïstes, le Huainanzi, les textes moïstes et confucianistes, le Mencius, les légistes (Hanfeizi), le Xunzi.

L’auteur démontre systématiquement que les visions supposant une incapacité chinoise à l’abstraction ne sont pas fondées. Ces théories disent par exemple : « les chinois ne connaissent pas l’idée de vérité » ou bien, moins radical : « les chinois n’ont pas nommé l’idée de vérité ». Anna Ghiglione trouve des contre-exemples à la plupart des théories linguistiques, psychologiques ou philosophiques démontrant une altérité d’opposition.

Il est toutefois un terme sur lequel l’auteur reconnaît une différence si profonde qu’elle se rapproche d’une opposition : c’est le terme d’hypothèse, totalement absent dans la langue chinoise pré-Qin. Ce qui n’empêche pas qu’il y ait des raisonnements par l’absurde dans les textes étudiés.

On aborde beaucoup le thème du langage, à commencer par la structure idéographique de l’écriture chinoise : « La langue chinoise offrait peu de commodités pour l’expression abstraite des idées (…) Le mot, en chinois, est bien autre chose qu’un signe servant à noter un concept. Il ne correspond pas à une notion dont on tient à fixer, de façon aussi définie que possible, le degré d’abstraction et de généralité. Il évoque, en faisant d’abord apparaître la plus active d’entre elle, un complexe indéfini d’images particulières. » Marcel Granet.

Le caractère chinois est bien éloigné du « mot idéal » platonicien !

Reprenons quelques remarques ou citations chapitre par chapitre :

Le livre aborde au premier chapitre le réel, le possible et l’abstrait. On y relève cette phrase du Zhuangzi 4/2/14 (voir aussi 4/2/27-29): « Sans l’autre, il n’y a pas le moi ». On mesure aussi le débat sur le fini ou l’infini des « dix mille êtres », c’est-à-dire du  monde qui est « sous le ciel » : alors que les confucianistes voyaient des choses « nombreuses » ; les taoïstes les voyaient comme « illimitées ». Le Zhuangzi relève la convention (et donc la forme d’abstraction)  utilisée dans l’expression « les dix mille êtres » 万物。Plus loin, l’analyse de la formule « cheval blanc n’est pas cheval 白马非马»   montre encore un degré d’abstraction, entre le possible (kewei 可谓) et le vrai. En bref : le réel ne s’oppose pas à l’abstrait (ce n’est pas parce qu’on s’attache au réel qu’on est incapable de s’abstraire) ; la pensée chinoise a bien distingué l’identité de l’altérité, et posé les conditions de l’existence comme du possible. Notons la particularité des positions taoïstes (par rapport aux autres courants de pensée pré-Qin) sur ces questions.


Le second chapitre aborde le changeant, le constant et l’abstrait.

Il combat cette fois le préjugé selon lesquels les idées immuables telles que les a représentées l’Occident depuis Platon sont les seules à permettre l’abstraction. La Chine, cantonnée à une vision du changement (la seule chose qui ne change jamais  ;-) , n’aurait ainsi pas pu accéder à l’abstraction. Dans sa vision dynamique qui s’intéresse aux interactions, la pensée chinoise peut aussi postuler des entités abstraites.

L’auteur examine les termes chinois désignant le changement : 变, 化, , 改, 交, 移, 更, 渝. Il distingue deux formes de discernement, l’une basée sur la perception et l’autre sur une forme d’abstraction.


Au chapitre 3 on aborde l’extrait et l’abstrait. Abstraire c’est d’abord extraire d’une situation des éléments pertinents pour dégager des ressemblances ou différences. En chinois moderne abstraire se dit 抽象 : extraire des ressemblances.

L’auteur reconnaît dans les textes pré-Qin un manque de distinction entre l’analyse réelle et l’analyse conceptuelle.

Citons cette phrase du Lüshi Chunqiu : « Un expert en épées dit : « le blanc (l’étain) est ce qui rend (une épée) dure, le jaune le cuivre) est ce qui la rend flexible. Si l’on combine les deux, on obtiendra l’épée idéale : à la fois dure et flexible. Son rival répliqua : « le blanc (l’étain) est ce qui la rend non flexible, le jaune (le cuivre) est ce qui la rend non dure. Si l’on combine le blanc et le jaune, elle ne sera ni dure ni flexible. Alors, étant molle, elle se pliera, et étant dure elle se cassera. Une épée qui se casse et qui se plie, à quoi sert-elle ? »  La phrase n’est pas d’une logique parfaite (distinguant les contraires, les subcontraires et les contradictoires), mais elle est intéressante.


Le chapitre 4 aborde ressemblances et rassemblements.

Là encore les oppositions classiques vont bon train, opposant la pensée corrélative en chine (sensible aux ressemblances ou correspondances) à l’identité familière en occident.

Pour un exemple de pensée corrélative : le Zhuangzi dit au chapitre 23 : « Connaître c’est établir des relations. Connaître, c’est concevoir (謨 mo) »

Pour un exemple de pensée de l’identité, prenons le Cratyle de Platon, dans lequel Socrate montre que l’image et l’objet ne sont pas identiques :

« N’ y aurait-il pas deux objets, tels que Cratyle et l’image de Cratyle, si un dieu, non content de reproduire ta couleur et ta forme, comme les peintres, figurait en outre, tel qu’il est, tout l’intérieur de ta personne, en rendait exactement les caractères de mollesse et de chaleur, et y mettait le mouvement, l’âme et la pensée, tels qu’ils sont en toi ; bref, si tous les traits de ta personne, il en plaçait auprès de toi la copie fidèle ? Y aurait-il alors Cratyle et une image de Cratyle, ou bien deux Cratyles ? »

Pour les chinois de l’antiquité , les caractéristiques de forme et couleur (形色) jouent un rôle individualisant fondamental pour les objets visibles.

Foucault relie la ressemblance à l’identité de la signature : « Jusqu’à la fin du XVIIe siècle, la ressemblance a joué un rôle bâtisseur dans le savoir de la culture occidentale. C’est elle qui a conduit pour une grande part l’exégèse et l’interprétation des textes : c’est elle qui a organisé le jeu des symboles, permis la connaissance des choses visibles et invisibles, guidé l’art de les représenter. (…) Et la représentation se donnait comme répétition. Il n’y a pas de ressemblance sans signature. Le monde du similaire ne peut être qu’un monde marqué. Le savoir des similitudes se fonde sur le relevé de ces signatures et sur leur déchiffrement. « 

Reprenons cette curieuse phrase chinoise sur le mot « tong » : « 同, c’est à la fois être différent et le même par rapport à quelquechose». Comme on le voit, nous sommes loin avec les catégories chinoises (les lei 类) des catégories aristotéliciennes qui sont exclusives les unes des autres.


Le sensible, le perçu et l’abstrait sont traités au chapitre 5. L’opposition classique est ici un occident détaché des sens et guidé par la raison, face à un Orient sensible et marqué par l’esthétique.

L’auteur montre que les chinois de l’époque ne confondaient nullement sensation et connaissance, et que leur pensée proche des sensations ne les empêchait pas de faire des raisonnements abstraits.

Le zhongyong dit que « Rien n’est plus visible que ce qui est obscur. Rien n’est plus clair que ce qui est imperceptible. C’est pourquoi l’homme de qualité veille à sa solitude. »

On n’accorde pas en Chine de crédit total aux sens, mais il reste que le mythe platonicien de la caverne (les ombres étant ressemblantes, donc irréelles) trouve son antithèse dans ce passage du Hanfeizi (24/1) : Jadis, puisque les hommes n’arrivaient pas à se voir eux-mêmes avec les yeux, ils regardaient leur visage avec des miroirs ; puisqu’ils n’arrivaient pas à se connaître eux-mêmes avec leurs facultés cognitives, ils se rectifiaient avec la voie. Ainsi, on ne peut pas attribuer au miroir la faute de révéler les imperfections et on ne peut pas reprocher à la voie de mettre en lumière les erreurs. Si les yeux sont dépourvus de miroir, il n’y a plus aucun moyen d’ajuster barbe et sourcils ; si la personne est dépourvue de la voie, il n’y a plus moyen de reconnaître les fautes et les erreurs. »

Anna Ghiglione passe en revue les cinq sens et conclut sur les limites de la perception en citant le boucher ding du Zhuangzi 



Le chapitre 6 est consacré à l’élaboration et la rationalisation de l’expérience.

L’opposition traditionnelle ici serait celle d’une quête de la vérité en occident (bien distincte de la quête du bonheur), opposée à la quête d’une action efficace en Chine.

La Chine confondrait le Vrai et le Bien, dans ce personnage du Lettré-Sage-Homme de bien. Cette vision « universiste », illustrée par la phrase « Seul le sage ne cesse d’avoir le tout à l’esprit », aurait empêché les chinois de distinguer le sujet et l’objet ; l’homme et la nature.
Ce point est très présent dans la langue chinoise. Je me suis souvent rendu compte de ce que la structure « sujet-verbe-complément » n’est pas une nécessité absolue en chinois. On peut facilement omettre le sujet , ou bien laisser une ambiguité sur le sujet. C’est d’ailleurs là ma principale cause d’erreur de compréhension en lisant du chinois.

La table de Piaget (voir l’article de wikipedia ) résume bien les choses :

Solutions non génétiques*

Solutions génétiques*

Primat de l’objet…………………

Réalisme

Empirisme

Primat du sujet…………………..

Apriorisme

Pragmatisme et conventionnalisme

Indissociation du sujet et de l’objet…………………………………

Phénoménologie

Relativisme

* par solutions non génétiques, on entend des vérités existantes auxquelles la connaissance accède ; alors que les solutions génétiques impliquent la « construction » de la vérité.

(cette table confirme un très fort intérêt que j’ai ressenti à plusieurs reprises pour la phénoménologie. Je n’y connais rien aujourd’hui. Si quelqu’un a des bonnes références de livres pour s’y initier je suis preneur !)

On touche à la question du sujet, la différence de perception que je trouve la plus délicate en apprenant le chinois. Confucius considère la subjectivation, le fait de concevoir des idées personnelles (le 意 yi ou intention) comme l’un des péchés capitaux, avec la raideur et l’égoisme.

Ce billet est déjà trop long ; je m’arrête là et en ferai un second.

2 Réponses Leave One →
  1. apostasie permalien
    novembre 8, 2007

    Si je comprend bien le dernier tableau
    Anima / animus
    Transfiguration objet + sujet : phénoménologie / relativisme
    Abstraction sujet – objet : apriorisme / pragmatismes et conventionnalisme
    Conceptualisation objet – sujet : Réalisme / empirisme

  2. Anonyme permalien
    mai 31, 2008

    c’est vraiment plate vu la calligrafhie il y a plein d’erreur et les phrases sont mal formée mais continué faite du mauvais travail mais ce n’est pas une raison pour abandonné

    mme tibodeau

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