Abstraction suite
Le chapitre 8 s’appelle « langue silencieuse et abstraction ». Il aborde les rapports des mots aux choses : rapports d’analogie ou de signification. L’auteur refuse la qualification purement analogique de la langue chinoise classique. On retrouve ici le rejet taoiste des conventions du langage, ainsi que le courant de “rectification des noms”. (zheng ming)
Le chapitre 9 aborde les thèmes de Langue écrite, style et abstraction. L’auteur étudie l’idée selon laquelle la langue chinoise, langue écrite en particulier, serait plutôt inapte à la formulation de raisonnements et de concepts abstraits. Et elle renverse encore une fois un raisonnement qu’elle considère comme erroné : “puisque les chinois ont peu parlé de logique et d’abstraction, c’est nécessairement que leur langue ne leur permettait pas”. Pour l’auteur ce ne sont pas des limitations linguistiques, mais plutôt un simple manque d’intérêt qui justifierait cette atrophie.
L’auteur argue en premier lieu du fait que l’écrit et l’oral étaient déjà quelque peu divergents à l’époque pré-Qin ; il faudrait donc que la langue soit doublement handicappante, à l’écrit comme à l’oral.
Un long passage examine l’”être” en chinois, sujet abondamment débattu. Sans verbe “être” équivalent à celui qu’on trouve dans les langues indo-européennes (c’est à dire un être pris isolément de ce qui l’entoure), la langue chinoise priverait ses adeptes de la logique et de l’abstraction. En chinois selon Graham, on dit plutôt que dans le monde il “y a” quelquechose. On peut alors parler de “cela”. Cela empêcherait par exemple l’idée de Dieu, présente en Inde puis en Occident.
Mais, comme le montre le paradoxe du “cheval blanc n’est pas cheval”, un mot chinois peut désigner à la fois une chose contrête et un concept abstrait. Il montre aussi qu’on savait distinguer une chose d’une propriété en chinois.
Dernier point : le fait que le contexte soit si important pour interpréter la langue chinoise (je le vis tous les jours en apprenant cette langue!) a souvent été interprété comme un manque d’abstraction. Mais cette interprétation confond en réalité les notions d’abstraction et de précision.
On apprend ainsi à rejeter, avec la phénoménologie moderne (Ullmo qui montre comment la science ne s’intéresse que provisoirement à l’être, avant de revenir à la relation dont il est issu), l’opposition entre deux visions du langage : une vision constructiviste et une vision naturaliste. La langue-image du chinois est ancrée dans le contrêt, mais elle n’en est pas moins capable d’accéder à l’abstraction.
L’idée selon laquelle une langue phonétique permet de se détacher du monde sensible pour accéder à l’abstrait ; cette idée là n’a jamais été démontrée.
Jusque là j’étais facilement d’accord avec l’auteur, mais je le suis moins à la fin du chapitre, où il est question de conservatisme et de progressisme. Le chinois serait conservateur (attaché à la tradition par les caractères immuables), alors que l’occidental serait mû par un désir de changement, de progrès. Bien que je sois sensible à la réfutation de ce préjugé, je n’ai pas trouvé les arguments du livre (qui dénonce un chevauchement de plans d’analyse) convaincants.
La conclusion m’a semblé intéressante ; elle mène à l’idée que l’étude menée ne permet pas de conclure à un génie chinois, mais plutôt à une occurence chinoise du génie humain. L’auteur reconnait que la Chine pré-qin ne faisait pas de distinction établie entre le concret et l’abstrait. Mais elle conteste les assimilations qui s’ensuivent. Dire que la chine a accumulé de ce fait un retard scientifique et technologique, c’est voir en le progrès un bien (ce qui n’est pas prouvé) causé par le raisonnement abstrait (ce qui n’est pas prouvé non plus). En effet, l’ère moderne en occident voit un regain d’intérêt pour le concret. Et réciproquement la langue chinoise s’est modernisée pour devenir “déculturalisée” et ainsi propice au raisonnement scientifique. En même temps, le progrès récent nous a fait perdre une fonction narrative présente dans l’antiquité, tant en Chine qu’en occident. Le succès des blogs n’est il pas justement un retour à cette fonction narrative ?
“Le chinois serait conservateur (attaché à la tradition par les caractères immuables), alors que l’occidental serait mû par un désir de changement, de progrès. Bien que je sois sensible à la réfutation de ce préjugé, je n’ai pas trouvé les arguments du livre (qui dénonce un chevauchement de plans d’analyse) convaincants.”
je suis effectivement convaincu de ce que la chine est le lieu d’un grand progrès par l’innovation des processus en ce moment. De nombreuses personnes pensent que la chine ne fait que copier des recettes prises ailleurs ; je ne partage pas cette opinion.
Un billet tentait de mettre en lumière cette innovation des processus :
http://florent.blog.com/438465/
j’aimerais bien creuser cette question ; si quelqu’un a des références de lectures sur le thème de l’innovation en chine, je suis preneur !
Comment peut-on dire que les Chinois divisent et séparent tout ? C’est une aberration orchestré par un complot ou bien ? Non les chinois ne divisent pas, à ma connaissance ils font preuve de patience pour réunir, contrairement aux orientaux qui divisent par leur puissance. C’est une erreur incroyable qui démontre notre vision erronée au sujet de l’orient.
Les Chinois prés Qin ne faisaient pas la différence entre le sujet et l’objet, et les Grecs devaient être des dégénérés ? Dire que les Chinois n’ont pas de notion morale, c’est comme dire qu’ils sont analphabètes : une grande injustice.
Cette vision est une vision étriquée et je ne comprends pas comment un sinologue, même femme, puisse se perdre dans de telles considérations.
oui apostasie ; comme toi j’étais plutôt intrigué, pour ne pas dire réticent, devant cette analyse des lumières (je pense que tu fais référence au premier post sur ce bouquin , notamment au propos de montesquieu ? il est lui même en contradiction quand il dit que les chinois divisent tout, mais qu’ils sont incapables de différencier les lois de la morale !)
ce n’est pas vrai me semble t il; ou plus exactement les divisions sont autres que les notres. Certaines sont très fines et détaillées ; d(‘autres beaucoup plus globales qu’en occident.
la question “qui divise plus que l’autre” est trop générale me semble t il ; elle n’a pas de réponse.
mais attention la sinologue auteur du livre en question ne tombe pas dans ces travers . Au contraire elle démolit des généralités de ce type, par une analyse linguistique.