Droits et Rites en Chine
Des éléments de réponse figurent dans une conférence donnée par le grand sinologue Léon Vandermeersch , qui montre comme le rite a toujours été privilégié par rapport au droit en Chine.
(la conférence dure une heure ; voir aussi une intervention du sinologue sur la philosophie chinoise et un livre : la formation du Légisme)
Dans un premier temps, on comprend que les cérémonies religieuses de “libations” (terme à l’origine du caractère actuel pour les rites 礼(F禮)) ont très tôt perdu leur sens transcendental pour devenir des actes sociaux. Une citation de Confucius place les rites comme fondement de la société, et même des arts.
Le sinologue cite ensuite un très beau passage du chapitre 24 du mémoire sur les rites (le liji 礼经 ; 禮經 qui remonterait à la dynastie Zhou un millénaire avant JC). L’intériorisation et l’émotion personnelle de celui qui pratique les rites sont magnifiquement décrites.
Alors que notre droit en occident est basé sur l’intérêt, les rites sont les garants d’un ordre social fondé sur le respect et la face. Je suis français et j’accepte (presque toutes) les lois car elles défendent mes intérêts ; un chinois dans la tradition accepte les rites car ils défendent sa face. Autre différence notable :
On montre ensuite comme le légisme a cherché lors de la dynastie Qin à privilégier la loi pénale sur les rites (voir aussi les notes sur un livre du même auteur à ce sujet : la formation du Légisme) ; mais la dynastie Han rétablit le confucianisme et les rites jusqu’à la chute de l’empire chinois en 1911. Toutes les dynasties depuis les Han ont eu un ministère des rites et un ministère des châtiments.
L’exemple du droit du sol est développé de manière très intéressante : pas de contrats comme en occident, mais un ensemble de coutumes (qui régissent curieusement la surface du sol et les profondeurs du sol sous deux régimes de propriété). Alors que l’occident a remplacé le droit divin par le contrat social, la Chine a toujours placé la fonction commerciale en bas de l’échelle. C’est plutôt la relation du père et du fils qui fonde la société.
Il n’y a pas d’incompatibilité entre l’approche juridique et l’approche rituelle, comme le montrent les guildes marchandes des dynasties Ming et Qing.
A la chute de l’empire en 1911, le premier code de droit privé (“législation sur les affaires du peuple”) est publié et les rites tombent dans le domaine de la coutume. Les rites restent encore aujourd’hui très vivaces.
En 1949, la RPC abroge les lois précédentes sans les remplacer (à part une loi sur le mariage). En 1950 et en 1960 des tentatives de codes civil sont avortées, le droit étant qualifié d’outil bourgeois. La Chine a vécu 30 ans d’un total vide juridique (jusqu’à Deng Xiaoping en 1979). Depuis les codes divers se succèdent.
Les questions-réponses en fin de conférence restent passionnantes.
Le film Yiyi, véritable chef d’oeuvre du taiwanais Edward Yang, est une très belle illustration de cette place majeure des rites encore aujourd’hui.
Les vies de chacun se déroulent dans le cadre des rites.
Une grand mère tombe dans le coma ; tous les membres de la famille lui rendent visite et lui parle : ils lui demandent pardon, avouent leurs fautes, et sont presque en “prière” devant elle.
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