Tintin tais toi !
Nous visitions la jolie ville ancienne de Qibao 七宝, “sept trésors”, non loin de Shanghai, quand je suis tombé stupéfait sur un musée dédié à 张充仁 Zhang Chongren qui en est originaire.
Comment, vous ne connaissez pas Zhang Chongren ? Si je vous dis
La mémoire vous revient ?
Alors voilà; ce T’chang a bien existé ; c’était un ami d’Hergé. Ils se sont rencontrés à Bruxelles dans les années trente. Nous en avions parlé dans le billet sur le livre de Jean Leclerc du Sablon. Hergé voulait réaliser un album de Tintin qui se passe en Chine ; il a questionné son ami Zhang sur son pays ; et a réalisé l’album “Le lotus bleu” avec lui (Hergé voulait qu’ils le cosignent tous les deux mais Zhang n’a pas voulu).
Le personnage, que l’on retrouve dans le Lotus Bleu, mais aussi dans Tintin au Tibet et dans Les bijoux de la Castafiore (il envoie une lettre à Tintin), s’appelle Tchang Tchong-jen, ce qui correspond très exactement au personnage de 张充仁 Zhang Chongren. C’est Zhang qui a dessiné les idéogrammes chinois dans les albums de Tintin. Il a d’ailleurs subrepticement glissé son nom 张 plusieurs fois dans les banderolles, à l’insu d’Hergé…
Zhang est ensuite rentré en Chine où il a poursuivi une carrière de sculpteur.
Il revint en France en 1981 ; c’est lui qui a sculpté un bronze de François Mitterand qui a longtemps trôné au palais de l’Elysée, et qui est maintenant revenu en Chine (sans encombres ; contrairement à d’autres bronzes . Ce buste est visible au petit musée de la petite ville de Qibao. Zhang a passé la fin de sa vie entre Paris et Monaco ; il est mort en 1998.
Quel rapport avec la censure me direz vous ? J’y viens.
Voilà, il est notoire que Zhang Chongren a été maltraité pendant la révolution culturelle. Wiki nous dit qu’il est devenu balayeur dans la rue, et Jean Leclerc du Sablon explique la situation de misère et de dénuement dans laquelle il l’a trouvé au sortir de la révol-cul. Zhang a dû brûler son dernier exemplaire de Tintin et le lotus bleu pour ne pas être persécuté par les gardes rouges.
Jusque là rien de spécial.
Mais ce qui m’a horrifié, c’est le grandiloquent discours affiché dans ce petit musée de la petite ville de Qibao sur la période de la révolution culturelle. On nous expliquait que Zhang s’était “mobilisé corps et âme pour la cause révolutionnaire” et pour l’art au service des masses. On nous montrait d’hideuses statues de type stalinien montrant des ouvriers et des paysannes le corps élancé vers l’avenir.
Outré, je n’ai pas pu m’empêcher de dénoncer ces mensonges dans le livre d’or du musée, en français bien sûr, mais en signant avec mon nom chinois.
Moi j’aimais bien le personnage de Chang, et “Tintin au Tibet” est un de mes Tintin préférés, je l’ai d’ailleurs en chinois…
Il faudrait un musée dédié à Zhang Chongren en France ou en Belgique… Je suis sûre que le musée Tintin à Bruxelles sait honorer l’ami d’Hergé, et oui, c’est dommage que son pays ne reconnaisse pas ses qualités…
oui liu, dommage
mais la colère est un peu tombée pour moi maintenant. C’est un vieux reste du passé. Attendons qu’un nouveau conservateur du musée, ou maire de la ville, ou préfet de la région, plus jeune et moderne et honnête, passe devant ce panneau et il le fera enlever.
Ce panneau n’était qu’un vieux reste. Tenace, mais résiduel.