Luisa Prudentino : Le regard des ombres 3/10
Préfacé par Pierre Haski (journaliste Chine pour libé), ce livre dresse un panorama du cinéma chinois depuis la fin de la révolution culturelle.
Wu Tianming et la « cinquième génération » ressuscitent un cinéma complètement mort.
La réanimation laisse voir la fin de l’homme social (patriotique ou révolutionnaire), et le début de l’homme sentimental. Au studio de Xian sont produits, à partir de 1985, des films de réalisateurs comme Chen Kaige (terre jaune, la grande parade, le roi des enfants), Zhang Yimou (qui commence par Sorgho rouge), Tian Zhuangzhuang (le voleur de chevaux, le cerf volant bleu)…
L’auteur rentre ensuite plus en détail dans les parcours des grands cinéastes qui ont fait découvrir le septième art chinois au reste du monde.
Le grand succès de Cheng Kaige arrive en 1993 avec Adieu ma concubine. On découvre comment le thème de la trahison est retranscrit par Chen Kaige à partir de sa propre expérience pendant la révolution culturelle : « j’ai dénoncé et critiqué mon père en public. Je l’ai trahi lorsque j’avais 14 ans, mais il m’a pardonné. A l’évidence, j’ai fait un choix, celui d’être égoiste, et je ne cherche aucune excuse. Je ne me pardonnerai jamais ce que j’ai fait… »
Il m’a semblé, peut être à tort, que l’auteur Mme Prudentino projetait parfois ses idéaux de droits de l’homme et d’individualisme un peu fortement dans l’environnement chinois. «Le message du metteur en scène est clair : les institutions ont fini par étouffer l’individualisme, l’armée est ici une métaphore efficace de la société qui impose l’uniformité et écrase toute vélléité d’individualisme. ». Cette phrase me semble lourde et peu à propos, mais je connais peu la pensée de Cheng Kaige sur ses films.
Tian Zhuangzhuang, qui porte comme Chen Kaige le poids d’avoir dénoncé ses parents publiquement, tombe dans la dissidence et prend mal le virage de tian an men : le cinéma retombe alors en apathie et le contrôle central par le Bureau du film est resserré. Ce n’est qu’en 2002 qu’il pourra revenir en grâce.
Zhang Yimou pousse encore l’évolution, de l’idéologie vers le sentiment et ensuite vers le réalisme. Epouses et concubines, en 1991, est un succès mondial Puis viennent d’autres films dont on se souvient : Qiu Jiu femme chinoise, Vivre, Shanghai Triad, Keep cool…). Il finit par des films à très gros budgets : pas un de moins, mon père et ma mère. Zhang Yimou est aujourd’hui proche du gouvernement ; il tourne des spots promotionnels pour les JO de 2008 ou pour la ville de Shanghai.
L’après Tian An Men est marquée par le plus faible rôle des studios d’Etat, le début d’une production indépendante, voire underground, l’émergence des DVD pirates, qui coutent 3 à 4 fois moins cher qu’une place de cinéma en Chine, puis l’apparition du film en numérique (DV). L’auteur présente la filmographie de réalisateurs moins connus, comme Huang JianXin (dislocation, le certificat de mariage) ou Ning Ying (des paysages urbains pour des films proches du documentaire : jouer pour le plaisir, ronde de flics à pékin) , puis d’une jeune génération à contre-courant de la cinquième génération : Jia ZhangKe (Xiao Wu, artisan pickpocket), Wang XiaoShuai (Frozen, Beijing Bicycle), Zhang Yuan (maman, les bâtards de pékin, la place, seventeen years, thé vert). J’ai vu thé vert, une belle histoire d’amour contemporaine ; et j’étais très surpris d’apprendre dans le livre que ce film n’avait été présenté à aucun festival international !
Une longue interview de Jia Zhang Ke par l’auteur est retranscrite
Le contexte du cinéma en chine est à la fois sinistré par désertion des salles au profit des DVD pirates américains, et prometteur par la culture cinématographique plus étendue et les conditions de création qui s’améliorent.
IL est aussi rapidement fait mention de Dai Sijie, Zhang Yang (dont je recommande le très beau film Shower) Lou Ye (dont j’ai apprécié Suzhou River) et de Feng Gaoxiang
Bref, un livre qui fait un bon panorama mais que je ne trouve pas si intéressant, dans un style peu élégant de mon point de vue. Les projections de l’auteur sur l’émergence d’un individualisme moderne chinois ne sonnent pas juste à mes oreilles.
Je finis donc par conseiller un site sur le cinéma chinois, assez complet : Sinocine.com
Le cinéma se dit “ombre électrique” en chinois, en référence aux anciens théatres d’ombres chinoises.
Bonjour,
Je trouve votre note très sèche envers ce livre. Pour avoir rencontré l’auteur, son but était de faire un livre le plus pédagogique possible. Et le pari est tout à fait réussit. Je vous prends au défi de lire un livre de Regis Bergeron sur le cinéma chinois sans prendre une aspirine ou une bonne pasue café (les livres de Bergeron sont excellents mais très dense)
Mais que ça soit en bien ou en mal c’est déja bien de parler de ce bouquin et je respecte votre avis.
@++ et bon courage pour la suite ! :=)
je vous reprends:
“Bref, un livre qui fait un bon panorama mais que je ne trouve pas si intéressant, dans un style peu élégant de mon point de vue. Les projections de l’auteur sur l’émergence d’un individualisme moderne chinois ne sonnent pas juste à mes oreilles.”
Pour votre premier point de vue, je crois que l’essentiel est de se faire comprendre du plus grand monde, et sur un sujet aussi difficile d’immersion que le cinéma chinois, l’heure n’était pas à faire de belles phrases littéraires.
Pour le deuxième point de vue, l’emergence d’un individualisme moderne est une évidence depuis la politique de l’enfant unique. Pour être régulièrement en Chine et voir notamment comment se déroulent les rapports sociaux dans le sacro saint familial, les enfants se comportent en enfants sacrés (il est portégé par toute la famille) et il suffit que la famille voisine offre un jouet à son enfant et que l’autre ne l’a pas, pour assister à une de jalousie. Cet exemple donne une idée du comportement urbain (car en campagne la politique de l’enfant unique n’est pas de mise) où le coocooning des enfants les individualisent, les poussent à rationner leur désir de manière individuelle, et où la fraternité recule (bon soyons sincères, c’est encore loin de ce qu’il se passe ici en France, mais dans les relations professionnelles entre même classe on assiste à ce type de comportement)
tiens étrange que mon post commence par la fin et que des mots manquent à l’appel,
oui, votre commentaire remet bien les choses en place ; merci.
je critiquais dans ce livre une projection qui me semblait primaire sur l’individualisme en chine , vous en parlez de manière claire, vécue et illustrée. Merci.
ps : jene sais pas pourquoi votre post a été inversé et tronqué ; avez vous écrit chinois ? C’est la première fois que quelqu’un signale ce genre d’erreur.
je ne sais pas pourquoi, il y a eu un temps d’attente intermidable et lorsque le post s’est affiché, il était en dessus dessous
Rien de grave.
Bonne suite pour votre blog.
En passant regardez sur mon site, vous pourrez lire un entretien avec luisa prudentino
A ++
Je découvre votre article sur le tard… en tout cas, merci pour le commentaire sur SinoCiné