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Jean Leclerc du Sablon : L’empire de la poudre aux yeux 2/10

2006 juillet 28
Posted by florent
Je me méfie des livres écrits par des journalistes, sauf quand ils ont vraiment beaucoup de bouteille (voir le livre de Robert Guillain)
 

Quand un journaliste écrit pour le Figaro, j’ai encore plus de raisons de m’en méfier (je ne lis plus ce journal depuis le temps ou je l’avais gratuitement en école de commerce, tous les jours). Bref, je ne sais pas bien pourquoi j’ai commencé ce livre de monsieur Leclerc du Sablon. Peut être pour me replonger dans le bon vieil anti-communisme de mon enfance ?

Les premiers chapitres sont assez ennuyeux à mes yeux, du genre « j’étais là bas en 1971, vous n’imaginez pas ! ». A partir du chapitre 7, cela devient plus intéressant lorsque l’auteur raconte des voyages hors de Pékin : Hunan, Shaanxi, Yanan, Sichuan, Shanghai, et des visites de villes étonnantes comme Chuandixia, Pingyao, Suzhou.

Le livre cherche à dénoncer une gigantesque manipulation, dans des proportions inimaginables. La thèse du chapitre 14, selon laquelle la plupart des soldats en terre cuite de Xian seraient des faux commandés par le parti communiste, m’a semblé irréaliste. La page 209 mentionne que boire de l’eau chaude est une « coutume générale dans les campagnes, où les feuilles de thé restent un petit luxe. » C’est inexact selon moi, car je bois encore aujourd’hui de l’eau chaude dans les bureaux d’entreprises luxueuses à Hong Kong ou à Taiwan. C’est une tradition chinoise et c’est tout, même si elle nous paraît très bizarre.


Mais bon, il y a quand même quelques passages dignes d’intérêt :

Au chapitre 4, ces dernières paroles de Mao à son infirmière, étonnamment empreintes de taoisme : « je vois bien que tu as peur de la mort, que tu ne veux pas en parler , mais comment peux tu dire que je ne suis pas heureux ? C’est vrai, cette fête doit être un jour de bonheur, mais je dois parler de la vérité. Dans ce monde naissance et décès se succèdent, c’est la loi de la nature »

Page 133 l’interview avec Mou Qizhong, capitaliste communiste et nationaliste qui rêve de « former une génération d’entrepreneurs confucéens »

Page 117 le décryptage des dénonciations de la presse, qui prennent souvent des voies biaisées pour faire leur critique : ici c’est la célèbre histoire de 屈原Qu Yuan qui est citée par jeunesse de Pékin pour remettre en cause la thèse officielle du suicide de Wang Baosen, vice maire de Pékin.

Page 109 une belle image de la fascination des chinois pour la modernité dont ils étaient encore privés dans les années soixante dix, « quand le confort se résumait à la possession des trois choses qui tournent : la bicyclette, la montre et la machine à coudre »

Page 105 une scène de rue amusante : « boudinée dans son uniforme de toile, la conductrice du trolley de la ligne 103, visage rond de madone prolétaire, abandonne posément son volant, le véhicule et ses passagers, au beau milieu de la chaussée, pour aller faire quelques achats dans les échoppes qui persistent à tenir commerce sur le trottoir, face à la marée modernisatrice . Elle se procure deux ou trois douzaines de raviolis pour le dîner, une petite laine rose pour bébé, et, après une longue réflexion, un corsage à col et dentelle pour madame. »

Page 175 l’entretien avec le peintre Jin Zhilin qui raconte le surréalisme de la révolution culturelle

Page 186 le récit amusant d’un village dans lequel des paysans analphabètes vont se servir dans un stock d’exemplaires du « petit livre rouge » pour … se rouler des cigarettes. C’était en … 1988 !

Le passage le plus intéressant pour moi a été page 262, la rencontre avec le Zhang qui a servi de modèle à Hergé pour écrire Tintin et le lotus bleu. On se rend compte que toutes les thèses de la bédé (réhabilitation des chinois comme n’étant pas des monstres ; attaques contre le Japon…) ont en fait été dictées à Hergé par cet intellectuel chinois qui étudiait les beaux arts à Bruxelles (Hergé n’a jamais été en Chine). Je n’en dis pas plus pour que le lecteur puisse le découvrir dans le livre.

8 Réponses Leave One →
  1. juillet 29, 2006

    je suis comme toi très “réservée” (et c’est un euphémisme) à l’égard des journalistes.
    pourtant je recommande les ouvrages d’un vrai excellent journaliste :
    “La Chine en Folie” (Picquier) et “La Crêperie de Pékin” (recueil de nouvelles aux Ed. de l’Aube), de Philippe Massonnet.

  2. juillet 29, 2006

    la chine en folie… j’ai déjà entendu parler mais ne l’ai jamais lu. C’est d’Albert Londres, c’est cela ?
    Merci pour les références porte plume!

  3. juillet 30, 2006

    Oui, il y a “La Chine en Folie” d’Albert Londres, et puis il y a “La Chine en Folie” de Philippe Massonnet, aux Editions Picquier. Et du même auteur, aux Ed. de l’Aube, “La Crêperie de Pékin”.
    Cours vite chez ton libraire préféré les commander ;-)

  4. mongka permalien
    octobre 1, 2006

    2/10 : vous êtes dur. Le titre était pourtant clair. C’est une thèse, certes mais on peut difficilement nier que ses 30 ans de présence en Chine l’aient fortement impressionnés ; c’est ce qu’il raconte.
    Son ouvrage n’a pas le même objet que ceux des Cheng, Leys, Vandermeersch…ou de l’institut Ricci.
    Bon, et c’est 2 points de moins qu’Orsenna.

  5. octobre 2, 2006

    Ce livre n’est à mes yeux pas intéressant à lire. on a l’impression que l’auteur a perdu 30 ans en chine.

    C’est sur que l’auteur n’est pas sinologue, son livre n’est effectivement pas à comparer avec du Leys ou des publications de l’EFEO.

    Tout de même, n’est ce pas étonnant que l’auteur parle si peu chinois après tout ce temps passé ? Qu’il y ait si peu de références à la somptueuse littérature chinoise, à sa mythologie, à sa vision du monde ?
    Juste la critique d’un système, qui ne m’a pas passionné.

    En comparaison, le bouquin d’Orsenna, même s’il est rapide ou pire erroné sur son chapitre Chine, présente quand même un beau périple à travers la mondialisation ; ce livre est animé par quelquechose, non ?

    Dans un livre, je recherche une forme de passion ; vécue positivement, pas vous ?

    De même, les cygnes sauvages de Jung Chang (voir http://florent.blog.com/444018/) m’a décu car je n’ai pas senti l’auteur animée par la passion. Elle écrit de manière désabusée, parfois haineuse. Je crois que sa monumentale biographie de Mao Zedong est mieux.

  6. mongka permalien
    octobre 3, 2006

    Je comprends votre point de vue. J’ai eu le même sentiment à la première lecture et mon empathie n’y trouvait pas son bol. Cependant, je l’ai ressorti après relecture de Leys et diverses interventions de Viénet (et la lecture, en cours de la bio de Mao de C & H) et y ai trouvé plus. Il faut sans doute lire son livre en creux…peut-être comme celui de Chang “les Cygnes Sauvages” – que je n’ai pas lu.
    En gros, la déception de Leclerc se lit à chaque page : c’est déprimant. Mais était-il dans le faux ? Je ne peux pas trancher. Mais la seule lecture de son “Empire…” fausserait certainement la perception de la Chine d’un béotien. Vous n’en n’êtes plus là, mais les controverses sur Mao en Occident témoignent de l’actualité de son livre, même s’il est loin d’être parfait.
    Pour finir (je suis bavard) : sa photographie n’est pas précise, mais les couleurs de l’époque son peut-être justes : il est journaliste et pas sinologue.
    Et c’est pour cette raison que je suis intervenu sur ce fil. Et son livre dans votre bibliographie détonnait un peu.

    PS : pour Orsenna, c’est un joke : j’ai vu le reportage réalisé pour Arte : il méritait 2/10. Voilà le rapport. Pour vous, 30 ans en Chine transcendent l’acualité -et c’est vrai.Mais le monde du coton ne mérite pas résumé et “désinformation”. J’aurais inversé les notes !

    PPS : si l’on met son mail, est-il diffusé et spammé?

  7. octobre 4, 2006

    :-) ))

    merci pour le point, je le prends tel quel

    ok, le journaliste présente un point de vue journalistique, à considérer différemment de ceux des sinologues. il est grincant mais sur un sujet encore grincant aujourd’hui : la gestion de l’apparence et de l’image en chine.

    ce que je reproche à l’auteur, c’est son incapacité à poser un regard neuf et détendu sur son objet. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire !

    je n’ai pas vu le reportage sur arte ; mais je vous crois bien volontiers. c’est vrai que le livre de monsieur Orsenna est quand même un surf stratosphérique, à la vitesse de la lumière, sur ce qu’est la mondialisation !

    pps : non, on n’est pas spammé (a ma connaissance) si on met son mail. Mais avez vous un blog ou autre endroit d’expression ? J’y ferais bien un tour

  8. Wanle permalien
    décembre 9, 2006

    la Chine est un pays fascinant et les Chinois sont un peuple tout aussi fascinant, je n’ ai pas lu le livre ci dessus mais le titre est tres conforme à la réalité de la Chine d’ aujourd’ hui , vraiment trés conforme.

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