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Culture

2006 novembre 12
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Posted by florent

Tiens, aujourd’hui, pour changer je vais poser une question :

 La culture déforme-t-elle l’homme ?

 

C’est une question qu’une belle soeur Wink a eu en dissertation, en Khâgne.

Beau sujet, non ?

Alors a vos claviers : trois lignes ou trois pages, comme vous voulez !

16 Réponses Leave One →
  1. novembre 14, 2006

    En trois mots : oui et non.
    (Juste pour détendre un peu l’atmosphère avant la joute argumentaire).

  2. novembre 20, 2006

    Pour animer un peu le débat, je poste ici des commentaires de forumers à qui j’avais posé la même question sur le chinatown.com (merci à eux ; et merci olive pour cette réponse lapidaire mais certainement très juste ;-)

    DOU19
    —–

    Ou plutôt “formé” par la culture ?

    Prenons l’enfant-loup (enfant abandonné bébé et élevé par une louve)
    devient-il un homme ?

    Quelle est la part de l’éducation (la culture)
    et la part de l’inné (ce qu’on a en naissant)
    dans la formation (ou la déformation) d’un homme ?
    (et “parlant d’homme, j’embrasse la femme”)

    FLORENT
    ——-

    c’est sur que la culture nous aide à nous former, développe notre comportement et nos connaissances

    mais cela dit, toi le féru de taoisme, ne penses tu pas que lorsqu’elle nous apprend des civilités qui brident notre spontanéité, ou des connaissances qui encombrent notre mémoire, elle nous déforme et nous éloigne de notre vraie nature (pas besoin d’être taoiste d’ailleurs pour penser cela ; un peu de rousseauisme suffit)

    connais tu le passage du zhuangzi ou un artisan provoque un prince en lui disant que les vieux livres qu’il lit ne lui servent de rien ? le prince le menace de mort s’il n’arrive pas à étayer son affirmation. L’artisan démontre que les livres classiques dans lesquels le prince se plonge sont morts ; ils n’apportent rien pour vivre. L’artisan a la vie sauve.

    DOU19
    —–

    Mais la formation au métier d’artisan, et la capacité à s’opposer au prince et à argumenter sur la valeur des classiques, sont-elles étrangères à la culture ?

    Il peut y avoir une culture des livres morts et une culture de la vie ; il peut aussi y avoir une culture de savoir faire revivre des livres morts.

    Pour faire revivre Zhuangzi et les poissons, comment l’artisan peut-il savoir que les classiques sont morts puisqu’il ne les a pas lus ? En fait il n’a pas démontré la mort des classiques (heureusement), mais seulement manifesté une capacité d’argumentation que le prince a saluée en lui laissant la vie sauve : il ne s’agit donc pas d’une victoire de l’inculture sur la culture, mais d’un débat raffiné interne à la culture (ou entre deux formes de culture).

    Quoi qu’il en soit,
    quelle différence peut-il bien y avoir entre former et déformer ?
    Seulement une appréciation sur ce qu’est la “bonne” forme
    (appréciation forcément subjective, donc elle-même résultat d’une certaine culture).

    ROGERMOOR
    ———

    Voila . Tout est dit .
    Mais pour pour resumer comme il y a un changement dans tous les cas , on peut repondre oui a la question .

    FLORENT
    ——-

    tout est dit ? pas si sur

    je comprends du post de dou que certaines formes de culture forment l’homme au sens positif (c’est le cas de l’artisan et de son métier), et que d’autres le déforment sans rejaillir sur sa vie (c’est le cas du prince qui lisait ses bouquins, avant qu’il ne comprenne l’explication de l’artisan). Il y a culture et culture.

    comment distinguer celle qui forme et celle qui déforme ?

    par exemple sur la politesse, qu’est ce qui fait qu’un usage visant à conserver l’harmonie entre tous (donc une forme de culture) vient oppresser la liberté d’un homme, son aspiration naturelle ?
    pourquoi est ce que certaines moeurs nous choquent ? (par exemple “les femmes restent à la maison, ne sortent pas de chez elles”) ,
    Pourquoi le citoyen doit il renoncer à rechercher la vérité quand un article de la constitution, qui est aussi un produit de la culture, dit qu’on ne porte pas de tchador à l’école, un point c’est tout ?

    La culture n’est elle pas parfois un obstacle au vrai, au spontané, à la vie même ?
    Ne se sent on jamais prisonnier de sa culture ?

    ce qu’on voit dans l’émile de rousseau : “j’ai écrit ce livre pour lui apprendre le métier de la vie”. Ce n’est pas un métier, c’est la vie.

    Former et déformer, ce n’est pas la même chose me semble t il :

    D’après le littré :
    Former =
    Donner l’être et la forme. Dieu a formé l’homme à son image.
    Il se dit de la production des êtres vivants les uns par les autres.
    Donner une certaine forme, une certaine figure. Le potier forme des vases. Former un triangle. Bien former ses lettres en écrivant.
    Terme de mathématique. Trois droites qui se coupent deux à deux forment un triangle.
    Terme d’horticulture. Former les arbres, les façonner, leur donner une bonne forme, soit en buisson, soit en espalier.
    Terme de grammaire. Composer des mots, les modifier par le changement des désinences. Former les temps d’un verbe.
    Former un siége, commencer le siége d’une place, commencer à ouvrir la tranchée. Le général a investi la place, mais il n’a pas encore formé le siége.
    Produire, donner naissance à, avec un nom de personne pour sujet.
    Constituer, composer. Les qualités et les défauts qui forment le caractère français.
    Faire entendre. Former des sons.
    Proposer, exposer ce qu’on a conçu, le mettre en avant. Former une objection. Former opposition. Former des objections, une difficulté.
    Organiser, instituer, établir. Former et conduire un parti. Former un régiment, une société, un établissement. Former une république, une monarchie.
    Concevoir, en parlant d’idées, de projets, de sentiments.
    Former une entreprise, la concevoir et travailler à l’exécuter.
    Faire contracter, par une certaine éducation, de l’habileté, des habitudes, des manières, des moeurs.
    Régler sur un certain modèle.
    Se former, former à soi-même.
    Se former, v. réfl. Prendre forme.
    Être produit, recevoir naissance, en parlant des personnes.
    Être conçu dans l’esprit.
    Apparaître, surgir.
    S’accomplir.
    Terme de guerre. Se disposer, s’arranger. Le régiment se forma en bataille.
    Être dressé, élevé, instruit.
    Se dit des choses dont la forme devient plus parfaite, plus prononcée. Sa taille se forme.
    Devenir plus habile, prendre de meilleures manières, etc.

    Déformer =
    Altérer la forme. Un corset déforme la taille.
    Déformer un chapeau, des souliers.

    DOU19
    —–
    Un chapeau, des souliers, ont une forme de fabrication ; est-elle idéale ?
    Non, car la déformation d’un chapau, de souliers, est parfois nécessaire pour s’adapter à la forme de la tête, à la sensiblitié des pieds.

    La forme de fabrication de l’homme est-elle idéale ?
    Non, car chez l’homme le nouveau-né est inachevé, et nécessite protection et éducation (au delà de l’inné).

    Qu’est-ce qui prouve que la culture érotique occidentale est supérieure à la culture sexiste du tchador ?
    C’est une affirmation fondée sur des options culturelles collectives différentes de part et d’autre.
    D’ailleurs Bush et Benladen ont le même vocabulaire pour désigner l’autre partie de l’humanité (“axe du mal”).

    Donc conclusion :

    OUI, la culture forme et déforme l’homme, nécessairement, et selon le point de vue adopté cette formation ou déformation est positive et négative.

    Et pour rebondir en bon lechinatownien :

    Le YIN déforme-t-il le YANG ?
    (puisque, comme chacun sait ici, il y a du Yin dans le Yang)

    FLORENT
    ——-

    wow quel recul ! impressionant.

    effectivement la question se pose peut être moins dans la culture chinoise (la question serait alors qui est déformé ), car l’attachement à la forme est issu de notre héritage grec (voir francois julien “procès ou création”). En occident nous avons séparé très tôt, et de manière très structurante, forme et substance. Un carré et la couleur orange. Une bille de verre et un cube de bois.

    Ces deux concepts restent liés en chinois, non ?

  3. décembre 5, 2006

    Ce constat me saute a la gueule quand je vois, a hong kong, ce que l’absence de culture rend au final dans la vie de tous les jours.

    j’en parle un peu ici:
    http://my.opera.com/pfelelep/blog/show.dml/236499
    mais je suis enerve, alors c’est a prendre avec des pincettes.

    et tant pis si je ne disserte pas sur le fond et la forme…

  4. wanle permalien
    décembre 6, 2006

    Concernant cette question , je me sens trés proche de Confucius et de son 礼乐 les rites et la musique, en Chinois la résonnance de ces deux caractères peut avoir une connotation trés profonde , il ne faut pas s’ arrêter à la surface du mot , ou à sa traduction qui renvoie à deux notions trés generale, les rites dans la pensée de Confucius sans que nous rentrions dans les details des prescriptions des rites chinois ancestraux, renvoie avant tout aux notions de respect, de civilité, cela renvoie à une haute vision, noble, moral, vertueuse, du comportement social de l’ être humain, à travers les échanges humains et les relations humaines Confucius perçoit en l” homme une faculté de se comporter avec elegance et bienveillance, c’ est ce qu’ il nomme le 仁 qui est une notion qui renvoie à la faculté humaine d’ être bon , ravi de l’ excellence de cette faculté humaine et qu’ il considère comme inherente à la nature humaine, il faut que l’ homme la cultive , selon lui les arts traditionnels du vivant de Confucius la peinture, la calligraphie, les sciences, la musique, le sport, sont à la fois des manifestations et des expressions de cette nature humaine et l’ étude, l’ application à l’ étude de ces arts nobles forment et travaillent au developpement de la conscience morale,sociale,de l’ individu c’ est pourquoi il y a le caractère 乐(musique) qui englobe toutes les activités artistiques traditionelles.
    Selon Confucius l’ art humain doit avoir la capacité de fair ressurgir et de développer le 仁 humanisme sinon il n’ est pas un art mais une forme décadente.
    C’ est pourquoi selon Confucius l’ art englobe les notions d’ harmonie, d’ application, de joie naturelle , à travers l’ étude assidu de la calligraphie, du pipa, erhu, on se civilise , on ne se cultive pas seulement exterieurement en possedant une technicité dans un domaine ou dans un autre mais on développe et on fait vivre, résonner la vie interieure de l’ individu avec sa dimension bienveillante et noble.
    C’ est sur le terreau d’ une civilisaton Chinoise déja trés riche que Confucius fait un condensé de ce qu’ il perçoit comme digne de transmission dans la culture humaine qu’ il observe, c’ est pourquoi il dit qu’ il ne fait qu’ observer et recenser ce qui participe à la civilisation, il n’ en est pas l’ inventeur , il s’ inscrit comme un heritier et ouvre pourtant une porte immense de répéres moraux pour l’ humanité et pour la civilisation Chinoise, la civilisation en Chinois se dit 文明 … la aussi il y a un sens trés profond…

  5. décembre 6, 2006

    Merci wanle, ton analyse est passionnante.
    En particulier deux différences m’apparaissent dans ton billet par rapport à la facon dont nous occidentaux distinguons l’inné et l’acquis.

    D’abord le ren 仁 confucéen, dont tu parles très joliment, et qui est à la fois inné et acquis ; c’est une forme de la nature humaine qui se développe par les arts, donc par la culture.

    Ensuite et surtout, ton dernier paragraphe pour dire que la culture est elle même recue collectivement. Elle vient du fond des âges, et elle coule vers l’éternité. Je me souviens d’un grand panneau dans une ville chinoise, qui disait “la civilisation chinoise coule comme un fleuve long et puissant”. Etonnante métaphore pour nous !

    Ces images de la civilisation chinoise me semblent à la fois uniques (par leur force et leur prégnance), et apaisantes par rapport à la question de la culture. Quand Rousseau écrit l’émile ; il n’est pas habité me semble t il par un respect quasiment religieux pour la culture qui l’a formée. Il entre un peu dans une opposition frontale des deux, qui n’apparait pas du tout dans la vision confucéenne, vision qui donne une articulation cohérente entre les deux.

    un grand merci wanle !

  6. décembre 7, 2006

    ha ha ! je me disais bien que ça me rappelait l’hyphokhâgne, ce sujet ! je comprends mieux maintenant ! ;-) )

  7. Guyma permalien
    décembre 7, 2006

    L’homme est un animal malade du langage. La culture, sous toutes ces formes, lui permet de l’être un peu moins. Malade. Allez, allez! Florent, ton beau blog verra-t’il renaître le débat: culture et civilisation est-ce ou n’est-ce pas la même chose? Parlons d’une culture mathématique!

  8. décembre 7, 2006

    Plutôt 3 lignes que 3 pages, car le débat en mériterait 300 : “la culture finit par rendre un peu plus intelligent, puisqu’elle fait découvrir que la réalité s’analyse sous de multiples angles, mettant ainsi à terre la pensée unique.”

    Donc je vote : “elle déforme”.

  9. wanle permalien
    décembre 8, 2006

    Concernant les arts et la Culture traditionelle chinoise, on peut être émerveillé de la culture chinoise par son abondance, sa finesse, sa poésie , son rapport constant à la nature dont les arts chinois ne sont que des extensions.
    La culture chinoise cherche à saisir l’ essence des choses plus qu’ à les exprimer clairement en terme de forme, c’ est trés visible dans la peinture et dans les autres arts chinois , une peinture chinoise cherche à saisir l’ état d’ esprit des choses et des êtres plutot que de les peindre de façon trés réaliste, il y la notion de
    境界 (état d’ esprit) .
    Dans une peinture de paysage , c’est un monde à part entière qui est exprimé dans une peinture chinoise même s’ il s’ agit d’ une seul fleur peinte, c’ est le monde et l’ esprit de la fleur qui sont peintes plus encore que sa forme. On retrouve cette tendance dans tout les arts chinois, calligraphie, musique, poésie… cela demande une application et une interiorisation proche de la meditation de la part de l’ artiste, et ces preceptes de bases de l’ art chinois ont toujours été enseignés ainsi dans cette démarche personnelle ou l’ artiste doit atteindre lui même un état d’ esprit qui lui permette de ressentir l’ essence des choses, et la intervient une friction entre l’ artiste étudiant qui s’ applique à l’ art et la nature de l’ esprit qu’ il cherche à saisir et retranscrire dans son oeuvre. Il y a un échange qui s’ opére de façon magique entre l’ artiste et l’esprit du paysage qu’ il cherche à saisir. c’ est une vision chinoise de l’ art que je trouve particulièrement intéressante et belle. ( on retrouve ça aussi dans les arts occidentaux mais sous d’ autres formes)

  10. wanle permalien
    décembre 17, 2006

    on peut comprendre le mot culture de mille et une manière, chacun peut interpreter les choses de son propre point de vue, on peut perdre le sens des mots et en oublier leur profondeur, on peut aussi manipuler les mots, ou les rendre vide de sens.
    L ‘ écriture chinoise a longtemps été consideré en Chine comme magique ( bien plus qu’ en Occident) cela est du essentiellement au fait que les caractères chinois sont porteurs de sens et ne sont pas seulement des repères sonores , c’ est pourquoi on offre en Chine dans de nombreuses occasions des caractères, cela peut être des proverbes ou des voeux aux connotations diverses selon l’ intention et l’ occasion, on peut les coller devant sa maison en signe de bon augure ou dans d’ autres endroits.
    Le mot culture en Chinois est composé de deux caractères 文 et 化 ” 文化 ” , une autre caractéristique des caractères chinois est qu’ ils ne sont pas facilement traduisibles comme un esprit “cartesien” voudrait les étiquetter et être enfin rassuré d’ avoir “compris” grace à sa ” raison” car les caractères chinois font références le plus souvent à des notions qui englobent des choses trés vastes , ils sont des formes supports des phénomènes universels, humains et naturels, ils ont une existence indépendante car s’ ils sont systématisés dans des expressions de la langue humaine , leur connotation renvoie à une multitude de choses et peut prendre une infinité de formes, c’ est pourquoi on ne peut pas et ne doit pas mettre un caractère chinois dans une bouteille. Leurs utilisation et le développement de l’ écriture en Chine est apparu avec des “sorciers” ou ” chamanes” qui pratiquaient la divination , au cours de son développement l’ écriture chinoise a toujours conservé cette affinité divinatoire de capter et de formuler le monde des dix mille formes et des dix mille phénomènes de la vie et de l’ univers, c’est pourquoi dans le Yijing( livre de science divinatoire chinois appelé aussi le livre des mutations), des configurations divinatoires doivent être expliqués en concordance avec des caractères chinois précis.
    文 que l’ on peut traduire par la ” lettre ” est un caractère qui renvoie à la notion d’ écriture , c’ est le sens premier mais il porte en lui aussi la notion de ” ensemble des formes d’ expressions du langage humain et des arts ” , 化 est un caractère encore plus difficile à traduire pour l’ esprit coincé dans la raison ” cartesienne ” car il renvoie à la notion de ” transformation ” , de ” potentialité multiple” voir même de ” potentialité infini” aussi le mot 文化 se traduit en français par ” culture ” mais peut être aussi traduit du chinois en français comme “formes variés des moyens humains d’ exprimer les choses de la vie et de l’ univers “… !!
    La “Culture” ayant pour origine la capacité et le besoin inné de l’ Homme de décrire, d’ exprimer, de manifester son observation et son experience d’ une grande varieté des phenomènes, des états et des formes de sa vie au sein de l’ univers(univers naturel, familiale,sociale…), cette richesse culturelle débouche sur la “Civilisation” ” 文明 ” qui est composé du caractère 文 de l’ écriture ou de la lettre comme dans le mot culture et du caractère 明 qui est la notion de lumière et de clarté, aussi le mot culture en Chinois 文化 nous invite à pratiquer et à integrer des formes d’ expressions multiples pour ouvrir notre sagesse de la vie jusqu’ à en être éclairé et être 文明 ” civilisé “….

  11. Florent permalien
    décembre 17, 2006

    Tu parles du langage, un prisme essentiel pour aborder la question “la culture déforme t elle l’homme?” ;

    merci wanle ; ton expression est juste et naturelle à mes yeux ; D’ailleurs elle rejoint beaucoup un billet ultérieur sur l’origine de l’écriture (http://florent.blog.com/1344010/) ; qui se demandait pourquoi la chine était la seule grande civilisation à garder une écriture idéo-phonographique ; alors que tous les autres ont abandonné le caractère idéographique pour conserver un écrit purement limité à du son. Plus personne ne dessine le monde ; tous écrivent la parole. Tu donnes dans ton commentaire des éléments de réponse à cet attachement chinois pour une écriture chargée de sens.

    Il me semble entendre ceci dans ton propos (dis moi si je me trompe ) :

    A la différence des langues occidentales ; le chinois reste connecté à ses origines magiques et divinatoires. Chaque caractère est ainsi chargé d’un sens très large ; évolutif selon les circonstances de son utilisation (un caractère chinois est rarement utilisé seul, mais au moins en binôme). Alors qu’en occident nous avons resserré le sens des mots dans un système précis, voire enfermant par sa logique ; le mot chinois reste marqué par un monde de possibles.

    Suggèrerais tu ainsi que la langue déforme l’homme, dans la mesure où elle le contraint à se limiter aux territoires des mots; mais que cette déformation est beaucoup plus marquée en occident qu’en orient, par l’aspect rigoureux de notre langue opposé à l’aspect vague et contextuel de la langue chinoise ?

    Pourrait on alors poursuivre en parlant de la poésie ; dont on peut dire qu’elle est effort pour trouver des associations de mots nouvelles ; créatrices ; qui donnent une perception du monde que les mots “usuels” ou “usuellement regroupés” nous empêchent d’exprimer ? La poésie serait ce qui nous donne accès à des perceptions intuitives, personnelles, naturelles, que la culture n’exprime pas ou même réprouve ?

    Même s’il est délicat, je te suivrai sur ce chemin, et il me semble qu’un certain nombre de poètes se sont exprimés en ce sens !

    On peut bien évidemment opposer que la langue francaise n’est pas forcément plus précise que la langue chinoise (voir un rudiment de réflexion tâtonnante sur l’exemple wo zhaobudao : 我找不到 : http://florent.blog.com/468956/) ;

    On peut surtout opposer que les mots ne sont pas un carcan dont on aurait à se libérer, mais au contraire un outil pour construire graduellement du sens et exprimer des perceptions de plus en plus fines ; qui s’alimentent des mots eux mêmes. “Mon livre m’a fait autant que je l’ai fait”, dit Montaigne si je me souviens bien. On retrouve là la phrase “l’homme est culture” de porte-plume; phrase un peu lapidaire dans le sens où elle évacue la question de notre nature.

    Mais je finis par un exemple précis pour te donner raison wanle, sur l’aspect sclérosant de la logique exclusive (de Descartes ; opposée à une logique du tiers inclus) : c’est la manière dont les chinois arrivent à appréhender des contraires.

    Pour moi il y a déformation de l’homme par la culture quand l’on pense qu’une situation est noire ou blanche, bonne ou mauvaise, mais pas les deux. Je n’arrive pas, avec ma culture francaise, à appréhender des contraires. Voilà une déformation de ma culture, car les contraires existent partout autour de moi ; seulement mon raisonnement doit l’emporter sur eux ; je dois être capable de dire si c’est bien ou mal. N’y aurait il pas là une arrogance de l’homme cultivé ; qui s’estime capable de tout comprendre et de tout juger ? Ou sont la perception et l’observation (qualités naturelles) dans l’esprit de quelqu’un qui se contraint, par devoir social ou moral, à trancher face à une situation paradoxale ?

    Pourtant la langue chinoise permet avec beaucoup plus de facilité d’associer des contraires, dans une forme appelée “oxymoron”. Voir par exemple le terme de “feu rouge” : on dit en chinois 红绿’灯 un feu rouge vert (http://florent.blog.com/466206/) ; voir ausi l’expression : un cheval blanc n’est pas un cheval, qui est un vieux sophisme chinois dont dou a fait sa devise (http://florent.blog.com/469037/), sophisme qui montre, dans une analyse d’Anne Cheng que je partage, comment le resserrement des mots vers plus de précision nous éloigne de la nature des choses. En disant que le cheval est blanc, je le dénature.

    Oui la culture nous déforme. Le paradoxe, c’est que notre “remise en forme” passe elle aussi, dans mon expérience en tous cas, par la culture

  12. domanlai permalien
    décembre 17, 2006

    C’est peut-être intéressant de partir d’un point de vue chinois. Même si une définition de wikip&dia n’est pas censée représentér tous les chinois, je trouve que la définition de la culture en chinois appliquée au contexte d ela langue chinoise est intéressante.

    Une autre chose qui serait surement intéressante est de connaître l’histoire de l’usage du terme 文化 en Chine. Je ne sais ps si c’est si ancien que cela (dans le contexte de pensée philosophique).

    文化在汉语中实际是“人文教化”的简称。前提是有“人”才有文化,意即文化是讨论人类社会的专属语;“文”是基础和工具,包括语言和/或文字;“教化”是这个词的真正重心所在:作为名词的“教化”是人群精神活动和物质活动的共同规范(同时这一规范在精神活动和物质活动的对象化成果中得到体现),作为动词的“教化”是共同规范产生、传承、传播及得到认同的过程和手段。

    je retiens les points suivants :
    - 文化 est la contraction de 人文教化
    - il n’y a de culture que s’il y a l’homme (人)
    - 文 est le concept de base et l’outil
    - 教化 => activités spirituelle et matérielle humaines (sens de concrétisation à partir d’un processus)

    文化的核心是其符号系统,如文字。各文字体系有相应的认知心理。
    le coeur de la culture est son système de représentation symbolique / expression (se referer au chinois car ma trad n’est pas très bonne là …), tels que les caractères d’écriture. Chaque système d’écriture correspond à une psychologie cognitive.

  13. décembre 17, 2006

    “Chaque système d’écriture correspond à une psychologie cognitive.”

    oui ; tout à fait d’accord ; et donc la culture déforme l’homme et aussi , d’une certaine manière ; l’apprentissage d’une autre culture reforme l’homme. Même si c’est vain, car certaines des déformations sont profondes et inamovibles, c’est ce que j’essaie de vivre.

    Merci de nous aider à accéder à une vision chinoise via wiki en chinois

    sur le 人文教化, ne voudrais tu pas mettre en avant le sens éducatif de 教 : enseigner ?

    ainsi je te proposerais :

    人文教化 processus d’apprentissage humain par le langage écrit

    il me semble important de faire ressortir l’écrit comme dépositaire de la culture, alors qu’en francais ce n’est pas d’abord l’image d’écrits qui vient à l’esprit en pensant à la culture (on a la peinture ; la musique ; les arts en plus de tous les textes anciens)

    qu’en penses tu ?

    CITATION(wikipedia)

    文化在汉语中实际是“人文教化”的简称。前提是有“人”才有文化,意即文化是讨论人类社会的专属语;“文”是基础和工具,包括语言和/或文字;“教化”是这个词的真正重心所在:作为名词的“教化”是人群精神活动和物质活动的共同规范(同时这一规范在精神活动和物质活动的对象化成果中得到体现),作为动词的“教化”是共同规范产生、传承、传播及得到认同的过程和手段。

    j’essaie de traduire la définition de wiki pour ceux que cela intéresserait (les corrections sont bienvenues! comme souvent j’ai été très interloqué face au terme 中 aux deux tiers du texte ; je l’ai sans doute mal traduit par “juste milieu”):

    La culture (文化 : écrit-transformation) en chinois est en fait l’abbréviation de 人文教化 : processus d’apprentissage humain par le langage écrit. Cela indique que sans hommes ; il n’y aurait pas de culture ; c’est à dire que la culture est une notion portant exclusivement sur les sociétés humaines douées de langage. 文 en est la fondation et l’outil ; cette notion inclut le langage et/ou*** les caractères écrits. 教化 est une expression réellement centrale : le nom 教化 renvoie à une conscience collective et changeante, et à une norme partagée naturellement en mouvement (cette norme est par essence en évolution ; sa substance se meut cependant sous la forme d’une transformation positive vers l’équilibre du juste milieu), le procès de 教化 engendre une norme partagee, dont nous heritons et qui se propage encore dans l’histoire et les manifestations de la conscience collective.

    *** : j’ai du mal à comprendre le et/ou (plutôt dit en ou/et dans le texte) : le 文 wen ne renvoie t il pas à la forme écrite de la langue, par opposition au hua ? (mais comme il est dit plus haut ; j’ai du mal à appréhender les contraires )

    pour finir ; je colle ici les définitions de wiki pour la culture en anglais :

    culture
    The arts, customs, and habits that characterize a particular society or nation.
    The beliefs, values, behavior and material objects that constitute a people’s way of life.
    (biology) The process of growing a bacterial or other biological entity in an artificial medium.
    (anthropology) Any knowledge passed from one generation to the next, not necessarily with respect to human beings.

    et en francais (j’ai enlevé les définitions biologiques et agricoles) :

    Etymologie : Du latin cultura (« culture », « agriculture », « culture (de l’âme, de l’esprit »), venant lui même de colere (« cultiver ») et lié à culter (« couteau »*****, « fer de charrue») qui a également donné « coutre » en français.

    Figuré: Application qu’on met à perfectionner les sciences, les arts, à développer les facultés intellectuelles.
    La culture de l’esprit, de l’intelligence.
    Culture générale, ensemble de connaissances générales sur la littérature, l’histoire, la philosophie, les sciences et les arts, que doivent posséder, au sortir de l’adolescence, tous ceux qui forment l’élite de la nation.
    (Par extension) Civilisation.
    Culture gréco-latine.
    Propager la culture française à l’étranger.
    Culture physique, développement rationnel du corps par des exercices appropriés.

    ***** : amusant : je n’avais pas réalisé le lien étymologique en francais entre culture et couteau !

    la définition francaise, (et surtout anglaise!), me parait beaucoup plus statique que la définition chinoise ; qui insiste sur le processus de transformation. Aurions nous oublié que la culture de l’homme ; c’est comme la culture des carottes ; c’est pour le faire grandir ?

    Et enfin voici ce que wenlin donne comme origine étymologique pour 化
    化 huà depicts a person and a person upside-down. The left side is 亻(人 rén) ‘person’. The right side

  14. yvouche permalien
    janvier 6, 2007

    Une empathie spontanée?

    Voici un extrait de mon mémoire de master, peut-être que cela pourrait éclairer votre lanterne, n’hésitez pas à vous montrer critique. Bon je vous prie de m’excuser par avance c’est peut-être un peu indigeste:

    Franz Boas (1938), un anthropologue de la première moitié du 20ème siècle, véritable pionnier, fut le premier à élaborer une théorie sur le lien entre langue et culture qui tend à prouver que la communication serait le fondement de la culture. La plupart des enseignants, eux-mêmes, s’accordent à dire que la priorité accordée à l’apprentissage de la langue ne doit pas exclure, mais au contraire, favoriser l’accès progressif à des valeurs culturelles : admettre la légitimité des autres cultures, procéder à une conversion de son regard : observer sans évaluer, comprendre sans juger, en évitant bien entendu, tous stéréotypes et autres généralisations trompeuses.
    Si on analyse un tant soi peu l’histoire de la didactique des langues étrangères, on s’aperçoit sans difficultés que les rapports entre langue et civilisation ou entre langue et culture sont quelques peu problématiques. Inexistante, ou enseignée maladroitement, « la compétence culturelle » semble bel et bien avoir été éludée. L’aspect linguistique s’est avéré, jusqu’à présent, privilégié au détriment de cette conception plus humaniste de l’enseignement des langues. Or, ignorer cet aspect pédagogique, n’est-ce pas priver les apprenants d’une connaissance indispensable pour les besoins de l’interlocution ? N’est-ce pas faire fi du lien étroit qui existe entre une langue, les façons de vivre et de penser d’une société, sa culture. Or, peut-on affirmer connaître une langue si les rites et autres traditions des autochtones ne sont pas connus, analysés, admis ?
    Pour communiquer efficacement avec un individu issu d’un autre pays, d’une autre culture, il faut au préalable se forger ce que l’on nommera, « une compétence interculturelle », une aptitude à « l’empathie culturelle ». Nous nous efforcerons lors de nos diverses interventions d’intégrer le domaine de la culture et de la civilisation, afin de transmettre, de mettre en place une capacité chez l’apprenant de tolérance, de compréhension du point de vue de l’indigène, d’octroyer à la culture étrangère la légitimité qui lui est dû, de tendre vers un amoindrissement du filtre ethnocentrique, entraînant d’irrémédiables conséquences: manque d’intérêt pour la matière, chocs culturels, intolérance, pouvant aller jusqu’à la xénophobie…

    Nous tenterons, ainsi, de démontrer « la place fondamentale » que devrait occuper « une pédagogie interculturelle », en tant que composante essentielle de l’éducation générale de l’individu.

    1. De l’importance d’un enseignement interculturel.

    Certes, la performance linguistique ne semble pas être l’unique critère quant à la maîtrise d’une langue, celui-ci n’en demeurant pas moins intangible, reste insuffisant. Il semble, en effet, indispensable de tendre vers un élargissement de cet objectif. Apprendre une langue ne se réduit pas à l’apprentissage d’un code linguistique, cependant les manuels et autres méthodes de langue ont tendance à ne pas prendre en compte cet état de fait, en suggérant une communication autistique, sans tenir compte du rôle de l’élève en tant qu’acteur, en faisant de lui un simple récepteur du message. Comment rendre plus attractif l’enseignement d’une langue ? Comment remédier au manque d’intérêt pour l’apprentissage du français ? Il s’agit, selon Lambert (1974), cité par Michaël Byram (1992), de rendre l’activité langagière « dépendante non seulement de l’activité communicative et de l’apprentissage de contenus enseignés au moyen de la langue, mais aussi de l’acquisition de connaissances sur des peuples divers et leur mode de vie » (p.71) Les apprenants doivent comprendre certains aspects de la culture étrangère en tant « qu’observateurs participants », ils doivent à la fois tenter d’y participer, de la vivre en son sein, sans toutefois omettre de l’observer et de la cerner de l’extérieur. Un effort de décentration est nécessaire afin que ceux-ci ne jugent la culture étrangère à travers le filtre de la leur ou selon des critères inappropriés, réduisant à néant toute introspection sur leur propre langue et leur propre culture, analyse pourtant indispensable, afin de relativiser et contextualiser celle-ci.

    2. Vers une compétence interculturelle

    2.1. La tolérance de l’altérité

    Contrairement à l’opinion reçue, les contacts avec d’autres cultures ne réduisent pas nécessairement les a priori et autres préjugés tenaces. Le fait de s’exposer à une autre entité culturelle n’est guère suffisant et peut bien au contraire, entraîner une certaine hostilité, voire des comportements discriminatoires vis-à-vis de la « culture-cible ». La fréquentation d’une société autre que la sienne doit donc permettre « l’ébranlement » de convictions trop rapidement établies, voire une relativisation de ses propres pratiques sociales. Dans le cadre de notre voyage, nous nous efforcerons non pas de dispenser des cours traitant, nécessairement de la culture-cible, mais plutôt, de faciliter l’acquisition, par les élèves, d’un comportement moins spontanément ethnocentrique. L’attitude pédagogique, visant l’acquisition d’un sentiment de bienveillance vis-à-vis de l’altérité, apparaît être une approche particulièrement adaptée au contexte migratoire actuel. Cet enseignement, stimulant la curiosité des élèves, devra amener ceux-ci à un stade de tolérance, et si possible, de compréhension des autres cultures. Ainsi, la « culture-cible » n’est plus véritablement l’objet d’acquisition dans ce contexte, mais davantage, un prétexte à la diffusion de valeurs telles que le respect, la considération pour autrui… L’apprenant doit se rendre compte, qu’il appartient non seulement à un pays, mais également à un ensemble planétaire. Une pédagogie, à finalité éducative, valorisant l’échange, le dialogue, le partage peut alors être instauré.

    2.2. La nécessité d’une prise de conscience identitaire

    Avant d’amener l’élève à prendre conscience de l’hétérogénéité du monde, et afin d’établir de manière efficace une éducation interculturelle, il convient au préalable, d’inciter celui-ci à prendre conscience du « conditionnement » de chaque individu par sa culture d’origine. Partons du postulat que la culture modèle l’être humain, elle en devient indissociable, indispensable pour son épanouissement, « sa réalisation existentielle », pour reprendre la terminologie de Michaël Byram (p.139). Sans pour autant dénigrer la culture originelle de l’apprenant, il semble nécessaire malgré tout, de favoriser la relativisation de celle-ci. Midgley (1980), cité par Michaël Byram (1992), prétend que « l’Homme est programmé de façon innée de telle sorte qu’il a besoin d’une culture pour être complet. La culture n’est pas substituable à l’instinct et ne peut le remplacer, elle émane de lui et le complète », (p.140). Un enseignement interculturel doit par conséquent, comme l’affirme, Martine Abdallah-Pretceille, « instaurer des communications entre les personnes, des enrichissements réciproques, des partages, où aucun ne perd son identité, mais où chacun est inscrit dans une circulation vers l’altérité et de celle-ci vers lui », (p.14).

    2.3. Vers une « acuité interculturelle »

    Ainsi, la culture, propre à l’individu, marque celui-ci de manière indélébile ; celle-ci ayant été intériorisée, il est d’autant plus difficile d’accéder à d’autre façon de configurer le monde. Néanmoins, l’élève, bien qu’en partie façonné par sa culture originelle, se doit d’établir une stratégie susceptible d’engendrer un processus d’appropriation d’une autre culture. Celle-ci, s’effectuant sous la tutelle du professeur, participe à l’acquisition d’une « acuité interculturelle ». En effet, le fait d’être d’ores et déjà familiarisé avec une autre culture, aiguise la perception de l’individu. La réalité, perçue de prime abord comme unique et biaisée, est désormais appréhendée par celui-ci sur un « mode kaléidoscopique ». La maîtrise de divers point de vue aboutissant effectivement, vers une saisie plus lucide d’un « monde bigarré ».
    Ces quelques constatations mettent en exergue l’importance du rôle de l’enseignant, qui doit donc instaurer des conditions optimales, quant à l’appréhension de la « culture-cible » sous un angle privilégiant une approche interculturelle.

    Ainsi, nous nous efforcerons tout au long de notre voyage de développer chez chacun des élèves des compétences favorisant une interprétation active sur le mode de la tolérance, le but poursuivi étant d’observer et d’analyser d’autres cultures en se gardant de porter tous jugements de valeurs, en tâchant davantage d’interpréter, de décoder des conduites qui apparaissent aux premiers abords étranges, de concevoir la réalité de manière polycentrique.
    Les équivoques culturelles issues de connaissances émiettées sur autrui, d’ « insuffisances langagières », ou d’incapacité à admettre d’autres dispositions comportementales, peuvent être palliées par un enseignement susceptible de permettre à l’élève d’évoluer, de s’orienter au sein même d’une communication aux mouvances culturelles.
    L’enseignement dispensé, doit se définir par la volonté d’établir une compétence interculturelle jugulant une conduite dont l’ethnocentrisme est primesautier.

    L’individu n’éprouve aucunes difficultés à discerner tout comportement en rupture avec le sien. Celui-ci a, en revanche, davantage de mal à admettre la légitimité de la différence. Toute distinction est donc, dans un premier temps, perçue de manière ethnocentrique. Il s’agit donc de développer chez chacun d’eux une capacité efficace dans la perception d’autrui, afin de leur permettre d’adopter le comportement adéquat en fonction d’une situation donnée, de les débarrasser de considérations nationalistes, de réduire la pleutrerie que provoque l’inconnu, l’indéchiffrable.
    Un enseignement interculturel privilégiera donc non pas l’apport de données sur la culture étrangère mais bel et bien, une pédagogie visant à tout d’abord faire admettre la légitimité d’autrui pour éventuellement tâcher de le comprendre ensuite.
    L’hétérogénéité du monde fait du « discernement interculturel » un enjeu fondamental. Il est par conséquent indispensable de mettre en place, voire de banaliser cette pédagogie, cette façon de procéder semblant l’une des plus appropriée pour appréhender la diversité culturelle dans le cadre de l’apprentissage des langues étrangères. Les exigences de la mondialisation font de cette notion une nécessité. Contraindre une vigilance ethnocentrique, désaccoutumer l’individu de modes de perception réducteurs, l’aider à reconsidérer sa façon de percevoir l’étranger en l’enrichissant d’une véritable aptitude intuitive lui permettant de s’adapter, de réexaminer ses convictions, la validité de ses repères, d’agrémenter son expérience monoculturelle d’une expérience pluriculturelle facilitant l’obtention d’une acuité interculturelle, telle est la mission du professeur.
    Un enseignant doit, par conséquent, dévoiler à ses élèves la relativité de leurs certitudes, leur procurer les instruments adéquats pour reconsidérer et réajuster des réflexes inhérents à leur culture afin de les préparer à vivre au sein d’un environnement hétérogène. Une éducation interculturelle vise, avant tout, à l’élaboration d’une capacité d’adaptation aux cultures autres que la sienne propre, afin de réajuster un point de vue trop spontanément ethnocentrique et d’instaurer avec l’altérité un échange affranchi d’avis préconçus et autres jugements de valeur. Il est probable que l’individu bénéficiaire d’une telle formation sera alors plus à même de faire preuve d’une philanthropie spontanée.
    Bien entendu, il appartient au professeur d’établir au sein même de l’hétérogénéité une communication circulaire, de tisser par l’intermédiaire de cette diversité des liens autorisant une valorisation mutuelle, afin de développer dans le contexte de la classe, un sentiment d’appartenance non pas à une monoculture mais à une culture arlequinée. Le but avoué étant de doter l’élève de plusieurs savoir-faire culturels, afin qu’il puisse concevoir les dispositifs et mécanismes d’autres valeurs et pratiques, sans pour autant mésestimer le rôle de la culture originelle dans l’appropriation d’une autre culture. Car n’est-ce pas à travers celle-ci que nous accédons à l’altérité, « La perception de l’autre [étant comme l’affirme Geneviève Zarate] construite à travers le prisme déformant de la compétence culturelle d’origine. L’autre n’est donc jamais disponible à travers sa réalité objective. » (1986, p.24). Il semble, par conséquent, opportun de se doter d’une vision polycentrique afin de percevoir l’altérité, le monde, à travers une mosaïque de culture et de langue. L’individu devant, bien entendu se garder de comparer, d’évaluer, de légiférer en fonction de sa logique culturelle. Par ailleurs, comme l’affirme Louis Porcher, (2003) : « Si vous êtes capable d’être polycentrique, vous avez franchi le cap qui vous permet d’intérioriser (« incorporer » dirait Bourdieu) l’altérité, c’est-à-dire la composante fondamentale d’un apprentissage des langues, c’est-à-dire l’entrée dans une autre « vision du monde ». (P.94).
    Contrairement à une approche civilisationnelle s’efforçant de répandre l’esprit national à d’autre culture, l’approche interculturelle tend à « […] former la conscience de la pluralité et de l’interpénétration des cultures comme fondation et préservation du patrimoine commun de l’humanité ». [Cf. Déclaration sur la race et sur les préjugés raciaux, Unesco, 1978, in Médiation et didactique des langues et des cultures (2003, p.101)] et exige de l’individu une volonté d’ouverture sur l’autre, le respect d’autrui. La recherche d’une certaine objectivité est donc à concilier, avec l’affect, les élans et autres réflexes premiers, afin d’instaurer une tolérance voire une solidarité au sein même de la différence. Souhaitons que la volonté de chacun à comprendre les autres annihilera tous jugements de valeurs et permettra tout comme le préconise Malraux de « s’enrichir de la différence mutuelle ». Il s’agit pour l’apprenant, non pas de récolter une collection hétéroclite de singularités, mais plutôt de saper les préjugés, procéder à un renversement des certitudes, aboutir à la distance critique, « au regard éloigné » indispensable sur la société et sur soi. Gageons que cette « œuvre surhumaine » de l’intellect et de l’intuition, collaborant pour faire lever le vrai de l’enfer des présupposés, sera bientôt à la portée de tous.

    Bon bravo à ceux qui ont réussi à tout lire

  15. janvier 22, 2007

    Mo yan cite page 288 de beaux seins belles fesses (magnifique bouquin de mo yan que je viens de finir) la première phrase du sanzijing (classique des trois caractères : livre d’instruction traditionnel) :

    « L’homme est bon de nature ; naturellement les hommes se rapprochent ; l’habitude les éloigne ; sans éducation ; la nature de l’homme change »

    La dernière phrase est intéressante : l’éducation viendrait figer des évolutions naturelles loin de notre « forme » (celle d’être naturellement bons mais déformés par la vie). En fait ce serait la nature qui nous déforme au cours de notre existence et l’éducation qui viendrait nous préserver ? J’ai du mal à voir cela ?

    (pour le fun ; voici la parodie satirique qu’n élève indiscipliné, Sima Ku, fait de la phrase pré-citée :
    « L’homme baratine de nature ; les chiens et les chats d’apprennent rien ; les œufs cuisent dans le fourneau de la pipe ; le professeur les mange ; les élèves le regardent »

  16. jade permalien
    janvier 22, 2007

    en chinois ça doit être ça (un extrait de “三字经”):

    人之初:de nature

    性本善:L’homme est bon

    性相近:naturellement les hommes se rapprochent

    習相遠:l’habitude les éloigne

    茍不教:sans éducation

    性乃遷:la nature de l’homme change

    ***********

    Parfois je voudrais dire que l’Education fait changer la nature …. Mais ça dépend l’interprétation et la nature de cette Education ….

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