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Une source limpide : pureté ou absence de vie ?

2007 juillet 19
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Posted by florent

Qu’est ce que l’image d’une source limpide sortant du rocher symbolise pour nous ?

En tant que Francais, je pense tout de suite à de la pureté ; à une eau propre, qui n’est pas encore souillée par les viscissitudes de la vie.

Le moine Dorothée de Gaza écrit au VIe siècle : “une eau boueuse et agitée ne laisse pas passer la lumière. Laisse-la reposer ; elle deviendra limpide et permettra de voir à travers.” La pureté nous permet de vivre dans la lumière.

En chinois, j’ai rencontré plusieurs fois une symbolique différente, que je trouve belle aussi , autour de la source pure 清泉.

Le symbole est plutôt négatif : on y voit plutôt un lieu privé de tout germe de vie, presque un lieu de mort.

Voici trois exemples, dont certains ont déjà été cités dans ce blog, pour l’illustrer


D’abord le proverbe “L’eau courante ne peut croupir, et le gond d’une porte n’est jamais vermoulu“, qui montre comme le mouvement est une forme de résistance à l’usure. On ne rêve pas à la pureté originelle de la source, mais on contemple ce mouvement des choses qui permet d’échapper à la putréfaction.


Ensuite le poète Xu Zhimo qui, dans ses adieux aux pont de Cambridge, loue la beauté de l’aspect coloré de la rivière plutôt que sa pureté.

那榆荫下的一潭, Ce point d’eau à l’ombre d’un Orme,
不是清泉,是天上虹
N‘est pas une source limpide ;

il est plutôt comme un arc-en-ciel

揉碎在浮藻间, Tombé en morceaux entre les joncs.
沉淀着彩虹似的梦。Des sédiments d’arc-en-ciel, comme un rêve.

L’image sonne étrangement à des oreilles françaises, ne trouvez vous pas ?


 

Un autre proverbe enfin, sur le thème de l’éducation :

水至清则无鱼 (l’eau – extrêmement – être limpide – donc – sans – poisson).

人至察则无徒 (personne – extrêmement – rigide; sévère; exigeant – donc – sans – apprenti; élève)

Les poissons ne peuvent pas vivre dans une eau trop pure

Un élève ne peut rien apprendre d’un professeur rigide et sévère.

J’aime beaucoup ce proverbe : il montre comment l’apprentissage se fonde aussi sur les impuretés de la personne. Le professeur ne peut pas idéaliser son élève comme un terrain vierge, pur, dans lequel il va faire germer son savoir. Mais justement les impuretés de l’élève sont ce qui va l’aider à se développer.  Dans l’impureté se cache la personne, la vie même.


Pureté ou mobilité, nous faut-il choisir ?


 

7 Réponses Leave One →
  1. Anonyme permalien
    août 10, 2007

    Votre blog est super.
    Juste une petite remarque pour l’un des proverbes que vous avez cités:
    徒 dans 人至察则无徒 signifie “copain;ami” dans l’ancien chinois.
    Cette phrase sort de 《大戴礼记.子张问入宫》.

  2. florent permalien
    août 27, 2007

    merci d’avoir précisé le sens ancien et la source de la phrase. il s’agit du classique des rites, le “liji”, tel qu’il a été compilé par Dai De et son neveu Dai Sheng au 1er siècle avant JC.
    C’est un livre essentiel dans le canon confucéen, et dans les classiques chinois.

    Pour en revenir au sens du proverbe, traduisons le donc, si cela vous convient, par :
    “”"Les poissons ne peuvent pas vivre dans une eau trop pure

    Quelqu’un de rigide et sévère ne trouvera pas de camarades.”"”

    on retrouve aussi dans l’amitié ce piège de vouloir la pureté de l’autre, ne trouvez vous pas ?

  3. emmanuelle permalien
    octobre 11, 2007

    “un élève ne peut rien apprendre d’un professeur…”
    en d’autres termes :

    “les erreurs font progresser, grandir”…? Non?

  4. florent permalien
    octobre 11, 2007

    Oui emmanuelle
    ou en d’autres termes, quand je décèle les petits défauts de quelqu’un, je peux y voir ce qui fait son humanité, sa personne, plutôt que d’y voir des failles par rapport à un “homme-modèle-robot” ;-)

  5. florent permalien
    janvier 10, 2008

    On retrouve ce thème de la source impure au Laozi chapitre 15 :

    Dans l’Antiquité, ceux qui excellaient à pratiquer le Tao étaient déliés et subtils, abstraits et pénétrants.
    Ils étaient tellement profonds qu’on ne pouvait les connaître.
    Comme on ne pouvait les connaître, je m’efforcerai de donner une idée (de ce qu’ils étaient).
    Ils étaient timides comme celui qui traverse un torrent en hiver.
    Ils étaient graves comme un étranger (en présence de l’hôte).
    Ils s’effaçaient comme la glace qui se fond.
    Ils étaient rudes comme le bois non travaillé.
    Il étaient vides comme une vallée.

    Ils étaient troubles comme une eau limoneuse.

    Qui est-ce qui sait apaiser peu à peu le trouble (de son cœur) en le laissant reposer ?
    Qui est-ce qui sait naître peu à peu (à la vie spirituelle) par un calme prolongé ?
    Celui qui conserve ce Tao ne désire pas d’être plein.
    Il n’est pas plein (de lui-même), c’est pourquoi il garde ses défauts (apparents), et ne désire pas (d’être jugé) parfait.

    (traduction julien)

    c’est joli non ?

  6. florent permalien
    mars 30, 2008

    Pierre qui roule n’amasse pas mousse.

    voilà un proverbe francais qui est semblable au premier cité dans ce billet , non ?
    Sauf que le sens de notre expression française valorise plutôt l’immobilité. La pierre qui roule (l’homme qui mène une vie aventureuse) bouge certes, mais elle ne réussit pas à amasser de mousse (fortune). Il faudrait choisir entre nomadisme pauvre et enrichissement dans l’enracinement ?

  7. Anonyme permalien
    juillet 17, 2008

    un passage du laozi renforce cette valorisation de l’impureté, de l’eau boueuse.

    c’est au chapitre 15 qui parle des grands sages de l’antiquité
    (traduction et explicitations entre parenthèses par wieger)
    http://classiques.uqac.ca/classiques/wieger_leon/B15_pere_systeme_taoiste/les_peres.rtf

    30 Ils étaient circonspects comme celui qui traverse un cours d’eau sur la glace ; prudents comme celui qui sait que ses voisins ont les yeux sur lui ; réservés comme un convive devant son hôte. Ils étaient indifférents comme la glace fondante (qui est glace ou eau, qui n’est ni glace ni eau). Ils étaient rustiques comme le tronc (dont la rude écorce cache le cœur excellent). Ils étaient vides comme la vallée (par rapport aux montagnes qui la forment). Ils étaient accommodants comme l’eau limoneuse, (eux, l’eau claire, ne repoussant pas la boue, ne refusant pas de vivre en contact avec le vulgaire, ne faisant pas bande à part).
    C. (Chercher la pureté et la paix dans la séparation d’avec le monde, c’est exagération. Elles peu¬vent s’obtenir dans le monde.) La pureté s’obtient dans le trouble (de ce monde), par le calme (intérieur), à condition qu’on ne se chagrine pas de l’impureté du monde. La paix s’obtient dans le mouvement (de ce monde), par celui qui sait prendre son parti de ce mouvement, et qui ne s’énerve pas à désirer qu’il s’arrête.

    Florent

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