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La Chine en quête de ses frontières 7/10

2007 septembre 3
Posted by florent
Jean Pierre Cabestan et Benoît Vermander ont publié ce livre aux éditions “Sciences po les presses”, avec le sous-titre “la confrontation chine taiwan”.
 

Une étude solide et passionnante, que je recommande pour une vision plus claire des enjeux liés au futur de Taiwan. J’essaie ici de restituer quelques notes de lectures, sûrement truffées d’erreurs de compréhension sur ce sujet compliqué et riche.

Tentons en introduction une vue simple : Taiwan pose une question de souveraineté, entre un statut actuel proche de celui d’état démocratique, soutenu par des partenaires historiques de l’île (USA, Japon), et une intégration à la Chine populaire dans des conditions à définir.

L’ « émergence pacifique » de la Chine populaire donne, tant militairement qu’économiquement, une tendance vers la seconde option. Mais les résistances à Taiwan sont fortes et durables.

Marqué par les vues « civilisationnelles » d’Huntington, je portais avant ce livre une opinion assez tranchée, que l’on pourrait résumer ainsi :

Peu importent les pays, les frontières et les parlements : Taiwan et Chine sont une seule civilisation, qui est l’entité à observer.

Mais après la lecture de ce riche livre, je préfère poser deux manières de voir, la première dans une vue civilisationnelle et la seconde dans une vue démocratique :

  • - La Chine, divisée en quatre avant la seconde guerre mondiale (PCC, KMT, occupation japonaise et «régions colonisées» de Macao & Hong-Kong); a lentement réduit ces divisions à deux parties: la partie continentale et Taiwan. La réunion de ces deux parties pourrait achever le processus de construction nationale et réunir les peuples chinois.
  • - Les Taiwanais ont construit, depuis la création de leur gouvernement en 1949, une démocratie. Les habitants de l’île se disent aujourd’hui chinois, mais restent attachés à ce régime, refusant en majorité l’ intégration telle qu’elle est proposée par la RPC («un pays deux systèmes»).

Ce que j’ai compris du problème Taiwanais se résume à trouver une solution satisfaisante selon ces deux visions.


La structure du livre est facile à suivre :

Après quelques rappels historiques, les auteurs examinent la politique chinoise générale, marquée par le thème de l’ « ascension pacifique », puis la politique taiwanaise (jusqu’à ses dernières évolutions), et la politique taiwanaise de Pékin. S’ensuit un rappel des interactions, et un exposé des défis structurels de la relation Chine-Taiwan.

Sont ensuite abordés les tiers : Américains, japonais, autres, puis les auteurs concluent.

La première partie sur les rappels historiques positionne bien les jalons à connaître : l’éphémère consensus de Singapour trouvé en 1992, les conditions des deux élections de Chen Sui Bian (opposition au Kuomintang historique) en 2000 et en 2004 ; les périodes de tension fortes liées à des déclarations (par exemple la déclaration de Chen en Aoùt 2002 : « un pays de chaque côté du détroit » : yi bian yi guo) ou à des décisions (la loi anti sécession de Pékin).


Le chapitre sur la politique culturelle est passionnant ; notamment dans sa description des interactions (explosion des communications téléphoniques, du nombre d’expatriés taiwanais sur le continent, expatriés qui ouvrent des écoles taiwanaises en PRC, forte influence religieuse de Taiwan, sur le regain bouddhiste continental notamment). On note l’asymétrie de ces échanges, avec  beaucoup plus de taiwanais qui s’exposent à la chine continentale que réciproquement.

Mais le chapitre que j’ai préféré est celui sur la sémantique utilisée de part et d’autre du détroit. Dans les débats, des notions profondes sont abordées, telles que nation, civilisation, partenariat (huobanguanxi 伙伴关系) et partenarisation (huobanhua 伙伴化), hégémonie (baquan 霸权, en parlant des Etats-Unis), développement (fazhan 发展), organisation (zuzhi 组织), réactionnaire (fandong 反动: qui s’oppose au mouvement), stratégie (zhanlüe 战略), harmonie (hexie 和谐). Des notions ont été considérablement développées lors des débats, telle la double harmonie (和合 hehe : harmonie harmonie ; un concept de vie considéré comme l’apport de la civilisation chinoise au reste de l’humanité). L’expression de l’ « ascension pacifique de la chine » (Zhongguo heping jueqi 中国和平崛起) est analysée en détail. La transmutation pacifique (hepingshanbian) aussi ;

Sur le terme de l’harmonie, hexie 和谐, les auteurs montrent la différence entre l’origine du terme (qui désignait une société traditionnelle, homogène et hiérarchisée) et son décalage avec les enjeux modernes de l’internationalisation et de la « fluidification » de la société chinoise.

L’auteur montre le paradoxe, côté chine populaire, qu’on observe entre un langage diplomatique international détendu, et rassurant, et un langage sur les affaires intérieures crispé, raide et tendu.


Le chapitre sur la politique Américaine sur Taiwan m’a beaucoup intéressé, et profondément questionné sur un « anti-américanisme primaire » dont je suis parfois victime.

On y voit comment l’administration  G.W. Bush a pu repositionner la relation sino-américaine comme « compétition stratégique », par rapport au « partenariat stratégique constructif» de l’administration Clinton. Inquiète du rapport militaire de plus en plus défavorable à Taiwan, la maison blanche a relancé depuis plusieurs années des ventes d’armes significatives à Taiwan.

Mais ce renforcement est couplé d’une affirmation toujours plus forte du principe de « chine unique », et d’une opposition claire et marquée à l’indépendance formelle de l’ile.

Cela dit, les attentats de Septembre 2001 ont exigé, pour une cohérence de la guerre contre le terrorisme, un certain assouplissement de la notion de « compétition stratégique » vers plus de partenariat avec la RPC : ensemble contre le terrorisme.

On comprend aussi dans ce chapitre les différentes composantes de la position  américaine : le state department (C Powell puis C Rice) relativement favorable à une meilleure relation bilatérale avec la RPC, le pentagone  plutôt historiquement reliée à la défense de Taiwan comme site stratégique, le département du commerce favorable au développement des échanges des deux bords du détroit (parfois aux limites des restrictions sur les transferts de technologie), et le congrès enfin, divisé entre les questions des armes, des droits de l’homme, de la défense « historique » de Taiwan.

On évoque aussi les lobbies, nombreux (milieux des affaires, falung gong, syndicats protectionnistes…) et très influents auprès du congrès.

Le cas particulier du lobbie pro-taiwanais m’a intéressé. Largement lié à la nombreuse communauté de Taiwanais émigré aux US, ce lobby prend parfois des positions pro indépendance qui sont anachroniques, car en décalage avec la politique américaine comme avec la politique taiwanaise. Ce lobby semble perdre du terrain dans le débat aux US, par rapport à des questions comme les droits de l’homme ou bien les conditions économiques de la compétition (réévaluation du yuan, OMC…)

Le Japon, quant à lui, a tout intérêt à prolonger la division de la Chine. Il influe prudemment et discrètement sur la situation.

L’auteur propose en conclusion de prendre en compte l’expérience de l’Europe, entité relativement neutre ayant l’expérience d’une construction supra-nationale dans le respect des souverainetés nationales. N’est elle pas intéressante à visiter ?

Je termine ce billet par un lien vers une discussion acharnée sur le forum de chine-nouvelle.com, et par une anecdote effrayante : j’ai déjeuné aujourd’hui avec un jeune ami du Hubei, brillant et très ouvert (il critiquait violemment le parti unique, rêvant d’une démocratie chinoise). Lorsque nous avons parlé de Taiwan, il m’a affirmé froidement qu’il préférait une guerre à la prolongation des velléités indépendantistes des taiwanais. Un dialogue est il possible entre les partisans de l’unité nationale et ceux de la démocratie ?

4 Réponses Leave One →
  1. Hsia permalien
    septembre 17, 2007

    Le probleme est que les taiwanais ne sont pas chinois.
    Et meme apres des annees de bourrage de crane par les membres du KMT, plus de 70% l’affirme haut et fort.
    Ils ont pour la plupart des origines Han (Hokklo du Fujian ou bien Hakka de Guangdung),mais sont arrive en Taiwan au 17e siecle. La Taiwan etait alors peuplee dans son integralite. Y residaient des peuplades aborigines d’origines notament austro-polynesiennes, environ 13 ethnies aux differentes cultures et langages. lorsque les Taiwanais (gens d’origine han) ont immigre, que se ne soit pour fuire l’empire manchu (Qing) ou plus tard a l’appel des hollandais de la VOC, ils ont quitte la chine pour toujours. Ils se sont installe et melange aux natifs (aborigenes des plaines principalement), aux europeens (hollandais,espagnols,et francais (comme a Keelong)). Leur langue, le hokklo, est devenu lingua franca pour les asiatiques, la bible ayant meme ete traduite ( romanisation).Plus tard les metissages avec les japonais et l’enseignement en japonais ont contribue un peu plus a eloigner ce peuple de ses origines chinoises.

    la vague d’immigration tardive de 1949 et la prise de pouvoir dans le sang (228 et l’ere de terreur blanche) du Generalissime CKS ont aboutit a une dictature, anihilation de tout ce qui touchait de pret ou de loin a la culture japonaise et l’imposition du mandarin comme langue officielle.

    Le fait est que moins de 5% des taiwanais sont de pur chinois. Les soldats ont fait souche avec des femmes taiwanaises. Au meme titre que les francais ne sont pas celtes ou les americains ( bien qu’anglo-saxons) ne sont ni anglais ni saxons, les taiwanais ne sont pas chinois.

    Dire que les taiwanais sont chinois, reviendrait a dire que les quebequois sont francais et les australiens ou les americains sont anglais. Entre le 17e siecle et maintenant il n’y a jamais eu de lien reel entre les deux rives du detroit. Les chinois, en dehors des gens depeches par le gouvernement avaient interdiction d’immigrer et les “boat people” etaient mis a mort. De plus les envoyes du gouvernement ne l’etaient que pour une periode bien definie a l’issue de laquelle ils reintegraient leur mere patrie (ou prenaient le maquis) et se trouvaient etre a 99 des hommes ( celibataires ou separes de leure famille restee en Chine).

    Alors que les taiwanais ne se sentent pas chinois, rien d’etonnant. l’ex president Lee Tang hui affirma meme etre plus japonais que chinois, au grand desarois des membres du KMT.
    Tout annexation de la Taiwan serait l’equivalent de l’annexation de l’Autriche par l’empire nazi. Il reste a esperer que l’ensemble du monde ne tournera pas le dos a la Taiwan comme cela fut le cas pour l’Autriche…

  2. florent permalien
    septembre 17, 2007

    Merci Hsia pour ce retour documenté et clairement engagé !

    je vous suis aisément sur le corps de votre message, mais moins facilement sur sa fin.

    Je ne commente que les points de désaccord :

    Concernant la diversité “ethnique” de taiwan, avec le fort métissage “ethnies locales + han + autres”, il me semble que d’autres régions seraient bien moins chinoises que taiwan si l’on vous suivait ! A commencer par le guangdong, non ? La chine ne se limite pas, me semble t il, à des régions ethniquement han.

    Ensuite, vous comparez des phénomènes de “scission culturelle” très éloignés géographiquement, et qui se sont passé sur plusieurs siècles. Il me semble que taiwan / chine ne soutient pas la comparaison avec québec / france.

    Cela dit, je vous rejoins globalement dans l’idée que l’histoire particulière de taiwan (dans sa relation avec le japon par exemple) lui a formé une identité particulière.

    Le propre d’une civilisation est d’établir un lien entre des cultures. Les romains et les grecs l’ont fait. Sera-ce possible pour la chine ?

    Certaines personnes le considèrent comme un but “non négociable” (c’est “l’unification ou la guerre”) ; je n’ai pas de réponse tranchée sur l’issue, mais je crois que la menace n’est pas le fondement de la civilisation.

  3. octobre 23, 2007

    Hsia,

    J’entends en effet de plus en plus souvent votre argument dans la bouche de Taïwanais. Il semble que les immigrants chinois de 1949 aient représenté une élite politique, militaire et financière aujourd’hui en déclin démographique et que cela explique le déclin du KMT sur l’ile, KMT lui même en rupture avec la mémoire de CKS, et prompt à vouloir discuter avec le gouvernement communiste.
    Quelques signes de cette évolution ne trompent pas: le passeport indique maintenant “Taiwan”, et non plus “R.O.C”, l’aéroport international CKS débaptisé, …

  4. Anonyme permalien
    octobre 25, 2007

    Chaque civilisation (selon Huntington) se caracterise par l’emergence d’un etat phare, ou “leader”, qui a necessairement un effet centrifuge (d’ordre economique, culturel, diplomatique, etc.) Indeniablement la Chine a un effet centrifuge sur ses voisins, particulierement sur Taiwan, comme Florent le mentionne.

    Le veritable enjeu, plus politique que civilisationnel (ce plan-la etant deja etabli factuellement), est de savoir si ces deux parties formeront un jour un tout, et sous quelle forme. On peut comprendre la reticence taiwanaise, et l’appetit chinois…

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