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Marins chinois

2009 juin 21
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Posted by florent
Etant frère, fils, petit-fils et arrière petit fils (au moins) de marins, je porte un attachement particulier aux affaires maritimes. J’ai donc été visiter ce week end le musée de la marine de Shanghai.
Il est situé dans de beaux bâtiments anciens en brique, sur le campus d’une université très agréable, au numéro 1954 de la rue huashan 华山路, à l’ouest de la concession française.

Il retrace l’histoire maritime chinoise, brillante épopée qui s’arrête brusquement au XVe siècle dans ce qui constitue pour moi un tournant de l’histoire chinoise : l’arrêt des expéditions maritimes et l’interdiction de naviguer en haute mer promulguée par l’empereur Ming Chu Yuan Chang en 1436 (voir le billet sur l’amiral chinois et musulman Zheng He, surtout les commentaires)

On voit dans ce musée une reproduction de la plus vieille rame en bois du monde (8000 ans d’âge selon wikipedia, 7000 ans selon le musée), retrouvée à Yuyao, au Zhejiang. La découverte, sur un site de la population néolithique Hemudu, comprenait six avirons et une potterie de canoé. 

(Par l’ironie du sort ou bien par un retour de l’histoire, la Chine a remporté sa première médaille d’or en aviron récemment aux jeux de Pékin)

Pendant la période antique des trois royaumes, la navigation côtière existe, et participe au développement de Taiwan. On retrouve à Chengdu un vase de l’époque (rappelons que Chengdu, au Sichuan, est à plus de mille kilomètres de la mer), orné de bateaux à voile. Une hache décorée montre des courses de voiliers.

L’empereur Qin shihuang envoie un émissaire, le géomancien Xufu au japon par voie de mer. 
Les Han voyagent déjà jusqu’à l’Inde via le détroit de Malacca.
Les Tang ouvrent des routes maritimes jusqu a l’Indonésie, la côte ouest de l’Inde et le Golfe Persique
La dynastie Yuan pousse jusqu’à la mer rouge et la côte est-africaine. Il y a curieusement un gros développement maritime sous cette dynastie mongole qu’on imaginerait plutôt terrienne. Les chantiers navals s’industrialisent ; on achemine des céréales vers la capitale Pékin en bateau.
Sous les Ming (empereur Yongle), les expéditions maritimes prennent une ampleur sans précédent. 

  

Une vidéo projetée dans le musée montre l’arrêt des expéditions de l’amiral Zheng He, précisant bien que celui-ci a lieu avant la domination étrangère des XVIIIe et XIXe siècles. Ceci confirme le point fait en introduction : alors que la Chine disposait de toutes les ressources et techniques pour aller explorer le monde (et par exemple prendre l’Indonésie avant les hollandais et les portugais), elle a décidé de se refermer sur elle-même (préférant consolider la grande muraille pour se protéger des barbares du nord),  ce qui marque le début d’un long déclin. 
Nous sommes loin ici du langage souvent entendu en Chine “la domination étrangère du XIXe siècle est responsable du déclin de la Chine”. J’essaie de parler de ces événements avec des amis shanghaiens, qui sont très ouvert à cette idée et curieux d’en savoir plus. Ces amis se montrent le plus souvent très peu expansionnistes. Ils pensent que si tout va bien, il n’est pas besoin d’aller explorer le monde. Ils voient la Chine Ming comme opulente, et donc peu expansionniste. Je leur réponds que l’espagne aussi était opulente, ce qui ne l’empêchait pas d’aller courir les mers ! Je reviendrai commenter si la conversation le mérite.
Un parallèle est possible avec le Japon qui se ferme au monde en 1635 (règne Tokugawa), ne laissant que Nagasaki ouvert à la navigation.

Après ce brutal arrêt des expéditions lointaines, on voit le remplacement des jonques de haute mer par les 沙船 sha-chuan shanghaïennes (barges a fond plat ; pour le transport du sable et des céréales en eaux peu profondes)

Sous les Qing, dans la 24e année du règne de Kangxi,  le décret étendant le commerce maritime réouvre la voie aux échanges. Mais on verra ensuite une seule expédition notable : celle de Liuqiu sur ses jonques diplomatiques du Fujian. Le contrôle des mers appartiendra désormais aux occidentaux.

Parlons encore de quelques inventions : 

D’abord les boussoles, inventées par les chinois avant que les arabes ne l’apportent en occident, boussoles dont voici quelques exemplaires anciens : 

Citons aussi sans être exhaustif : 

- Invention de la godille sous les Han de l’ouest 
- Invention du gouvenail un millénaire avant sa diffusion en occident. 
- Construction de coques compartimentées en caissons étanches dès la fin des Han (un procédé qui se répandra en occident à partir du XVIIIe siècle, et qui reste très utilisé aujourd’hui, par exemple pour les pétroliers. 

Terminons par une photo d’un texte qui montre toute l’ambiguité qui entoure la question de la modernité en Chine dans la période du XIXe et du début XXe s. Les premières phrases décrivent les occidentaux comme de terribles impérialites ; les dernières phrases du même paragraphe montrent combien quelques intellectuels chinois ont pu, en s’inspirant de savoir-faire occidentaux, moderniser la marine chinoise. 
(cliquer sur la photo pour agrandir le texte)
Les occidentaux sont-ils de méchants impérialistes ou de gentils modernisateurs ? Faudrait savoir ! 

Voilà, ce musée valait bien le détour. Pour ceux qui voudraient poursuivre sur la situation maritime contemporaine en Chine (conflits maritimes et expansionnisme récent), voici un article du monde diplomatique. Moins politique et plus marin, un article en anglais sur la résurrection des jonques chinoises par des amateurs de vieux gréements.

PS1 / j’ai accessoirement trouvé dans ce musée une autre illustration d’un surnom donné aux chinois par les étrangers (américains notamment) : Tongs ou Tangs, qui correspond au caractère 唐. Voir le commentaire dans le billet sur l’histoire du Chinatown de San Francisco.

PS2 / également par hasard j’ai eu une réponse possible à l’énigme de la composition du caractère “aimer” (voir le billet sur la délicate explication du caractère 爱 “aimer“)

3 Réponses Leave One →
  1. Liu permalien
    juin 23, 2009

    Merci pour ce post Florent !

    Outre les premiers navigateurs occidentaux, et les incursions répétées de peuplades nomades dans le nord du pays, il faut souligner la présence de plus en plus vive des pirates dans le trafic maritime.

    Les activités des contrebandiers et des pillards n’existent pas avant le XIVe siècle. À cette époque, sous la dynastie Ming, se développe le mouvement des Wokou, né au Japon. Il regroupe des Japonais, qui veulent se venger de l’attaque de leur pays par la dynastie chinoise précédente des Yuan (1280-1368), et des Chinois, fonctionnaires et marchands, mécontents de la nouvelle dynastie Ming (1368-1644), entourés d’une armée de contrebandiers, de bandits et de « frères de la côte ». À partir de l’archipel nippon, les Wokou s’implantent en Corée, atteignent les provinces côtières de la Chine du Nord puis celles de la Chine du Sud (du Shandong au Fujian).

    À la fin du XIVe siècle, le shogun Ashikaga Yoshimitsu, voulant réhabiliter le Japon et son commerce, tente en vain d’interdire la piraterie. De son côté, l’empereur de Chine crée des milices de garde-côtes.
    Enfin, au cours du XVe siècle, la suprématie de la marine chinoise permet l’essor de véritables relations commerciales en Asie orientale. En 1523, l’affaiblissement de l’autorité impériale japonaise et des incidents survenus à Ningbo entre deux ambassades japonaises ébranlent sévèrement le commerce officiel sino-japonais, relançant la contrebande et le trafic dans tous les ports chinois.

    Au XVIe siècle, l’aggravation du climat social au Japon suscite une recrudescence de la piraterie qui trouve un terrain idéal sur la côte chinoise. Le recrutement chinois s’intensifie. Les bases émaillent la côte depuis le Shandong jusqu’au Guangdong à partir de 1530. Les pirates pénètrent jusqu’à Nankin et dans le sud d’Anhui. En 1553-1555, les pirates massacrent les populations. Du côté des pirates, on a conservé le nom de Wang Zhi qui s’illustra dans la contrebande du soufre (matière première servant à la fabrication des explosifs) et, du côté des forces impériales, ceux de Hu Zongxian, Yu Dayou, Qi Jiguang, qui affaiblirent considérablement la piraterie wokou au cours des années 1560-1570.

  2. Anonyme permalien
    juin 24, 2009

    Merci liu
    quand j’étais petit, j’étais commandant d’un club de pirates !
    alors ton post m’a beaucoup intéressé.
    je croyais que la piraterie avait pris son essor après l’interdiction de navigation en chine, mais je vois dans ton texte que les Wokou existaient déjà.

    une des raisons de la défiance des ming pour la côte et l’activité maritime tenait justement à la présence de ces pirates

    a bientôt !
    Florent

  3. mai 13, 2010

    La vie maritime c’est passionant , j’aime bien les photos des maquettes de bateaux. Elle sont impéccables.

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