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Le moi chinois

2007 août 31
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Posted by florent

Une idée très répandue prétend que les chinois ne s’intéressent pas à leur moi. Le confucianisme privilégie le nous.

Confucius plaçait l’intention parmi les quatre défauts : intention (yi 意), dogmatisme (bi 必), obstination (gu 固) et égoïsme (wo 我). Le néo confucianisme (dynastie song) a renforcé le principe du Li, l’ordre des choses auquel chacun doit se conformer.

A l’évidence, cette idée est souvent observable : l’individu s’efface devant le groupe et l’harmonie des choses. Je l’avais fait remarquer dans deux scènes de bistrots parisiens.

Toutefois, l’histoire chinoise comprend quelques courants contraires.

Sans vouloir entrer dans des principes subtils que je ne maîtrise pas, comme le coeur ou l’intention ou les émotions, je me contenterai ici de signaler un article intéressant de Frédéric Wang sur ce sujet, tiré d’un passionnant colloque de l’ENS sur la modernisation de la chine (voir page 183), et d’en reprendre quelques citations que j’ai trouvées intéressantes.

Par exemple, dès l’époque de Mencius (4e s av JC), Gaozi 告子 affrirme que :

La nature est comme une eau qui tourbillonne.

Qu’on lui ouvre une voie vers l’orient, elle coulera vers l’orient ; qu’on lui ouvre une voie vers l’occident, elle coulera vers l’occident. La nature de l’homme ne distingue pas le bien et le mal, de même que l’eau ne fait pas de discrimination entre l’orient et l’occident

Il faut surtout parler ici d’un courant dit “intuitioniste”, qui s’étale entre les XIIe et XVIIe siècles de notre ère. 

Les débuts de ce mouvement sont attribués à Lu Jiuyang, qui s’opposa à Zhu Xi en affirmant que

« le coeur est le Principe »

(xin ji li ye 心即理也)

Notons que ZhuXi

n’écrasait pas la personne au nom du li 理.

Il a par exemple écrit cette jolie phrase qui fait de la personne “un petit monde” :

Même si le coeur n’est maître que d’un seul corps, sa souplesse constituante suffit à diriger le Principe de l’univers ; même si le Principe est dispersé parmi les dix mille choses, sa subtilité fonctionnelle ne dépasse pas finalement le coeur d’un homme

A la même époque, Yang Jian 杨简 (1140-1226) tient ce propos à tendance bouddhique :

Ce qui est mutation (yi ), est soi-même (ji ). Le Ciel et la Terre ne sont rien d’autre que mon Ciel et ma Terre. Les changements ne sont que les miens

ll porte un regard plutôt négatif sur l’intention et sur les émotions :

Le coeur de l’homme est juste (zheng ) à l’origine. Quand il s’émeut (qi ), il devient intention (yi ) et ensuite confusion (hun ). Si le coeur ne s’émeut pas et n’est pas confus, il est dans la droiture et [peut] se déployer.

Plus tard, au milieu de la dynastie Ming, le penseur Wang Yangming développe encore la pensée du coeur, intuitionniste, contre celle du principe (理学 lixue néo-confucianiste) :

Ce qui commande au corps, c’est le coeur. Le déploiement du coeur, c’est l’intention (yi). La constitution originelle de l’intention est l’aptitude à connaître (zhi 知). Là où se dirige l’intention, se trouvent les choses (wu 物).

身之主宰便是心;心之所发便是意;意之本体便

是知;意之所在便是物。

Plus tard, Liu Zongzhou 刘宗周 (1578-1645, grand lettré qui se suicida par grève de la faim à la chute des Ming), approfondit la notion d’intention et lui donne une valeur morale :

Ce qu’on appelle l’intention (yi), c’est l’orientation du coeur, tout comme la boussole qui s’oriente nécessairement vers le sud. L’unique orientation vers le sud de la boussole ne dépend pas du geste de se lever. Toute « orientation » désigne une « orientation fixe ». Sans le terme « fixe », il n’y a pas le terme « orientation ». D’où on peut savoir que l’intention est le maître du coeur.

心所向曰意,正是盘针之必向南也,只向南,非

起身向南也。凡言向者,皆指定向而言,离定字

,便无向字可下,可知意为心之主宰矣

De belles réflexions sur l’être humain !

7 Réponses Leave One →
  1. apostasie permalien
    octobre 21, 2007

    Mais une boussole ça indique le nord non?

  2. florent permalien
    octobre 21, 2007

    haha; amusante question !
    une boussole indique le “nord-sud”, et par convention (en france en tous cas) on dit que la boussole indique le nord grâce à son aiguille rouge. Mais effectivement ta curiosité a aiguisé la mienne : j’ai vu sur google que la convention chinoise était plutôt de dire que la boussole indique le sud ; comme exprimé par Liu Zongzhou ci dessus.

    voir par exemple un dessin d’une boussole chinoise de 1044 ap JC :
    “Voici comment, dans un traité militaire (Wou King Tsong Yao), Tseng Kong-Liang décrit le « poisson-montre-sud » :
    « Au moment de s’en servir, on place une tasse d’eau dans un endroit sans vent et, à l’équilibre, on lâche le poisson à la surface de l’eau en sorte qu’il flotte : sa tête indique constamment le sud. » (cité dans Tsing Hua, Journal of Chinese Studies, juin 1956, p. 89). “
    http://www.inrp.fr/lamap/?Page_Id=6&Element_Id=1038&DomainScienceType_Id=2&ThemeType_Id=2

  3. apostasie permalien
    octobre 21, 2007

    C’est une précieuse information, d’autant plus qu’il est fréquemment dit dans les textes classiques que « les hommes de bon sens se tourne face au sud… »
    Cependant ça n’explique pas la fonction du nord magnétique, et de la véritable confluence de l’aiguille… Enfin c’est une question difficile à aborder. Qui a-t-il au nord qui fait que le cœur se dirige vers le sud ? La queue du poisson ? ou es ce point fixe qui est donné à la fin et qui suggère l’idée de « perpétuel » ?

  4. florent permalien
    octobre 21, 2007

    Bien que mes garcons me taraudent pour que je leur explique les champs magnétiques ; je n’y comprends malheureusement pas grand chose !

    je me limite à reprendre les commentaires de dou sur le forum le chinatown (que tu as sans doute déjà lu) :

    http://www.lechinatown.com/index.php?showtopic=7543&pid=66232&st=0&#entry66232

    Je pense que les occidentaux s’orientaient precedemment sur l’étoile polaire, qu’on voit bien la nuit (alors qu’on ne peut aussi directement repérer le sud).
    Par ailleurs la masse qui attire l’aiguille de la boussole se trouve objectivement au nord

    “”"Les chinois donnaient une prépondérance au soleil, et le Kaogongji précise qu’on déterminait le sud en repérant les directions du lever et du coucher du soleil, et en retenant la direction mediane pour indiquer le sud. (et en complément la nuit ils visaient l’étoile polaire).
    Source?
    Toujours mon cher KAOGONGJI :
    “”"

    une question simplement : alors que les occidentaux privilégiaient la convention du nord en référence à cette masse du nord qui attire l’aiguille ; se pourrait il que les chinois privilégient le sud pour son vide ?

  5. apostasie permalien
    octobre 21, 2007

    je ne sais pas c’est tres compliqué, en tout cas le vide ne peut pas etre un objet, il est une abstraction il me semble.
    je disais:En revanche le cadrant horaire nous montre la boussole sous un autre angle : si on regarde une montre on voit que le nord est en haut (il est représenté par子), fidèle au cadrant solaire qui use de l’aplomb du soleil pour donner midi en bas en montrant une indication contradictoire de la position du soleil, avec la position de l’étoile polaire.
    La course des aiguilles représente la vie qui se disperse dans le temps, comme l’arrivé des rayons dispersent l’ombre.
    Si on regarde le mouvement du siphon, il se vide toujours dans le même sens en ce qui concerne notre hémisphère…
    Par contre, ce qui vient en rebours ça sera le sud venant à nous et semblant descendre de ses vastes longitudes, il est donc tonique comme le danger, et antihoraire comme la lune.
    Mais je suis dans l’erreur car il est fréquemment dit que la dispersion à lieu vers la gauche !
    Mais ces questions sont d’une complexité sans borne que même la science moderne n’arrive à résoudre: les lois newtoniennes sont aujourd’hui remisent en question par des travaux de mécanique cantique.

  6. octobre 23, 2007

    Voici une discussion très intéressante à rapprocher de la physique cartésienne.
    Influencé par Origène, Descartes pensait que le monde ne pouvait avoir été créé avec des espaces vides. Cela aurait signifié une création incomplète. Il a donc pensé une “théorie des tourbillons” pour expliquer les déplacements. Si je me déplace, une quantité de matière equvalente à mon volume prend ma place. Elle se déplace elle même et est remplacée par une autre quantité de matière.
    Cette théorie a été considérée comme obsolète après Newton et sa théorie de la gravitation, pour qui les espaces entre des corps qui ont une masse sont vides, mais elle pourrait être considérée comme l’ancêtre des physiques contemporaines des fluides.

  7. apostasie permalien
    octobre 23, 2007

    … Et de la fameuse théorie du Chaos, ou du papillon, c’est ce que je voulais dire au sujet de mécanique cantique qui implique les notions d’espace et de temps : On a prouvé l’existence d’une certaine simultanéité entre des signaux d’ordre de l’instantané. Et c’est ce qui implique des ensembles ou des motifs.
    Cette théorie est issue d’une expérience sur le climat, ai-je lu dans ce livre de Gleick http://www.edelo.net/chaos/sommaire.htm
    Cela à donné une toute autre façon d’aborder la science, une façon beaucoup plus empirique. Peut être un peu à la façon de notre chère antiquité chinoise, répertoriant toute chose dans le tableau des cinq éléments afin de bénéficier d’une meilleure stabilité dans l’objet du développement de leur raisonnement.

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