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Huo Datong, la Chine sur le Divan 5/10

2008 août 3
Posted by florent

Huo Datong : La Chine Sur le Divan (entretien avec Dorian Malovic)

Huo Datong est le premier psychanalyste chinois (ami de Dai Sijie) ; Dorian Malovic (que je salue au passage ;-) est journaliste au journal La Croix. Dans leur entretien ils abordent une question tellement délicate qu’elle est encore totalement en friche : La psychanalyse  a-t-elle une place en Chine ? Ses principes et mythes fondateurs sont ils par essence occidentaux, ou universels avec des déclinaisons particulières à la Chine ?


Le projet est ambitieux, saluons-le ! Je me suis longtemps posé la question de l’universalité du complexe d’oedipe ; ce livre y apporte quelques éléments de réponse. Comme dit Huo Datong à Dorian Malovic dans l’introduction : « l’essentiel n’est pas de tout comprendre, mais avant tout de se comprendre ».

M Datong commence par raconter son histoire personnelle, riche et très originale : Ce Sichuanais a vécu enfant la révolution culturelle, puis s’est beaucoup cultivé sur l’occident en ayant un accès privilégié à des livres , puis a vécu à Pékin avant de venir en France étudier et faire son analyse. Il est retourné au Sichuan où il pratique cette discipline si peu présente et apparemment si peu adaptée à la société chinoise.

Les effets du marxisme sont abordés, et plus intéressant la question du langage et de l’écriture. Lors de son analyse Huo Datong écrivait et décomposait

 les caractères qui lui venaient à l’esprit !

Il reprend dans le livre (page 41) la fameuse phrase de Lacan « l’inconscient est structuré comme un langage » et l’adapte de manière intéressante : « l’inconscient de tous les êtres humains est structuré comme l’écriture chinoise ».

Plus loin une phrase p53 est plus choquante pour des oreilles françaises : « je ne redoute pas de dire que la psychanalyse joue à sa façon le rôle de la confession, mais sans jugement moral. »

 


La seconde partie est intitulée « inconscient chinois, inconscient occidental » et aborde quelques questions de fond. Les pages 60 à 80 sont très intéressantes ; elles traitent d’Œdipe, de la filiation qui prime en chine sur la sexualité, du contrat de mariage si important en occident alors qu’en chine le lien familial reste toujours présent. Huo Datong estime que Freud a surévalué le poids du père dans la relation familiale. Ce point s’est affaibli en occident, et il n’est pas très marqué en Chine.

Le mythe de Narcisse est ensuite abordé (Œdipe et Narcisse sont selon le psychanalyste « deux mythes majeurs de la culture occidentale »), avec là aussi des points communs (la satisfaction de l’enfant qui se découvre dans le miroir) et des différences majeures. La mort narcissique (avec l’illustration du Christ en croix) est proprement impensable en environnement chinois, dans une culture qui a toujours célébré la vie. 

On lit page 74 : « Freud et Lacan ont accentué le meurtre du père, mais en Chine non, les ancêtres sont toujours bien présents, presque vivants. ». J’avais eu une intuition très proche de celle là lors de conversations sur Œdipe avec des Chinois à Shanghai.

Par contre Huo Datong identifie, après dix ans de pratique en chine, un mythe particulier à la Chine : celui de la naissance du fils du ciel. Ce passage est très court (p76 à 81) mais très intéressant.  Diverses situations de naissance sont présentés : dans le Shijing (livre des odes) , la naissance de la dynastie Shang ou de la dynastie Qin, Laozi, Libai

J’espère qu’il sera développé dans d’autres ouvrages par Huo Datong ou par d’autres.

S’ensuit un développement sur la structure familiale chinoise et ses évolutions : par exemple la politique de l’enfant unique qui est traumatisante car elle signifie que la terre chinoise ne peut plus nourrir tous les chinois.

On trouve page 98 un autre passage choquant sur les religions. Expliquant que le taoisme et le bouddhisme sont inopérants face aux pressions psychologiques subies par les chinois. Ce  qui me semble choquant, c’est le non dit d’une hostilité de la psychanalyse face aux religions, et la contradiction entre le statut de science affiché de la psychanalyse (Huo Datong l’affirme plusieurs fois dans le livre : la psychanalyse est une science) et cette vocation à remplacer l’espace mystique traditionnellement occupé par les religions.

 


La troisième partie est une sorte de panorama, assez peu intéressant à mes yeux, de la société chinoise contemporaine : sexualité ; homosexualité ; famille ; enfants uniques ; toilettes (oui , il y a bien une section sur les chiottes), deuil ; peur de la mort, jeu (comme espace d’oubli de la différence parents/enfants, homme femme…), amitié, corruption, chirurgien esthétique…

Notons une remarque intéressante page 143 : face aux tempêtes de neige qui ont empêché des millions de chinois de rentrer chez eux passer le nouvel an春节 en famille, Huo Datong affirme que nombre d’étudiants étaient très heureux de ne pas avoir à remplir cette corvée, ce qui montre bien un certain éclatement du carcan familial.

Le dernier chapitre parle de l’avenir de la Chine. Huo Datong demande avec douceur aux occidentaux d’accepter le fait que la chine trouve sa place comme puissance mondiale, un peu dans l’esprit d’une déclaration sur ce blog

 


En conclusion, ce livre qui présente une expérience tout à fait pionnière, l’introduction de la psychanalyse en Chine, m’a très peu intéressé.

Pourquoi ?

Parce que ma vie est assez marquée en ce moment par la quête du beau, et que ce livre offre finalement très peu d’expression du beau.

5 Réponses Leave One →
  1. Anonyme permalien
    août 3, 2008

    “La mort narcissique (avec l’illustration du Christ en croix) est proprement impensable en environnement chinois, dans une culture qui a toujours célébré la vie.”
    faites vous référence au suicide ? au don de soi (mourir pour l’ autre, sacrifier son égo )? au sacrifice ?
    je crois quand même qu’ en Chine on se suicide par honneur non ? est ce contradictoire avec le respect de la vie des chinois ?

    un éclairage supplémentaire: la mort narcissique veut elle dire mourir pour soi ou mourir pour l’ autre ?
    merci de m’ éclairer.

  2. Anonyme permalien
    août 3, 2008

    anonyme, je suis à présent plongé dans la calligraphie ; je vous conseille de vous procurer ce livre si le sujet vous intéresse.

    pour votre première question c’est le sacrifice qui est décrit comme spécifique.

    “L’image du Christ mort sur la croix est inimaginable en Chine. Un chinois aura toujours beaucoup de mal à comprendre le sacrifice du Fils de Dieu” venu sur la terre pour sauver les hommes. Cette contradiction est incompréhensible. Pour nous, Jésus meurt. C’est un échec. Dans les temples bouddhistes, les divinités sont assises, sereines ou sans expression, mais ne souffrent pas.” (l’auteur poursuit sur l’eucharistie en disant qu’en chine c’est l’inverse : on apporte à manger aux dieux pour qu’ils vivent)

    sur votre seconde question je dirais plutôt mort à soi mais je n’y connais rien ;-)

    une autre phrase vous intéressera peut être :
    « Freud et Lacan ont accentué le meurtre du père, mais en Chine non, les ancêtres sont toujours bien présents, presque vivants. ».

    mais lisez le livre !

    (vous aurez remarqué que Huo Datong n’est pas un grand ami des religions…)

  3. Anonyme permalien
    août 29, 2008

    Plus loin une phrase p53 est plus choquante pour des oreilles françaises : « je ne redoute pas de dire que la psychanalyse joue à sa façon le rôle de la confession, mais sans jugement moral. »

    Pourquoi cette phrase te choque?

    silouane.blog.lemonde.fr

  4. Anonyme permalien
    août 29, 2008

    salut silouane

    elle me semble choquante car elle affiche une vélléité religieuse : la psychanalyse serait une “nouvelle religion” ? Comme si les anciennes étaient bel et bien mortes ? S’assimiler à une religion comporte à mes yeux un risque de dogmatisme, voire de fanatisme. Le psy serait chargé du salut de son patient ?

    c’est comme si l’on disait que tous les sites d’amour virtuel jouent désormais le rôle l’amour. Comme si la page était tournée.

    Florent

  5. Anonyme permalien
    septembre 18, 2008

    “lle me semble choquante car elle affiche une vélléité religieuse :”
    Ce n’est pas nouveau, il y a toujours eu une espèce de tentative totalitaire ( dans le propre du terme) qui a prétendu apporter la bonne nouvelle à ces êtres malades.
    silouane.blog.lemonde.fr

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