Cheveux longs – 长头发
En ce moment, je lis une excellente biographie de Matteo Ricci, le premier européen qui ait écrit des livres en Chinois.
J’ai lu trois ou quatre livres sur Matteo Ricci, celui ci est le meilleur à mes yeux
Michela Fontana : Matteo Ricci 1552-1610 – un jésuite à la cour des Ming
Le livre est émaillé de citations de Matteo lui même, montrant un homme résolu malgré l’adversité et le découragement, un homme qui refuse l’esprit colonial ou même raciste qui prégnait dans la plupart des entreprises missionnaires de l’époque. Il reprend ainsi le combat de Valignano qui l’avait précédé de quelques années à Goa et à Macao. Pour prendre un seul exemple de cette fronde, citons le débat rapporté à la page 53 : l’establishment missionnaire en Inde, en accord avec le Vatican, refusait de former les prêtres indiens à la théologie, pour éviter qu’ils deviennent “des lettrés arrogants”. Mattéo Ricci s’indigne de cela, en disant que les prêtres européens sont eux aussi bien arrogants et demandant avec force que les prêtres locaux soient complètement formés, et surtout que les missionnaires apprennent les langues locales, s’adaptent aux coutumes, s’immergent dans la société qui les accueille.
Matteo Ricci suit les traces de Saint François Xavier, dont j’avais parlé dans ce blog, qui avait toujours voulu entrer en Chine sans jamais y parvenir. François Xavier avait vu qu’il ne serait possible de convertir les japonais qu’après avoir converti les chinois, tant l’influence morale de la Chine était forte à l’époque.
Dans ce livre toujours, on trouve page 61 un trait chinois qui étonne Mattéo Ricci : les hommes comme les femmes portent les cheveux longs. Les hommes rangeaient leurs cheveux sous un bonnet, les femmes riches les retenaient avec des épingles.
Trouvant étonnant que les hommes portent les cheveux longs, j’ai mené ma petite enquête.
L’article wikipedia sur la coiffure nous indique que les égyptiens se coupaient les cheveux (voir la photo à droite), que les grecs se frisaient les cheveux (quand ils ne l’étaient pas naturellement) pour se différencier des barbares, que les romains se coupaient les cheveux, encore pour se différencier des barbares.
Si nous restons en Europe, les tribus germaniques du nord portaient les cheveux longs, pour les hommes comme pour les femmes.
Et en Chine alors ?
Depuis l’antiquité les Chinois gardaient de longs cheveux, comme l’a observé Mattéo Ricci. Sous la dynastie Qing (à partir du XVIIe siècle), les mandchous ont imposé aux hommes chinois de se raser l’avant du crâne et de porter la natte, comme on le voit dans Tintin et le lotus bleu. Avant les Qing, il était peu commun pour les hommes de se couper les cheveux, en dehors des moines bouddhistes qui se rasaient le crâne.
On ne trouve pas en Chine de distinction entre “barbares” et civilisés selon la coupe de cheveux. (les barbares étaient plutôt ceux qui ne connaissaient pas les caractères chinois, les “barbares crus” 生番 par rapport aux “barbares cuits” (ou “barbares murs”) 熟番 qui lentement avaient assimilé l’écriture chinoise sans être chinois.
Un vieil adage nous renseigne bien sur la raison qu’avaient les hommes de garder les cheveux longs :
身体发肤 受之父母
Ton corps, jusqu’au moindre cheveu et jusqu’à la moindre parcelle de peau, tu l’as reçu de tes parents.
(ma traduction n’a pas été vérifiée ; les commentaires sont bienvenus. La phrase semble très ancienne ; elle est parfois attribuée à Confucius et parfois au bouddhisme, ce qui serait étonnant car les moines bouddhistes, à la différence des moines taoistes, se rasaient les cheveux)
Il semble donc que ce soit dans une logique confucéenne de préservation du corps, celui ci symbolisant la lignée et le rapport aux ancêtres, que les hommes aient dans la Chine ancienne évité de se couper les cheveux.
Si quelqu’un a des informations là dessus qu’il n’hésite pas à partager !
Le texte vient de 孝经, Xiaojing, Livre de la piété filiale. Le texte complet commande explicitement de respecter l’intégrité du corps : 身体发肤,受之父母,不敢毁伤,孝之始也。
On raconte qu’un prince Han, Lu Gong Wang, en entreprenant des travaux dans son palais, a démoli un mur de l’ancienne maison de Confucius et découvert un certain nombre de livres, dont ce Xiaojing.
Il y a effectivement des doutes sur l’auteur de ce livre. Peut-être 曾子, Zengzi, disciple de Confucius, ou même un disciple de Zengzi.
Il y a peu de chance que ce soit d’origine bouddhiste. Il y a l’anecdote de ce roi bouddhiste qui découpe sa propre chair pour nourrir un aigle en échange de la vie d’un pigeon. D’autre part, les moines se rasent la tête et, en plus, se mettent des marques de brûlure sur le crâne ou sur les bras. Enfin, le bouddhisme n’est pas contre le don d’organes, mais c’est peut-être une évolution récente.
“, que les grecs se frisaient les cheveux (quand ils ne l’étaient pas naturellement) pour se différencier des barbares, ”
Bonjour, je me permets d’apporter un commentaire pour m’élever contre cette sempiternelle myopie occidentalo catho-protestante, qui oublie que la Grèce est aussi un pays orthodoxe chrétien qui a eu une vie après la Grèce philosophique de Socrate. Les pseudo intellectuels se réfèrent toujours à cette période des philosophes grecs ou des tragédiens comme Sophocle mais après c’est le désert pour eux, ils ont même oublié les criminelles croisades qui sont passées par la Grèce avec de stupéfiants ravages sur leurs passages. Pour revenir aux cheveux, les moines orthodoxes, après la tonsure, traditionnellement ne se taillent plus la barbe et ne touchent pas aux cheveux, c’étai encore le cas dans les années 90 quand j’habitais en Grèce.
Valopedi, je parlais effectivement de l’antiquité grecque, car je m’intéressais dans ce billets à l’origine de la coupe des cheveux masculins.
Intéressant point sur les moines orthodoxes qui se coupent une fois les cheveux en rentrant dans les ordres (comme s’ils commencaient une nouvelle vie) et ensuite laissent tout pousser (dans une logique de respect assez proche finalement des chinois dont je parlais dans le billet).
Merci dada pour ton commentaire lumineux qui confirme les raisons que je suggérais pour que les hommes chinois gardent les cheveux longs : il s’agit de respect du corps, corps reçu des ancêtres à qui nous devons piété. Logique confucianiste plus que bouddhiste visiblement.
(l’anecdote que tu racontes sur le bouddhisme m’a donné des frissons dans le dos, j’avais aussi lu des textes du bouddhisme tibétain tout à fait sanguinolants et terrifiants, j’en avais les cheveux qui se dressaient sur la tête. Mais précisons ici que comme les romains et à la différence des lettrés ming, j’ai les cheveux courts