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Un homme de l'Ouest tente vainement de voir les choses comme on les voit à l'Est

Orient et occident chinois

2010 juin 8
Posted by florent

J’ai lu ce week end,  dans une nouvelle de Luxun (幸福的家庭) une phrase qui m’a beaucoup intrigué. On y mentionnait explicitement 西洋 et 东洋 comme occident et orient d’un point de vue chinois. Les termes ont sans doute un peu vieilli (la nouvelle date de 1924), mais cela m’ a interpellé sur cette notion d’occident déjà abordée dans ce blog, parfois pour comprendre cette notion, parfois pour s’en indigner.

洋 se traduit parfois par “outremer” ;  il y a une idée d’océan et d’étranger. On le retrouve dans des légumes venus d’outremer : 洋芋 (pomme de terre) 洋蔥 (oignon).

Voilà le texte de Luxun en version électronique :

“总之,这幸福的家庭一定须在A,无可磋商。家庭中自然是两夫妇,就是主人和主妇,自由结婚的。他们订有四十多条条约,非常详细,所以非常平等,十分自由。而且受过高等教育,优美高尚……。东洋留学生已经不通行,——那么,假定为西洋留学生罢。主人始终穿洋服,硬领始终雪白;主妇是前头的头发始终烫得蓬蓬松松像一个麻雀窠,牙齿是始终雪白的露着,但衣服却是中国装,

Traduction de la phrase en gras (l’auteur est en train de donner corps aux personnages du roman qu’il est en train d’écrire) :

Faire ses études en orient (Japon) n’est plus chose très courante, alors disons qu’ils ont fait leurs études en occident.

(notons l’usage de 罢 assez particulier en fin de phrase ; que j’ai retrouvé plusieurs fois sous la plume de Luxun)
J’ai l’impression que Luxun donne ici une vision de l’orient et de l’occident intéressante : occident d’un côté, orient de l’autre avec le Japon, et moi Chinois au milieu !  

Alors j’ai demandé ce week end à une amie japonaise qui m’a dit que pour elle 东洋 est un ensemble qui recouvre clairement trois pays : Chine, Japon et Corée !

On voit un curieux écart entre les visions chinoise (auto centrée)  et japonaise (proche d’un distinguo moderne familier entre le monde oriental et le monde occidental) . J’ai ensuite demandé à cette amie ce qui définissait 东洋 dongyang; elle m’a dit bouddhisme et baguettes (pour elle le japon est plus marqué par le bouddhisme chinois que par le confucianisme ; c’est un grand débat au japon je crois)

J’ai ensuite demandé à un ami taiwanais qui m’a confirmé les sens suivants : 

西洋 = outremer ouest (= occident car l’inde n’est pas vraiment outremer alors que l’occident a d’abord été outremer. L’ancien nom de l’inde c’est 西天 je crois : paradis de l’ouest) ;

东洋 = outremer est  (= Japon) ;

南洋 = outremer sud (Asie du Sud Est hors Inde et hors Australie)
Je crois qu’historiquement 南洋 désignait aussi les provinces côtières chinoises.
(j’ai oublié de demander a cet ami s’il considérait Taiwan comme faisant partie de 东洋 ou bien de 南洋 smiling bouncing smiley )

Pour cet ami les USA ne sont pas 东洋 (ils sont à l’est après tout) mais plutôt  西洋
pour lui l’australie n’est ni 东洋 ni 南洋
pour lui 西洋 est plus culturel que 西方 qui est très neutre ;  platement géographique.

Expo Shanghai

2010 mai 26
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Posted by florent

Je suis déjà allé deux fois à l’expo universelle de shanghai ; et j’y retournerai certainement pas mal de fois.

Avant des papiers plus détaillés, voici une photo de l’entrée à l’expo samedi dernier. L’expo c’est aussi cela !

Entre 70 et 100 millions de visiteurs attendus, pour les quatre cinquièmes chinois.

Une scène amusante : au pavillon de la polynésie francaise, nous parlons en français avec un très bel homme, les cheveux longs tressés vers l’arrière, en paréo laissant voir une imposante musculature du torse tatoué.

Ce monsieur pose toute la journée avec de jeunes femmes chinoises qui se collent à lui pour la photo. La photo. La photo !

Je lance au tahitien en francais :

- ben dites donc, il est pas mal votre métier !

- faut pas croire monsieur, il est dix heures du matin et j’en suis déjà fatigué.

Arrive une mégère replette et peu attirante qui va se fourrer dans ses bras pour la photo. Je lui lance à nouveau

- alors là vous avez gagné le gros lot !

Il me regarde en souriant.
Amusante complicité avec quelqu’un qui n’avait jamais quitté l’asie pacifique mais qui partage ma nationalité et ma langue.

Les crayons de Bourvil

2010 mai 22
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Posted by florent

Je prépare ce week end une petite présentation de la chanson française pour des étudiants de littérature de l’université Fudan (Shanghai).

Comptant présenter une chronologie (remontant à la chanson de geste) puis une approche par thèmes (humour, contestation, émotion, poésie), je suis amené à traduire quelques chansons françaises en chinois.

Voici les crayons de Bourvil, une chanson drôle je trouve, qui dans la période difficile de l’après guerre dénonce le misérabilisme qu’on retrouve aussi bien chez Zola que chez l’écrivain LaoShe (voir un livre et un autre livre commentés sur ce blog). J’ai parlé de cette chanson avec plusieurs chinois qui sont en général sensibles à cet humour. Le misérabilisme est vraiment déprimant par son fatalisme.

J’avais tourné avec mes enfants (et quelques autres volontaires) une vidéo sur cette chanson. Elle est sur youtube.

Voici ma traduction en chinois, un peu maladroite car ce n’est pas si facile que cela. Le vocabulaire est très simple, mais l’ironie, les quelques jeux de mots et surtout les redondants pléonasmes (赘言 en chinois) compliquent un peu les choses.
Ell’ n’avait pas de parents,
Puisque elle était orpheline.
Comm’ ell’ n’avait pas d’argent,
Ce n’était pas un’ richissime.
Ell’ eut c’pendant des parents,
Mais ils ne l’avaient pas r’connue,
Si bien que la pauvr’ enfant,
On la surnomma l’inconnue.Ell’ vendait des cart’ postales,
Puis aussi des crayons,
Car sa destinée fatale,
C’était d’vendr’ des crayons.
Elle disait aux gens d’la rue :
“Voulez-vous des crayons ?”
Mais r’connaissant l’inconnue,
Ils disaient toujours non.
C’est ça qu’est triste.
C’est triste quand même de n’pas reconnaître son enfant,
Il faut pas être physionomiste !
Il m’semble que si j’avais un enfant, moi je le reconnaîtrais !
A condition qu’il me ressemble, naturellement !
C’était rue d’Ménilmontant,
Qu’elle étalait son p’tit panier.
Pour attirer les clients,
Ell’ remuait un peu son panier,
Mais un jour, un vagabond
Qui passait auprès d’son panier
Lui a pris tous ses crayons,
Alors, ell’ s’est mise à crier :

“Voulez-vous des cartes postales ?
Je n’ai plus de crayons.”,
Mais les gens, chose banale,
N’voulaient plus qu’des crayons.
Quand elle criait dans la rue,
“Voulez-vous des crayons ?”
Ils disaient à l’inconnue :
“Tes crayons sont pas bons.”,
C’est ça qu’est triste.

C’est triste quand même, elle avait plus d’crayons.
Forcément, elle s’baladait avec son panier à découvert, n’est-ce pas ?
Alors l’vagabond, lui, il passait à côté d’son panier, n’est-ce pas ?
Alors avec sa main, alors … heu … hop !
Il lui a pris tous ses crayons, comme ça elle n’en avait plus.
C’est vrai qu’elle n’en avait pas besoin puisqu’elle n’en vendait jamais !
Mais quand même !

Un marchand d’crayons en gros
Lui dit : “Viens chez moi mon enfant,
Je t’en ferai voir des beaux,
Je n’te demanderai pas d’argent.”
Ce fut un drôle de marché,
Car c’était un drôle de marchand,
Et elle l’a senti passer,
Car elle en a eu un enfant.

C’est triste ça quand même d’abuser d’une inconnue comme ça !
C’est vrai qu’elle a été faible aussi !
C’est pas parce qu’il disait qu’il avait un… qu’il était…
Enfin, elle avait un enfant quoi, elle avait bonne mine !
Si seulement elle avait eu une mine de crayon !
Mais non, mais c’est ça qui la minait !
Alors elle l’a abandonnée, son enfant,
Et qu’est-ce qu’elle a fait plus tard cette enfant, hein ?

Elle vendait des cartes postales,
Puis aussi des crayons,
Car sa destinée fatale,
C’était d’vendre des crayons.
Elle disait aux gens d’la rue,
“Voulez-vous des crayons ?”
Mais r’connaissant l’inconnue,
Ils disaient toujours non.
C’est ça qu’est triste.

她没有过爹娘
所以她是孤儿.
因为她没有钱
所以她不很富.
她其实有爹娘
可惜他们不认她
到头来这个可怜的她
被叫作”无名氏”.她曾经卖明信片
也卖铅笔
她命中注定就要卖铅笔
她在街上叫卖”卖铅笔了”
只是她的名字是”无名氏”
没人愿意要她的铅笔
好可怜啊!

怎么笨到不认识自己的孩子
即使他们记性不怎么样啦!
我想如果我有自己的孩子,我一定会认得她!
当然她得像我才行 !
她在Ménilmontant路上张开她的小篮子
她指望招引客人
摇动她的篮子
但是有一天
小偷儿在她的篮子边走过
她的铅笔都被拿去了!
她开始喊叫:

“卖明信片了!
铅笔都没有了!”
可是行人显而易见
只要买铅笔.
她喊叫”卖铅笔”的时候
行人跟她说: “你的铅笔不好”
好可怜啊!

太可惜了. 她铅笔都没有了.
因为小偷儿都偷了.
她敢情不需要铅笔
因为她原来没卖一支笔!
却是可怜啊!

一个铅笔商
来跟她说:
“你来我家吧
我给你看漂亮的铅笔
你不用付钱!”
这是奇怪的交易
因为他是奇怪的商人
她感觉到他经过
因为她有了个小孩.
可不可悲这样占便宜?
可是她也软弱啦!

所以她抛弃了她的孩子
这个孩子后来干了什么活儿啊?

她卖明信片
也卖铅笔
她命中注定就要卖铅笔
她在街上叫卖”卖铅笔了”
只是她的名字是”无名氏”
没人愿意她的铅笔
好可怜啊!

Poèmes de Gucheng 顾城

2010 mai 22
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Posted by florent

Quel plaisir ! J’ai repris les cours de chinois après une interruption plutôt longue lors de mon emménagement à Shanghai.

Ma prof est super, je la salue et la remercie pour toute son aide. Les traductions que je publierai ici désormais sont largement de sa patte !

Alors commencons par quelques poèmes de Gucheng (j’avais déjà traduit ici l’un de ses poèmes)

Gucheng est un poète contemporain maniant un langage d’une extrême simplicité. Ses vers sont accessibles à un étudiant non confirmé en chinois. Il s’inspire de la nature, de la lumière, et garde une imagination d’enfant, qui contraste avec sa tragique disparition.

Etoiles, acrylique du "Naked Pastor"

星月的来由

树枝想去撕裂天空
却只戳了几个微小的窟窿
它透出天外的光亮
人们把它叫做月亮和星星

L’origine des astres

La branche d’arbre se tend pour déchirer le ciel
Mais n’arrive qu’à percer de tous petits trous
Qui laissent passer la lumière de l’au-delà du ciel.
Les hommes les appellent lune, et étoiles

顾城, 1968

 

这是最美的季节
可以忘记梦想
到处都是花朵
满山阴影飘荡

这是最美的阴影
可以摇动阳光
轻轻走下山去
酒杯叮当作响

这是最美的酒杯
可以发出歌唱
放上花香捡回
西边都是太阳

这是最美的太阳
把花印在地上
谁要拾走影子
谁就拾走光芒

(下缺)
Décembre 1988

———————————–

C’est la plus belle des saisons

On peut oublier ses rêves

Il y a des fleurs partout

Sur la montagne, leur ombrage ondoie.

 

C’est le plus beau des ombrages

Il peut agiter les rayons du soleil

Tout léger je descends de la montagne

Mon verre à vin tinte.

 

C’est le plus beau des verres à vin

Il peut chanter des hymnes

S’y verse le parfum des fleurs cueillies

A l’ouest rayonne le soleil.

C’est le plus beau des soleils

 

Il imprime les fleurs sur le sol

Qui veut en ramasser la trace,

Récoltera aussi un rai.

T’as vu la Maserati qui vient de passer ?

2010 mai 13
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Posted by florent

Vu dans un bureau , des poissons rouges qui sont là pour le fengshui et qui jouissent d’une très jolie vue

Et j’en profite pour coller ici un poème tout frais du petit côme

Le feu

 

Devant un feu lumineux

Eloi s’est assis

Et pense aux inuits dans la nuit

A qui une alumette ferait plaisir

Mais pourquoi?

Parce qu’une simple alumette suffit a engendrer un immense brasier

Come, 9 ans

Grands mots

2010 mai 11
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Posted by florent

Étant au bureau samedi, j’ai déjeuné dans un petit restau que j’aime bien. Le cadre est rétro, avec des meubles ancien en cuir comme on en trouve a Shanghaï, mêlant merveilleusement les formes d’Europe et de Chine. A la sono passaient Mike Oldfield, Cat Stevens, Tracy Chapman, et la fameuse ” Hélène, je m’appelle Hélène”.

Dehors défilaient les bus shanghaiens, les passants shanghaiens. Le patron du restau est un architecte japonais, sa femme est une élégante shanghaienne. Leur enfant jouait avec un ballon de baudruche dans l’escalier. La grand-mère s’affairait dans un coin.

 J’étais comme d’habitude un peu gêné au début, ne sachant pas s’il fallait s’adresser au patron en anglais ou en chinois. Je ne sais jamais ce qu’il préfère.

Mais sinon je me sentais vraiment bien.

Je me sentais bien français. Français, je ne l’étais pas moins que si j’eusse été en train de siroter un petit noir boulevard Hausmann.

Le patron et la patronne étaient mes hôtes, aux petits soins.

Les passants shanghaiens étaient mes voisins. Des visages alternativement beaux, soucieux ou pressés, attachants.

Cat Stevens était mon cousin : une langue si facile, et tant de souvenirs et de culture en commun!

Deux questions un peu difficiles me sont venues à l’esprit :

Pourquoi identité doit il rimer avec fierté et rivalité ?

Pourquoi construire de grands mots comme occident ou 中华 ?

Toilettes et portiques du Huizhou

2010 mai 11
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Posted by florent

Nous avions déjà signalé le merveilleux slogan : “un petit pas en avant ; un grand pas pour la civilisation

Voici une seconde photo, prise dans le Huizhou (au sud de la province de l’Anhui). Mon fils fait le mariole devant un panneau assez amusant aussi :

靠近方便 Se rapprocher encore des commodités
走近文明 Faire avancer encore la civilité

Plus classique comme photo de voyage : une troupe de mégères fait un ballet basique devant un joli portique aux ancêtres, sur la place du village de Xidi.

Jean Francois Billeter, Contre Francois Jullien 6/10

2010 mai 6
Posted by florent

 Alors que je commence ce billet, je ne sais pas bien où il me mènera, car son sujet est des plus profonds et indéchiffrables pour moi. Le livre commenté ici traite de la délicate question de l’altérité chinoise.

Alors que j’apprends le chinois depuis dix ans maintenant, dont quatre en Chine, j’ai acquis la conviction que la différence culturelle est une épreuve difficile à vivre. Face à cette difficulté, j’observe deux tendances aussi dangereuses l’une que l’autre : universalisme et culturalisme.

  • nier la différence. Affirmer que nous sommes tous des hommes libres et égaux, et refuser de s’attarder sur ces écarts qui ne sont que d’archaïques accidents historiques.
  • vénérer la différence. La mettre sur un piédestal et la louer, presque comme on adorerait une idole.

 Les deux erreurs sont possibles ; je crois que je commets plus souvent la seconde et je connais beaucoup de gens qui s’enfoncent dans la première. Rares sont ceux qui arrivent à placer la différence culturelle de manière juste, équilibrée.

J’avais repéré deux phrases contradictoires (ou difficilement réconciliables) de M Billeter sur ce thème de la différence culturelle.

Une fois un forumiste français sinophile m’a écrit cette formulation :

Les hommes ? Tous pareils, tous différents. 

Une formule que je trouve de circonstance.

 

Venons en au livre maintenant.

Jean-Francois Billeter est un fameux sinologue, dont j’ai apprécié la lecture en particulier dans ses ”études” et ses ”lecons sur le Zhuangzi

Francois Jullien est normalien, il écrit beaucoup sur le thème d’un “détour d’intelligibilité par la pensée chinoise”. J’ai lu et apprécié plusieurs de ses ouvrages. 

Comme le titre l’indique, ces deux auteurs se déchirent. François Jullien a publié une réponse collective à ce livre, publication que j’ai commentée sur ce blog 

Les deux auteurs ont pourtant participé ensemble à des publications comme un numéro spécial de la revue “philosophie” sur la pensée chinoise.

M Billeter distingue page 20 quatre positions possibles des intellectuels chinois dans la relation qu’ils entretiennent avec leur propre culture : les iconoclastes (rejet total), les critiques (compréhension des sources dans un but d’affranchissement), les comparatistes et les puristes (défendant une civilisation chinoise originelle et essentielle, à préserver coûte que coûte). Prises dans cet ordre, les quatre positions vont du plus réformateur au plus conservateur.

M Billeter passe beaucoup d’énergie à démonter la démarche de M Jullien. Mais ses arguments se retournent parfois contre lui. Il affirme que F Jullien généralise la chine en une pensée immuable et fixe, mais lui même résume tout l’exercice du pouvoir chinois, depuis ses orginines et à travers les dynasties et les monarques, en un “despotisme impérial” qu’il n’a de cesse de dénoncer. M Jullien présente une “vision idéalisée de la “pensée chinoise”" ; M Billeter présente une vision satanisée du “despotisme impérial”.

Page 51 M Billeter se contredit sur un problème de traduction. Il propose de traduire le tao par la “technique” dans un passage du Zhuangzi (le nageur de la cascade de luliang) et dans un autre passage du zhuangzi (le boucher ding) sa restitution en francais donne “ce n’est pas la technique qui intéresse votre serviteur, mais quelquechose de plus profond : le tao” (M Billeter propose ici de remplacer le tao par la voie). On voit bien que la première proposition de traduire le tao en “technique” n’est pas correcte. Elle cherche à rendre le texte intelligible plutôt que fidèle, mais finit par le trahir. Mais le discours repart de manière intéressante dans les pages suivantes sur le thème de la polysémie et sur celui de la quête philosophique du sens des mots.

Plus loin, page 58 puis page 82, M Billeter dénonce le “mythe de l’altérité foncière de la Chine”. Nous voilà au coeur du sujet.

 J’estime qu’on ne peut rapprocher des textes philosophiques chinois de textes philosophiques occidentaux qu’en posant d’abord qu’ils ont un objet commun, en dégageant cet objet et en examinant de quelle facon il est appréhendé de part et d’autre. Francois Jullien ne se préoccupe pas de l’objet commun. Il pose a priori qu’il a affaire à des univers de langage autonomes, qui diffèrent par leur logique autant que par leur objet, et qu’on ne peut donc comparer que du dehors, en les “mettant en regard”. Mais quand elle n’est plus lestée par aucune expérience commune, cette comparaison se réduit à un jeu gratuit.

Pourquoi ce besoin de se rassurer en partant du commun? Pourquoi ce besoin de “lest”, d’un “objet commun” pour développer le dialogue ? N’est ce pas le signe d’un manque d’assurance ou de respect, ou bien le signe d’une difficulté à se décentrer de son référentiel ? D’une difficulté à lâcher prise sur cette idée qu’on se fait du “commun de l’humanité” ? Dans mon expérience, la conception de “l’universel humain” n’a cessé de s’éroder au contact d’autres civilisations (11 pays d’Afrique, puis la Thailande puis la Chine). Je me rends compte que beaucoup de ce que je voyais comme humain est en fait culturel. Certes cette prise de conscience est un peu douloureuse ; mais on s’y fait et elle est même stimulante. On se retrouve moins en “donneur de leçon” et plus en situation d’apprenti. La relation est beaucoup plus facile.

Voir sur ce thème une longue discussion de forum  à partir d’un article qui affirme très maladroitement que “l’altérité de la Chine est une construction de sinologues”.

Pour moi il y a altérité dès qu’il y a pluralité, c’est à dire dès qu’il y a un autre qui a statut de sujet, un autre qui agit de manière plus ou moins autonome. Ma femme est une altérité pour moi. Mes enfants aussi (dans un degré moindre). M Billeter aussi. Un chinois que je rencontre aussi. Et ce d’autant plus qu’il existe entre nous cette différence culturelle dont je soulignais ci dessus la difficulté. L’altérité nous résiste, elle nous use et nous altère. Mais je crois qu’elle nous enrichit en fin de compte.  

Plus loin encore M Billeter affirme son credo individualiste.

Pour moi il n’y a rien au dessus de la “personne”, et surtout rien au dessus de deux personnes qui s’entendent par l’usage de la parole et de la raison.

A t il testé son crédo avec des chinois de Chine, des chinois moyen ? Il me semble que bien peu d’entre eux seraient d’accord sans réserve avec cette phrase. La famille, la société, la culture, la nature, la calligraphie, la peinture, voilà beaucoup de choses qui dépassent la personne, me semble t il déceler dans des conversations ou lectures ici à Shanghai.

 L’auteur conclut par un appel à la destitution (ou au dépassement) de ce qu’il appelle « despotisme impérial » au profit de l’émancipation de la personne.

Là encore, bien peu de gens ici en Chine semblent disposés à cela aujourd’hui, dans les termes de M Billeter. Il me semble lire chez lui un projet politique (ou un rêve politique ?) dont les germes observables en Chine ne préfigurent en rien de la finalité et des formes affirmées par M Billeter.

 

Le livre reste très enrichissant et intéressant à lire.

Hu Shi, 1000 caractères, et moi et moi et moi

2010 avril 25
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Posted by florent

 

L’intellectuel Hu Shi 胡適 est originaire du Huizhou. On raconte qu’à l’âge de 4 ans il connaissait déjà 1000 caractères !

Cette anecdote m’a plongé dans une certaine perplexité sur mon apprentissage du chinois. Dur dur.

Hu Shi fut le premier disciple chinois de John Dewey ; il contribua beaucoup à la modernisation de la langue chinoise ; il vécut aux Etats Unis puis dirigea l’université Beida de Pékin. En 1949 il quitta la chine communiste et finit sa vie à Taiwan.

Voici quelques uns des conseils qu’il donna en matière d’expression écrite en chinois (source wikipedia) :

  1. Write with substance. By this, Hu meant that literature should contain real feeling and human thought. This was intended to be a contrast to the recent poetry with rhymes and phrases that Hu saw as being empty.
  2. Do not imitate the ancients. Literature should not be written in the styles of long ago, but rather in the modern style of the present era.
  3. Respect grammar. Hu did not elaborate at length on this point, merely stating that some recent forms of poetry had neglected proper grammar.
  4. Reject melancholy. Recent young authors often chose grave pen names, and wrote on such topics as death. Hu rejected this way of thinking as being unproductive in solving modern problems.
  5. Eliminate old clichés. The Chinese language has always had numerous four-character sayings and phrases used to describe events. Hu implored writers to use their own words in descriptions, and deplored those who did not.
  6. Do not use allusions. By this, Hu was referring to the practice of comparing present events with historical events even when there is no meaningful analogy.
  7. Do not use couplets or parallelism. Though these forms had been pursued by earlier writers, Hu believed that modern writers first needed to learn the basics of substance and quality, before returning to these matters of subtlety and delicacy.
  8. Do not avoid popular expressions or popular forms of characters. This rule, perhaps the most well-known, ties in directly with Hu’s belief that modern literature should be written in the vernacular, rather than in Classical Chinese. He believed that this practice had historical precedents, and led to greater understanding of important texts.

Le mot du jour : 山寨 shan1zhai4 “fake”

2010 avril 24
Posted by florent

A l’origine, 山寨 désigne un village fortifié reclus dans les montagnes, perdu.  Un fortin (dans 寨 on voit en bas le bois 朩(木)) reculé tel que les 108 brigands du bord de l’eau en avaient construit.

Aujourd’hui le terme désigne tout ce qui est faux, copié, produit hors circuits. L’expression a commencé avec les téléphones portables, ai-je entendu dire. Les brigands qui font cela travaillent dans l’ombre, hors circuits, dans le noir (couleur de la mafia en Chine)

Et les bandits de la contrefacon moderne sont créatifs !

Regardez ce “téléphone portable – paquet de cigarettes (lien en chinois)”

Pas mal non ?