Jeudi 29 Septembre 2005

Savoir qu'on sait ? Zhi bu zhi dao

La forme de l'écriture chinoise (utilisation de dizaines de milliers d'idéogrammes par rapport à un alphabet de 26 lettres) influe beaucoup, me semble t il , sur le rapport qu'un individu entretient vis à vis du savoir.

 

Pour l'occidental, il y a des clés pour comprendre. Une fois que j'ai saisi les 26 lettres, je peux facilement lire n'importe quel mot ; c'est un univers de possibles qui s'ouvre car je connais l'alphabet, je le maîtrise. C'est ainsi qu'en rassemblant une quarantaine d'érudits, on obtient l'académie Française qui jour le rôle de garant de la langue. Ici, 40 personnes peuvent veiller sur une langue.

 

 

 

Pour un chinois c'est tout autre chose : il a appris 25 caractères par jour, par cœur, jusqu'à sa classe de terminale, et il continue en tant qu'adulte. Les vieux lettrés (il n'y en a plus beaucoup), qui maitrisaient quelques dizaines de milliers de caractères, continuaient même à des âges de vieillards à en apprendre de nouveaux chaque jour. Il n'y a pas de clés.

 

On pourrait  bien sur objecter en mentionnant les radicaux , qui se combinent pour éclairer quelque peu un caractère ou un mot : cerveau + électrique = ordinateur (Diannao ). Mais 5000 ans d'histoire se sont chargés de brouiller les pistes, et les clés ou radicaux de caractères ne permettent généralement pas d'accéder facilement à la phonétique du caractère ou à son sens. Donc le chinois ne tient pas la solution qui lui permet de se débrouiller ; il doit continuer à apprendre sans relâche, et évoluer dans un contexte d'incertitude.

 

Si l'on voulait rassembler une « académie chinoise », il faudrait des centaines d'experts pour prétendre faire tenir une portion significative de la connaissance linguistique dans une salle. Plusieurs empereurs ont essayé (Qin Shi Huangdi est resté célèbre pour cela juste avant la dynastie des Han), mais des chantiers de plusieurs années impliquant des centaines de personnes n'ont pu que produire des jalons dans l'histoire de la langue ; des points isolés de convergence qui prenaient des formes de dictionnaires mais ne duraient qu'un temps.

 

 

 

Revenons à l'attitude du chinois vis à vis de sa langue , et vis à vis du savoir en général : je ne sais pas ; je n'ai pas les clés ; chaque nouveau caractère est une énigme à déchiffrer.

Le problème de cette attitude, d'accord, c'est son caractère laborieux. A l'école c'est du « par cœur » tous les jours ; moins de dissertations, d'expression individuelle, de créativité. J'ai 25 caractères à recopier et à apprendre. Ce point joue certainement dans la difficulté qu'ont les chinois à appréhender la notion de propriété intellectuelle telle qu'elle est définie en occident ; il n'y a rien de mal à copier puisque je l'ai fait toute ma scolarité ; c'est comme cela que j'ai appris.

 

 

 

Mais l'attitude du chinois face au savoir n'est elle pas d'une modernité frappante dans notre époque d'incertitude, avec un futur indéchiffrable, qui nous demande sans cesse plus de flexibilité et d'ouverture à l'ambigu et au nouveau ?

 

 

 

Je vois autour de moi tellement d'européens qui vivent mal l'incertitude , qui s'accrochent à un savoir (à une clé) jusqu'à en devenir bornés ou coupés de leur environnement. Je vis moi même cela ; souvent en cours de chinois me vient un sentiment de révolte : pourquoi apprendre tout cela ? quand aurais je enfin les clés ? J'ai beau chercher mais je n'aurai jamais les clés. Soit je continue à apprendre, soit j'arrête et j'oublie tout. Par contraste en chine j'étais sans cesse frappé par la flexibilité des personnes dans le travail, et face à des situations mouvantes en général.

 

 

 

 

碱!诲女知之乎!知之为知之,不知为不知,是知也

(désolé, ces caractères chinois n'apparaissent 
pas toujours bien sur les PC)

 

 

 

 

 

 

Tu veux un enseignement sur le savoir ? ce que tu sais, tu le sais ; ce que tu ne sais pas, tu ne le sais pas. C'est sage.

 

Confucius.

 

Je ne résiste pas au plaisir de recopier une page du Zhuangzi :

 

Nie Qie demanda à Wang ni :

« connaissez-vous une vérité unanimement admise par tous les êtres ?

- comment pourrais-je la connaître ?, répondit Wang Ni

- connaissez-vous que vous ne la connaissez pas ? demanda Nie Qie

- comment le pourrais-je ? répondit-il.

- alors les êtres ne connaissent rien ? demanda Nie Qie

- comment le saurais-je ? reprit Wang Ni. Pourtant je tâche de vous exposer mon opinion. Comment peut on savoir si ce que j'appelle « connaître » n'est pas « ne pas connaître » ? Je me permets de vous demander : un homme couché dans la boue y attrapera un mal de rein mortel ou une hémiplégie, mais en sera-t-il de même pour une anguille ? Un homme juché sur un arbre tremblera de frayeur, mais un singe en fera t il autant ? Lequel de ces trois connaît la demeure idéale et standard ?

L'homme mange les animaux herbivores et les porcs, le cerf se nourrit d'herbes, le scolopendre fait du serpent son délice, le hibou ou le corbeau se régale de souris. Lequel de ces quatre connaît le goût idéal et standard ?

Le singe cherche une guenon, le cerf cherche une biche, l'anguille vit avec les autres poissons. Mao Xiang et Xi Shi sont des beautés adorées des hommes, mais à leur approche, le poisson plonge au fond de l'eau, l'oiseau se réfugie au haut des airs, le cerf fuit au galop. Lequel de ces quatre connaît la beauté idéale et standard ? D'après moi la distinction entre l'humanité et la justice, entre la raison et le tort ne souligne que le désordre. Comment pourrais-je connaître cette distinction ?

- Si vous ne distinguez pas l'utile du nuisible, dit Nie Que, l'homme parfait ignore-t-il cette distinction ?

- L'homme parfait, il est surnaturel ! répondit Wang Ni. L'embrasement de la plaine ne peut pas faire qu'il éprouve la chaleur, la congélation des fleuves ne peut pas faire qu'il sente le froid, la foudre qui fend la montagne ne peut le blesser, l'ouragan qui soulève la mer ne peut l'épouvanter. C'est ainsi qu'il domine les nuages, chevauche le soleil et la lune, et voyage en dehors des quatre mers. La mort et la vie lui sont indifférentes, comment la distinction entre l'utile et le nuisible pourrait-elle le troubler ? (Qiwulun)

in Tchang Fou-Jouei, initiation à la langue chinoise classique à partir d'extraits de ZHUANG ZI

 

Quelle belle invitation à délaisser la question du savoir pour se lancer dans le voyage mystique !

Posted by florent at 19:26:45 | Permanent Link | Comments (2) |

Dimanche 25 Septembre 2005

Langue, pensée, poésie, mystique et tao

Cette recherche de la "vision chinoise des choses" a pris un long et sinueux chemin pour moi, avec des tours et des détours par plusieurs expressions de la culture chinoise.

D'abord la langue, parce qu'elle est si structurante. C'est un effort continu, qu'il ne faut pas voir comme l'atteinte d'un résultat mais comme un plaisir régulier, si possible quotidien.

Assez vite j'ai voulu lire des recueils sur la pensée chinoise ; et c'est nécessaire rapidement car certains concepts sont très biaisés et on ne peut pas les prendre sans précautions. Sur ce sujet je recommande par exemple Anne Cheng (Histoire de la pensée chinoise) qui fait un tour très rapide mais éclairant. Plus profond, mais très controversé chez les sinologues, l'oeuvre de Francois Jullien. Philosophe d'abord marqué par les grecs, il propose des "détours d'intelligibilité" par la culture chinoise, afin d'expliciter par le dialogue notre vision occidentale des choses. Il aborde divers thèmes comme la fadeur, la morale, le détour et l'accès, le nu, la propension des choses. Difficile à lire mais très intéressant dans le fond.

Mais la philosophie n'explique pas la Chine, loin de là ; la notion même d'une philosophie chinoise étant fort contestée. Les entretiens de confucius sont parfois décrits comme une longue liste de maximes plutôt que comme un raisonnement construit définissant des concepts de manière philosophique.

Ensuite mes pérégrinations m'ont porté vers la poésie, plus exactement vers la poésie des oeuvres anciennes du taoisme. Ces oeuvres, le Laozi et le Zhuangzi en premier lieu, sont plutôt des canons religieux que des recueils de poésie, mais il en émane pour moi une lumière poétique.

Un passage du Laozi à titre d'exemple :

Le bien suprème est comme l'eau

L'eau bénéfique à tous et rivale de rien

Elle repose aux bas fonds délaissés des hommes

Elle est tout proche du Tao

Ces vers m'ont profondément marqué. En voyant un lac, j'imagine l'eau qui repose au fond et que personne ne connait ; je regarde la surface plane, calme, lisse et harmonieuse. Dans mon bain j'essaie de voir mon corps en harmonie avec l'eau, aussi souple et détendu qu'elle.

Et cette expérience poétique me permet d'entrer, mieux que la philosophie je crois, dans la vision chinoise des choses.

Il y a aussi bien sur tous les grands poètes chinois, qu'on peut trouver sur internet en version caractères (quelle esthétique!), parfois sonore (fichiers son donnant la musique du poème) et traduite. Plus on progresse dans l'apprentissage de la langue, plus la force des associations et des situations décrites apparaît.

La peinture, qui contient d'ailleurs souvent en marge des poésies calligraphiées, est aussi un émerveillement par l'acceptation du vide, la tension entre le trait et le rien, la précision de certains détails et le vague des décors. (je recommande ici les recueils par Francois Cheng, de l'académie francaise, qui commente les oeuvres de Shitao ou de Chuda par exemple).

Les textes taoistes ont été en particulier la source d'expériences poétiques puissantes, parfois déstabilisantes, car elles me donnaient une autre vision du monde et du sens de la réalité.

Alors s'est posée pour moi une question sans réponse aujourd'hui en lisant Laozi ou Zhuangzi : est ce une expérience poétique ou une expérience mystique ?

Difficile de répondre si on définit la mystique comme l'accès, même le temps d'un instant, à un monde supérieur ou transcendant, et si on considère que la pensée chinoise refuse assez profondément toute transcendance ; c'est une pensée de l'immanence.

Je ne peux que renvoyer aux réponses que me font de gentils internautes sur un forum taoiste. Zhaobudao, c'est moi, ca veut dire "celui qui a cherché sans trouver". Le post s'appelle "tao : expérience mystique ou poétique ?" 7/1/2005

En bref, le chemin nécessite l'apprentissage continu de la langue, mais il passe par des disciplines variées et liées. Les facettes qui se révèlent par chacun de ces chemins sont souvent surprenantes

Posted by florent at 19:06:52 | Permanent Link | Comments (3) |

Un exemple : le caractère Aimer

Observons le caractère aimer par exemple. Il se prononce « Ai »

 

爱  en chinois simplifié

en chinois traditionnel

Je vous propose de le dessiner et de bien l'observer.

 

 En bas, le radical de l'amitié. Au dessus, un toit, symbole de protection. Au dessus encore, une griffe d'animal qui vient arracher le toit.

 

Pas facile à comprendre intuitivement !

 

 Une interprétation parmi d'autres (tout peut se discuter) est la suivante.

 

L'amitié est une relation confortable on l'on a confiance en l'autre sans être vraiment exposé. D'où le toit au dessus de l'ami. L'amour est cette griffe qui vient du haut et qui nous enlève la protection. On entre alors dans un monde de vulnérabilité, sans filet, c'est l'amour.

Une belle définition je trouve ! Reste à savoir qui est la griffe ? Est-ce une personne ou seulement un mystère naturel ? Serait-elle elle-même animée par l'amour ?

 

 
Posted by florent at 10:56:17 | Permanent Link | Comments (18) |

Apprendre le chinois

Je me limiterai à décrire la joie que j'ai à apprendre le Chinois mandarin.

Je suis des cours depuis bientôt 5 ans, donc depuis un millième de l'histoire de cette civilisation. La part de vérité de mon propos n'atteint sans doute pas le millième, tant le sujet est vaste.

 

Il ne s'agit pas pour moi de maîtriser la langue, mais de tenter d'avoir un aperçu, parfois même un ressenti, de ce regard que les chinois portent sur les choses.

 

Cette langue est tellement différente qu'en l'apprenant, j'ai l'impression d'être un bébé qui découvre le monde. La langue donne une autre vision des choses . Tout part de radicaux dont l'origine remonte à la nuit des temps. Ces objets se combinent pour créer des idéogrammes et du sens. Dans cette combinaison apparaît une forme d'esprit, qui est souvent surprenante et parfois amusante. Deux exemples : pour dire « femme » il suffit de répéter le mot Tai. On obtient Tai Tai, qui veut dire  littéralement … trop trop !

 

Ou bien l'idéogramme du mot « paix » : il s'écrit en représentant une femme dans une maison. Attention ; la paix c'est une femme à la maison, mais surtout pas deux ! Encore un : la maison c'est un cochon sous un toit ; un trésor c'est du jade sous un toit

 

 

 

Intriguante aussi, la notion du temps. Quand on parle d'une semaine ou d'une année, il n'y a pas de mot pour « dernière » et « prochaine ». On utilise les mots « dessus » et « dessous ». Dans quel ordre a votre avis ? La « semaine prochaine » se dit la « semaine du dessus », c'est logique non ? Perdu ! En fait la « semaine dernière » se dit la « semaine du dessus » et inversement. J'ai mis des semaines à comprendre.

 

 

 

On se heurte à une différence énorme, incommensurable ; Des années ne suffiraient pas à la comprendre. En mesurant la distance qui nous sépare, on accepte mieux leurs comportements étonnants, voire choquants parfois. Ils ne sont pas eux mêmes lors qu'ils doivent s'exprimer en Anglais.

 

Alors on s'y attelle doucement , petit à petit. C'est le seul moyen de construire une relation avec des chinois. Même en Chine, personne ne connaît tous les caractères (il y en a des dizaines de milliers), mais on avance à son rythme, sur ce long chemin de la découverte de l'autre.

 

 

 

Posted by florent at 10:54:35 | Permanent Link | Comments (10) |

Samedi 10 Septembre 2005

un récit de séjour

Amusant et intéressant site d'un karatéka sinophile

http://www.guillaumemorel.com/fr-blogchina.htm

un voyage à ShenYang, un séjour au ski ; une impression sur les contrastes avec le japon, un texte sur la face... tout cela sous un regard très positif

voici un court extrait avec l'aimable permission de l'auteur

Après, dans leur comportement quotidien, certaines choses peuvent choquer ou paraître très singulière... exemple amusant (enfin pas quand on le vit) : les files d'attentes ne sont pas un concept reconnu en Chine. Un guichet est un endroit où l'on doit se précipiter directement, et essayer au mieux de s'infiltrer jusqu'à l'ouverture du guichetier pour écraser le bras de son voisin et lui passer devant. Cela dit, lorsque vous faites remarquer à la personne derrière vous qui vous pousse depuis 5 minutes et essaye de doubler par la droite puis par la gauche... voir par dessous si il peut : "excusez-moi, je crois que je suis devant vous", c'est avec un grand sourire que cette personne vous répondra "oh oui en effet, excusez-moi, allez-y" (on ne casse pas l'harmonie souvenez-vous).

 

Posted by florent at 10:24:36 | Permanent Link | Comments (0) |