Dimanche 25 Janvier 2009

Caractères chinois et alphabet

Ce billet fait la synthèse d'une passionnante discussion sur le forum de chine-nouvelle.

La question posée est la suivante :
 

Romaniser la langue chinoise :
est ce possible et souhaitable ?

(romaniser le chinois consisterait à l'écrire non plus avec des caractères comme ceci 汉语, mais avec les lettres de l'alphabet romain comme cela : Han4yu3)

Exemple avec un vers de Su Dongpo :

但愿人长久,千里共婵娟。=>  dànyuàn rén chángjiǔ,qiānlǐ gòng chánjuān.

 

Après avoir mis en lumière quelques particularités de l’écriture chinoise, je reprendrai quelques phases historiques avant d’aborder le cœur de la question et d’en donner une perspective. 

Quelques particularités de l’écriture chinoise

Une écriture d'origine divinatoire qui dessine le monde plus qu'elle ne dessine la parole.


Le chinois écrit est de nature logo-graphique , c'est-à-dire qu’un signe écrit, un caractère, renvoie à un son et à un sens donnés.
La lettre "r" se prononce "r" mais n'a pas de sens,
Le caractère 人 se prononce ren2 et signifie "homme".


L’écriture chinoise a une origine divinatoire, ce qui la distingue des alphabets. De ce point de vue la frontière historique entre la « protoécriture » (ensemble de signes non organisés en système) et l’écriture reste encore  bien floue aujourd’hui.  Mais il en subsiste encore aujourd’hui, peut être plus de manière inconsciente, une sorte de « valeur sacrée » du caractère chinois ou de « grand bain » de la civilisation chinoise par rapport à la lettre romaine qui est purement fonctionnelle.

L’occident se définit assez peu par son alphabet : de mémoire le point n’était quasiment pas abordé dans un livre entier dédié à la définition du terme "occident" (et d’ailleurs l’occident moderne compte en son sein trois alphabets : le cyrillique, le grec et le romain) ; alors que la Chine accorde, par le  nom même qu’elle donne à la culture 文化, une place très importante à l’écriture).

 

Beaucoup de signes, et peu de sons


L’écriture chinoise se caractérise par plusieurs dizaines de milliers de caractères, et par un faible nombre de phonèmes (1200 syllabes). Contraste saisissant avec les 26 lettres de notre alphabet et les combinaisons phonétiques en syllabes beaucoup plus nombreuses. D’où un grand nombre d’homophones en chinois, qui demandent distinctions par la langue écrite (à défaut de prononciations différentes).
Les caractères suivants ont tous des sens bien différents, mais se prononcent tous exactement de la même manière : shi4
是 事 室 市 式 世 拭 示 誓 氏 士 舐 柿 逝 侍 仕 螫 嗜 噬 恃 筮 似 奭

(note : En français le rôle distinctif de l’écriture pour séparer les homophones existe, mais reste plutôt marginal. On pourrait citer les accents comme dans « a » et « à » ; ou bien « mer » et « mère », mais cette fonction de l’écriture est bien moindre en français qu’en chinois. )

 

Alors qu’un texte français se décompose en mots faits de lettres, un texte chinois se décompose en polynômes (groupe de deux caractères, parfois, trois ou plus) et en caractères, la grande majorité des caractères portant isolément déjà un sens (à l’exception des morphèmes non libres tel qu’on ne pourra utiliser tout seul pour dire « magasin » dans l’expression « quelques magasins » par exemple).

 

Absence d’espace entre les mots

 

Compte tenu de la non séparation physique des morphèmes par l’espace typographique que nous utilisons en français (sansquoiceseraitplusdur), il semble impossible de définir précisément le nombre de polynômes et de caractères isolés dans un texte. Ainsi la notion de mot (la plus petite entité de sens distincte) se trouve plutôt inapplicable à la langue chinoise : un caractère est le plus souvent un mot ; mais certains caractères, les morphèmes non libres, ne sont employés que dans des structures de polynômes, qui forment alors les mots.

Une langue écrite couvrant plusieurs dialectes prononcés différemment

Le fait est notoire : une phrase lue par un cantonais et un pékinois pourra être prononcée différemment mais tout aussi bien comprise.

 

Prenons, en cette période de vœux, la formule consacrée :

恭喜发财 :souhaits de bonheur et de prospérité

Un Pékinois lira :   恭喜发财 gōngxǐfācái

Un Cantonais lira : 恭喜发财gung hei/ faat- choih

 

Une comparaison avec la présence du latin en Europe médiévale est inadéquate : le latin se superposait aux langues locales (comme le français) avec son alphabet et sa prononciation associée.

Quand un moine lisait le mot « magnum » il pensait au son magnum (donné par la forme écrite « magnum ») et ensuite faisait le lien avec le mot « grand » en français (qui s’écrivait grant).

Quand un cantonais lit le caractère , il prononce  [hei/]  sans passer par l’intermédiaire de la prononciation [xǐ] du mandarin.

 

L’écriture chinoise est utilisée par des dialectes variés au sein de la famille des langues sino-tibétaines.

 

Distance entre l’écrit et la prononciation

 

Dernière particularité intéressante ici : le lien entre la forme d’un caractère et sa prononciation est plutôt distendu, par rapport au lien entre la forme d’un mot français et sa prononciation.

On peut dire que l’écriture chinoise est aujourd’hui  quelque peu « déconnectée » de la prononciation dans les différents parlers de Chine.

 

Notons qu’une très grande majorité des caractères chinois, plus des trois quarts, porte historiquement un marqueur phonétique, c’est à dire qu’ils ont été construits avec un ou plusieurs composant sémantique (donnant le sens) et un composant phonétique (donnant une idée de la prononciation).

Toutefois, les prononciations ayant beaucoup évolué à travers l’histoire, cela ne signifie pas pour autant qu’un chinois puisse lire un caractère facilement en le voyant pour la première fois. Prenons deux exemples de caractères qui ont été concus pour aider à la prononciation, mais qui n’aident plus aujourd’hui un chinois à se faire une idée exacte de leur prononciation :

Ex1. (la rivière : indique l'eau et indique le son). qui se prononce aujourd’hui "gong1" en mandarin est pourtant assez éloigné en prononciation de qui se dit "jiang1")

 

Ex2 (= une assiette : indique le sens de "plat" et donne le son). Là aussi on voit que les prononciations du caractère ( prononcé "pan2") et de son marqueur phonétique ( prononcé "ban1") diffèrent, tant par le son que par le ton.

 

Le lien plutôt distendu entre l’écriture et les prononciations s’explique donc par deux facteurs :

-          l’aspect fédérateur d’une écriture décrétée politiquement (comme nous le verrons dans un instant) et qui recouvre une diversité de parlers

-          l’évolution des prononciations (alors que l’écriture n’évoluait pas), qui a quelque peu brouillé les pistes des marqueurs phonétiques présents dans la langue chinoise.

 

Pour plus de détails sur les six catégories de caractères chinois appelées liushu 六书, voir ici

 

Pour lire plus sur l’écriture chinoise, voir l’article de wikipedia  

On voit donc en résumé des particularités de l’écriture chinoise : Grand nombre de caractères à apprendre et présence de  beaucoup d’homophones ; notion de mot plutôt inapplicable ; distance entre l’écrit et ses prononciations.

 

Ces particularités donnent une un statut plutôt unique et une élégance particulière à l’écriture chinoise, que d’aucuns désignent comme la plus belle invention chinoise.

Mais elles engendrent aussi une difficulté dans l’apprentissage et un décalage particulier entre un « fonds d’écrit » relativement constant et des langues orales qui évoluent en permanence.

 

Perspective historique

La période classique


Sans remonter jusqu’aux troubles périodes de

Posted by florent at 18:36:08 | Permanent Link | Comments (16) |

Lundi 19 Janvier 2009

Entretiens avec Alexandra David Néel

Les sempiternels et virulents débats sur le Tibet m’ont beaucoup fatigué par leur virulence, leur ignorance et leur dogmatisme (voir une discussion sur un forum, des témoignages glanés à Shanghai, une déclaration et un billet sur ce blog )

A tel point que j’ai décidé de ne plus y contribuer tant que je n’irai pas au Tibet me faire ma propre idée sur cette question épineuse qui mêle histoire et souveraineté, pouvoir religieux et modernité.

 

Jusqu'à ce que l’on m’offre à Noël un double CD-Audio d’entretiens avec Alexandra David Néel, cette étonnante exploratrice féministe, qui parle au micro à l’âge de 88 ans (c'est-à-dire au milieu des années cinquante)

 

 

Je voulais poster un extrait audio mais n'y suis pas parvenu. 
Les entretiens couvrent le Tibet, l'Inde, la Chine.

Sur le Tibet en particulier, les récits de la vie quotidienne sont très intéressants. On découvre à la fois ce mysticisme omniprésent et cette "caste des moines-juges-propriétaires fonciers" tant décriée par la politique chinoise. Pour Mme Davil Néel, le Tibet est chinois sans aucun doute.
Mais c'est surtout l'aspect quotidien du récit qui m'a intéressé dans ce disque que je recommande.

Posted by florent at 17:24:57 | Permanent Link | Comments (6) |

Mercredi 14 Janvier 2009

Bourvil : Les crayons

Le ciel est si gris !
Alors voici des enfants (ce ne sont pas tous les miens ; il y a aussi des cousins) interprétant la chanson de Bourvil "les crayons", qui dans les années quarante tourne en dérision la prolifération des oeuvres misérabilistes et ultra-réalistes. (dans ce courant misérabiliste j'ajouterais volontiers Gorki et ses bas-fonds, ainsi que Lao She et son tireur de pousse.

Pas  besoin de préciser que la vidéo est tournée en Bretagne



(en double cliquant en bas on peut aller sur youtube et la regarder en plus haute définition (en bas à droite de l'écran))
Posted by florent at 08:18:24 | Permanent Link | Comments (4) |