J'ai lu ce livre à Rome, avec Grand plaisir. Zhu Xiao-Mei est pianiste, vivant aujourd'hui en France. Elle est professeur au conservatoire national de musique. J'avais déjà écouté les
Variations Goldberg de Bach (CD Mirare), qu'elle joue avec beaucoup de douceur.
Son livre raconte simplement sa vie qui commence en 1960 : son enfance à Pékin au conservatoire ; le piano qui arrive à la maison et l'enchante ; la montée de la révolution culturelle qui se traduit par l'évolution suivante du programme éducatif :
- Introduction de quelques cours idéologiques en plus des cours de musique.
- Cours répartis à 50/50 entre idéologie et musique
- Les cours de musique sont exclusivement sur la musique chinoise; toute la musique occidentale est déclarée subversive.
- Plus aucun cours de musique; uniquement des cours idéologiques; uniquement sur le petit livre rouge.
- Puis arrive la libéralisation; on peut lire autre chose que Mao (même si cela reste limité à Marx et quelques élus); on peut graduellement recommencer à faire de la musique, mais la plupart des profs ont disparu; limogés, suicidés; détruits.
Zhu Xiao-Mei adhère à la révolution ; elle renie sa grand-mère, accepte d'espionner une camarade de conservatoire, puis part à la campagne pour se rééduquer ; elle est par sa naissance d'une « mauvaise extraction », c'est une出身不好 chushenbuhao ; comme ses quatre sœurs qui sont toutes exilées. On comprend dans le livre que la démarche n'était pas totalement imposée. Certaines personnes sont parties d'elles mêmes pour 上山下乡, pour se rééduquer à la campagne.
Les travaux au camp 4619 de ZhangJiaKo sont absurdes, surréalistes ; il y a des passages très durs ; l'ambiance se détend un peu vers la fin, quand le système se relâche et qu'elle peut commencer à jouer de la musique en expliquant à ses paysans de gardes que la pièce de Schubert qu'ils entendent est en fait un hymne révolutionnaire cubain !
Puis Zhu Xiao-Mei rentre chez elle ; retrouve sa famille et la musique. Elle veut quitter son pays. Commence alors le passage qui m'a le plus touché dans le livre. Après un passage à Hong Kong chez de la famille, histoire d'épargner de quoi s'acheter un billet d'avion, elle s'envole pour les Etats Unis. Et là commence une vie d'errance, de précarité. Elle survit en faisant des ménages et dépense son épargne en cours de piano et en places de concert. La veille de l'expiration de son visa, elle arrive à faire un mariage blanc pour éviter de retourner en Chine.
Mais elle est déçue par la société américaine où tout se monnaie, dans une pression économique forte, et où la musique n'est pas valorisée suffisamment. Elle trouve qu'on n'y respecte pas les artistes. Elle rencontre toutefois des américains qui lui font découvrir sa propre culture chinoise classique, notamment le taoïsme avec Laozi et Zhuangzi.
Elle part en France et là elle découvre combien paris est une ville d'entraide pour les artistes. Un jeune brésilien, une vieille dame iranienne, des professeurs de piano vont se démener pour l'aider à s'installer et à jouer. Ces pages sont merveilleuses et très touchantes. On découvre combien Paris reste fidèle à une belle tradition artistique.
Prenons quelques passages notables.
Page 33 (ed Robert Laffont) figure un curieux caractère chinois, qui n'existe pas je pense. Je l'ai refait à l'identique sur paint et le voici :
L'auteur commente ainsi , expliquant que son père lui a expliqué en lui dessinant le caractère « honnêteté » :
« Xiao-Mei, la croix au dessus, c'est le nombre dix, en dessous, tu as les yeux. Et dans le coin à gauche, une personne. Dix personnes te regardent. C'est cela l'honnêteté ».
Curieux. Je pense qu'elle parle du caractère 值 zhi2, qui signifie « valeur » et qui est composé d'un homme à gauche, et d'un composant phonétique 直 (qui n'apporte donc pas de sens) à droite.
J'ai souvent vu des chinois faire des interprétations fantaisistes de leurs caractères, et tant mieux ; ils sont de merveilleux supports pour l'imagination.
Au chapitre 20 page 236, l'auteur vivant aux Etats-Unis reçoit une lettre touchante de son père qui a trouvé la paix par une sorte de conversion au taoïsme en lisant des « dazangjing » (textes bouddhistes !). La lettre est très belle.
Page 255 une scène très drôle à Paris où la pianiste arrête un cours au beau milieu d'une pièce (une davidsbündlertänze) devant son professeur ébahi. L'heure de cours vient de terminer et elle n'a pas un centime de plus pour payer des heures supplémentaires ! Le professeur lui ordonne de ne pas couper son morceau comme cela et évidemment ne lui compte pas de temps supplémentaire. En deux jours son prof lui trouve une bourse, un logement, des pianos (chaque jour de la semaine un élève prète son piano à Xiao Mei pour qu'elle pratique).
Page 266 une magnifique description des Variations Goldberg de Bach, avec beaucoup de sensibilité.
A la fin du chapitre 29 , page 318, une jolie description de la sagesse taoiste que l'auteur découvre à 40 ans.
Page 321 une réaction typiquement chinoise contre le prosélytisme religieux dont les occidentaux sont capables.
Bref, c'est là un bon livre que je recommande.
Commentaires récents
j'aurai peu de temps à hong kong, just
Il
j'ai assemblé les photos dans l'av