Samedi 04 Octobre 2008

Différence culturelle

Voici deux phrases du même sinologue, Jean Francois Billeter, qui sans être incompatibles sont tout de même difficilement conciliables.

"Tout ce qui est chinois est humain. Or je suis un être humain. Je puis donc comprendre ce que pense un chinois."

et

"Les notions que nous avons de l'Etat, du "politique", du "public" opposé au "privé" n'ont pas de place en Chine, ou n'y ont pas le même sens."

Voilà un dilemne qui me fascine. Nous en avons un exemple dans les commentaires du billet sur le mot "comprendre" (à partir du commentaire 6): Mon ami Olive me reproche de chercher la différence à tout prix. Malgré tout le respect que je lui porte (Olive parle beaucoup mieux chinois que moi), j'exprime en réponse l'idée que pris par un idéal ("nous sommes tous des hommes"), il s'aveugle lui même face à la différence. Il la nie.

Cette différence d'approche du chinois pour un francais me fascine au plus haut point. Elle touche à ce qu'est notre humanité, en rapport à la culture. J'essaie de la résumer ainsi avec deux personnages : l'universaliste et le culturaliste :

L'universaliste : Les chinois sont des hommes comme nous. Les différences sont des épiphénomènes culturels qui peuvent tous être surmontés par la compréhension mutuelle.

Le culturaliste : il y a parmi les différences culturelles de profonds écarts dans le regard qu'on porte aux choses. Certains sont si profonds qu'on ne peut les résorber sans se remettre en cause dans des croyances fortes, croyances que l'on croyait liées à notre humanité plus qu'à notre culture.

Je  crois être mû par un idéal universaliste mais confronté à des expériences culturalistes.

Etes vous plutôt universaliste ou culturaliste ?


Posted by Florent at 16:27:04 | Permanent Link | Comments (7) |
Commentaires
1 - Au niveau philosophique, psychologique et intellectuel, c’est un vaste débat, tu as certainement lu « Contre Jullien » de Billeter. Je ne suis pas assez calé pour avoir un avis tranché.
Je crois que parfois il ne faut pas trop trancher car on dit n’importe quoi.
Les différences, elles sont partout
En France ; compare le Marseillais typique et le type du Nord en France.
En Europe, l’Allemand du Nord ( Prusse, Hanovre) et un Napolitain
Compare un Pékinois et un Cantonais, un Sichuanais et un Shanghaien.
Quand je discute avec mes amis de la région de Wenzhou, ceux du district de Wencheng te disent : « nous, nous sommes complètement différents des gens du district Wenzhou, en plus si nous comprenons le wenzhouhua, eux ne comprennent pas le Wenchenghua ».
Les intellectuels veulent faire des catégories, classer et expliquer mais ce n’est pas toujours possible. C’est leur job 
Ma femme est Chinoise et certains Chinois partisans et fiers de leur prétendue spécificité chinoise me disaient avant de me marier que notre couple ne pourrait jamais marcher en raison de notre différence. On est marié depuis 16 ans et c’est parti pour durer…

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Écrit par: Anonyme at 2008/10/06 - 03:39:44
2 - 16 ans, bravo ! 万岁 à ton couple

tu as raison, on ne peut pas (et doit on même) trancher. En fait c'est la position du culturaliste qu'il m'intéresse de développer, nuancer.

c'est sûr qu'il y a des différences partout. à l'intérieur de la chine bien sûr, et aussi comme tu le dis entre un marseillais et un lillois.
Mais si un lillois va s'installer à marseille, la rencontre de la différence lui demanderait elle beaucoup de remise en cause personnelle ? Dans mon cas il faudrait s'habituer au pastis (breuvage que je n'aime pas), mais cela me semble très jouable.

Par contre certaines différences franco-chinoises (voir post sur le conflit plus bas) me semblent insurmontables sans une grande et profonde remise en cause.

Soit j'ai mon idée de l'homme (position universaliste) et je risque simplement d'être aveugle à la différence, de ne pas la remarquer quitte à ce qu'elle se rappelle ensuite brutalement à moi, soit je reste ouvert, c'est à dire prêt à renoncer à des certitudes fortes pour aborder la différence.

Je ne crois pas que ce soit seulement une préoccupation intellectuelle. Le simple fait de vouloir progresser dans la langue le demande.

Un exemple rencontré pas plus tard qu'aujourd'hui :
轻率 a deux grandes significations :
1 précipité , hâtif,
2 indiscret

Pourquoi deux registres aussi différents en francais trouvent ils à se "loger" dans le même mot chinois ? Je n'ai pas creusé longtemps mais il est sûr que des circonstances très différentes, impliquant des visions différentes, ont abouti à ce double sens curieux pour moi.

bref, ce chemin du "culturaliste" est long, délicat à formuler, mais tu t'en es sorti et cela donne du baume au coeur ;-)

PS / ma femme est francaise ; nous n'avons "que" 15 ans de mariage mais figure toi que nous vivons aussi d'immenses différences ;-))
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Écrit par: florent at 2008/10/06 - 18:00:14
3 - "il faudra s'habituer au pastis"

Ah la la les cliches!... On ne boit pas tous du pastis des le petit-dejeuner.


Sinon, pour faire une reponse a la chinoise, je ne pense pas que les concepts d'universalisme et de culturalisme soient mututellement exclusifs.
Etre confronte a une culture tres differente remet a leurs justes places l'inne humain et l'acquis culturel.

"Les chinois sont des hommes comme nous. Les différences culturelles peuvent être surmontées par la compréhension mutuelle. Cependant, il y a parmi les différences culturelles de si profonds écarts dans le regard qu'on porte aux choses qu'on ne peut les résorber sans se remettre en cause dans des croyances que l'on croyait liées à notre humanité plus qu'à notre culture."

Et j'en fait l'experience tous les jours en etant marie avec une chinoise (depuis 5 ans, petit jour ;-) )

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Écrit par: spicyhotpot at 2008/10/06 - 21:45:31
4 - Florent,
"Par contre certaines différences franco-chinoises (voir post sur le conflit plus bas) me semblent insurmontables sans une grande et profonde remise en cause. "
Le rapport à la Chine m'a surtout intéressé pour ses différences - plus grandes qu'avec l'Italie ou d'autres pays Occidentaux. Toute la vie devrait être jalonnée de remise en question pas seulement avec le choc chinois.
Tu parles de caractères, que comprends-tu par le mot suzhi, 素质, intraduisible en français? Certains le rendent par qualité intrinsèque mais c'est un tout comprenant le résultat de l'éducation, le milieu, la culture et les qualités de la personne... etc, je cherche des sources sur le sujet. Si tu as des pistes.
Bonne quarantaine! Je viens de la passer et sans rien de spécial.

Spicy,
"Sinon, pour faire une reponse a la chinoise, je ne pense pas que les concepts d'universalisme et de culturalisme soient mututellement exclusifs." D'accord!

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Écrit par: Silouane at 2008/10/07 - 14:55:23
5 - un bon article sur le livre de billeter, qui aborde bien les questions de ce billet :
http://www.questionchine.net/article.php3?id_article=1969 (Comment this)
Écrit par: Anonyme at 2008/10/17 - 14:23:13
6 - Martine a dit :
de la différence naît l'intérêt qu'on porte à l'autre. C'est cela qui m'interroge et me passionne. (Comment this)
Écrit par: Anonyme at 2008/10/17 - 16:17:48
7 - Silouane

Pour le concept de 素质 suzhi que tu évoques, il y a un terme fort exploité en psychologie : la diathèse. Ce mot inclut à la fois l'état présent et le processus par lequel on y est arrivé. C'est cela qui t'intriguait dans le mot chinois ?
Le terme est utilisé en linguistique, en médecine et en psychologie (il est proche du terme "terrain" ou terreau de ce point de vue je crois)

en francais (linguistique): http://fr.wikipedia.org/wiki/Diath%C3%A8se
en anglais (psychologie) : http://en.wikipedia.org/wiki/Diathesis-stress_model


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Oui martine, c'est là une puissante source d'énergie, mais de souffrance aussi.
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merci pour le lien sur le livre de M Billeter "contre Francois Jullien", livre que je n'ai pas lu (je suis en train de lire la riposte d'amis de francois Jullien. Cette querelle prend la forme de la querelle autour de la psychanalyse, avec des livres noirs et d'anti livres noirs dans tous les sens...

Je suis tombé ce matin sur une page de M Billeter justement, qui exprime très bien ce travail du "culturaliste" tel que je le présentais dans le billet.

Voici une page intéressante de M Billeter sur le terme de méditation. Le passage se situe dans une analyse du Tsi Wu Louen (zhuangzi ; chapitre 2)

L'auteur commente sur le terme de "méditation".

"Notons d'abord que "méditation" est un terme impropre parce qu'il évoque une activité "orientée". Il nous semble aller de soi que l'on médite quelquechose ou sur quelque chose. Nous ne convevons pas que la méditation puisse être, , quant au fond, une activité non orientée, dépourvue de contenu, libre de toute finalité et donc foncièrement gratuite. Or c'est ce qu'il faut admettre pour comprendre la pratique à laquelle se livre Tseu-ts'i. "méditation" a aussi l'inconvénient d'évoquer une activité mentale. Nous nous imaginons que c'est nécessairement l'esprit qui médite et que l'objet de la méditation est donc nécessairement mental. Si le corps joue un rôle dans cette forme d'activité, pensons-nous, c'est celui d'un socle qui , du fait de son immobilité, disparaît temporairement du champ de la conscience. C'est dire que notre idée de la méditation est étroitement liée à notre conception dualiste du corps et de l'esprit. Elle l'est d'autant plus que les pratiques méditatives que notre civilisation a développées dans le passé, en particulier dans la religion chrétienne, étaient elles-mêmes tributaires de cette conception.
Toutes nos vues dans ce domaine sont liées à un paradigme anthropologique particulier. Si nous voulons vraiment comprendre ce que fait Tseu-Ts'i, il faut nous défaire de ce paradigme et en adopter un autre. "

Et le sinologue de proposer de se regarder soi même non plus comme un corps et un esprit, mais comme "de l'activité". Vision qui dissout le sujet dans l'action et dépasse le dualisme qui marque notre vocabulaire occidental et notre manière de voir.
 (Comment this)
Écrit par: florent at 2008/10/27 - 11:15:40
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